Article rédigé par Thierry Boutet, le 14 décembre 2007
À quelques jours de la visite du président Sarkozy à Rome où il rencontrera le Saint-Père, le ministre de l'Identité nationale, Brice Hortefeux, a écrit à tous les évêques de France une lettre sur la question de l'immigration (cf.
ci-dessous). Le vote le 23 octobre de la loi sur l'immigration avait en effet suscité de vives réactions. Des évêques français s'étaient élevés avec vigueur contre l'amendement d'Yves Mariani sur les tests ADN.
Mgr Hyppolite Simon, archevêque de Clermont, ville d'origine de Brice Hortefeux avait nettement pris position contre la loi proposé par le ministre en charge de l'immigration, et ... conseiller régional d'Auvergne.
Par cette lettre, le ministre souhaite reprendre le dialogue. La question des tests ADN n'y est pas évoquée. La missive développe en revanche quatre questions clefs : la lutte contre l'immigration clandestine, l'organisation de l'immigration légale, l'intégration des immigrés légaux, l'aide au développement des pays d'origine. Sur chacun de ces points Brice Hortefeux explique et défend la position du gouvernement. Il achève sa lettre en évoquant le dépôt des valeurs spirituelles qui ont façonné l'identité de la France.
Il est manifeste que des différences substantielles demeurent sur ces questions entre le gouvernement et l'Église de France. Pour les évêques, l'immigration choisie est inacceptable en l'état. Pour l'épiscopat, écrit La Croix du 13 décembre, la régulation des flux migratoires ne peut se faire au mépris de l'attention aux plus démunis ou du droit de vivre en famille. Les évêques s'inquiètent en particulier des conditions toujours plus restrictives mises au regroupement familial . La politique d'expulsion des étrangers n'est pas non plus du goût des évêques, enfin sur la question de l'intégration, ceux-ci ne cachent pas leurs critiques.
Le père Jacques Turck, secrétaire de la commission épiscopale des affaires sociales et familiales, a réagi : Pas plus sur cette question que sur la politique d'intégration, la lettre ne marque une vraie ouverture. Il déplore : Le ministre m'a reçu deux fois. À chaque fois, je lui dis que la loi sur l'immigration ne comportait aucun élément positif... Ce n'est qu'une série d'interdits. Pourquoi ne pas proposer des écoles de langue chez nous pour ceux qui ne parlent pas notre langue ? Seules les paroisses et les associations osent le faire.
Plus nuancé, Mgr Claude Schockert, évêque de Belfort-Montbéliard et responsable de la pastorale des migrants, déclare à propos du ministre : Nous reconnaissons sa recherche de dialogue, quand il nous dit que l'Église est tout à fait dans son rôle. De la même manière, nous disons que le gouvernement a le droit de chercher des solutions aux phénomènes migratoires.
En dehors de ces quelques réactions la Conférence des évêques de France a préféré ne pas commenter officiellement la lettre du ministre. Rendez vous à Rome, où la question sera sans doute abordée entre le Saint-Père et Nicolas Sarkozy qui, le 13 décembre, a rendu visite à Mgr Vingt-Trois pour le féliciter de son élévation au cardinalat. C'était la deuxième fois depuis 1905 qu'un président de la République française se rendait à l'archevêché de Paris (vidéo ci-dessous).
Pour en savoir plus : Le discours de Nicolas Sarkozy
à l'archevêché de Paris,
13 décembre 2007
(cliquez sur la photo)
Lettre de Brice Hortefeux,
ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement aux évêques de France
Paris, le 12 décembre 2007
Je suis sensible à l'intérêt dont témoigne l'Église de France pour les questions relatives à l'immigration. Elle est pleinement légitime à s'exprimer, d'une voix claire, dans le débat public. Mais elle doit le faire en toute connaissance de cause.
Permettez-moi de partager, avec vous, quelques réflexions.
Je le sais : la situation des immigrés est, trop souvent, douloureuse. Nombreux sont ceux qui, arrivant en France, vivent dans la précarité. Mais, précisément, faut-il compliquer leur situation en ouvrant les frontières à tout va ? Faut-il, alors que la France manque de logements, faire comme si l'harmonie sociale n'était qu'une question de bonne volonté ? Une générosité hâtive peut être lourde de conséquences.
Pour que les réfugiés puissent être accueillis dignement, pour que les migrants légaux aient la capacité de s'intégrer à la communauté nationale, l'État doit conduire une politique d'immigration équilibrée et cohérente. C'est la responsabilité que m'ont confiée le Président de la République et le Premier ministre.
Bien sûr, respecter le droit d'asile est un devoir. La France honore ses engagements, puisqu'elle a reçu près de 40 000 demandes d'asile l'année dernière, ce qui la place au premier rang des pays de l'Union européenne. Près de 125 000 personnes bénéficient aujourd'hui, dans notre pays, du statut de réfugié. Nous remplissons d'autant mieux notre devoir d'accueil que nous luttons contre les détournements de procédure.
Il faut, dès lors, adresser un message clair aux candidats à l'émigration, en leur démontrant que la clandestinité est une voie sans issue. Il faut, aussi, organiser l'immigration légale, en concertation avec les pays d'origine. Il faut, dans le même temps, travailler à l'intégration des immigrés légaux à notre communauté nationale. Il faut, surtout, en amont, aider au développement des pays d'origine de l'émigration, par une politique active et responsable. Ce sont là les grandes lignes de mon action.
La clarté à l'égard de l'immigration clandestine est nécessaire dans l'intérêt même des migrants. Une personne sans papiers enfreint la loi, mais elle est souvent une victime, cible d'employeurs sans scrupule, après avoir été celle de passeurs sans vergogne. Ma responsabilité est de combattre les esclavagistes de notre temps. Lorsque les forces de police et de gendarmerie arrêtent, depuis le début de l'année, 3 500 passeurs et 600 marchands de sommeil, ce sont des milliers d'étrangers qui se trouvent libérés.
Nous devons aussi tout faire pour intégrer les immigrés légaux à la communauté nationale, en favorisant leur accès au marché du travail et leur apprentissage de la langue française. C'est dans cette perspective que j'ai fait voter la loi du 20 novembre 2007 réformant la procédure du regroupement familial. Comment une famille étrangère arrivant en France pourrait-elle s'intégrer si les parents ne peuvent s'exprimer en français et s'ils sont privés d'un logement décent ?
Il nous appartient, plus encore, de répondre au défi du développement des pays d'émigration : c'est la seule solution pour maîtriser, durablement, les flux migratoires. À l'évidence, la pression de l'immigration clandestine qui s'exerce sur le Nord se nourrit des déséquilibres du Sud. Comment redonner à la jeunesse d'Afrique confiance en elle-même, pour la convaincre de construire son avenir en dehors de l'émigration ? Nous voulons commencer par établir un vrai dialogue, sans faux-semblants, avec les pays d'émigration. C'est tout le sens des accords que nous venons de conclure avec le Sénégal, le Gabon, le Congo et le Bénin, et que je prépare avec les autres États africains. Pour la première fois, la politique d'immigration de la France est définie en concertation avec les pays d'origine.
Je souhaite, enfin, rappeler que le destin de la France ne s'écrit pas sur une page blanche. L'identité de notre nation est l'héritage d'une histoire. Oui, nous sommes les dépositaires d'un patrimoine de valeurs spirituelles que la morale laïque a incorporées. Le dire aux étrangers qui résident aujourd'hui dans notre pays, c'est les inviter à ne pas rester prisonniers de leurs communautés. Et c'est les inviter à rejoindre notre communauté nationale.
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