Hommage à Ronald Reagan, dirigeant de bonne volonté
Article rédigé par Cédric d'Ajaccio, le 11 juin 2004

Ronald Reagan a donné aux Américains et aux yeux du monde entier l’image d’une Amérique retrouvée, fière d’elle même, forte, leader naturel du monde occidental en un temps où la rivalité des deux blocs prévalait encore.

Elle restait pourtant rassurante pour le monde libre et pleine d’espérance pour le monde encore prisonnier de " l’Empire du Mal " (une expression qui n’a finalement paru exagérée qu’à ceux qui ne le vivaient pas de l’intérieur ou qui rêvaient encore de l’étendre à l’Ouest et au Sud).

Face à une Amérique qui désormais " fait peur ", même aux admirateurs de Reagan (il y en avait peu " en temps réel ", mais il y en avait quand même) ; face à une Amérique qui semble rechercher dans l’opposition du monde entier les remèdes à son hyper-puissance ; face à une Amérique qui donne enfin des raisons d’être majeures et impérieuses à une Europe réunie à qui elles manquaient tant, il est particulièrement intéressant de réfléchir un instant à l’équation personnelle de Ronald Reagan. Cette équation semble être d’un grand poids dans la balance de ce jugement, avec aussi le changement profond des circonstances mondiales qui devrait amener sans doute les États-Unis à une révision profonde des priorités de son agenda.

À un lectorat majoritairement chrétien, il doit être possible de dire que l’incarnation des vertus cardinales (qui en sont peut-être aussi en politique) et le rayonnement en sa personne des fruits de l’esprit n’y jouent pas un rôle mineur.

La force. Il incarnait, lui, la force (dont on a habilement essayé de revêtir un vieux matois de Saintonge), la résolution sans faille, sans une once de méchanceté ou de dureté personnelle perceptible, c’est-à-dire avec modération, sur le plan interne comme sur le plan international.

Le " lock out " résolu, puis le licenciement sans sourciller, des aiguilleurs du ciel en grève, en transgression de leurs obligations statutaires, symbolise parfaitement la fin de la " chienlit aéronautique " de la dernière période carterienne et devrait montrer à d’autres les retombées bénéficiaires d’un moment de fermeté. Un homme d’État apparaissait en faisant appliquer la loi : défi au bon sens de l’aristocratie républicaine française pour qui se déculotter en public est devenue une hygiène quotidienne.

Au plan international, à l’abri de la devise " Peace through Strength ", son image de Terminator du monde soviétique, même vermoulu selon la remarque d’Hubert Védrine, ne lui est plus contesté que par le dernier carré vivant des gorbatcheviens, qui voient en ce dernier Secrétaire général un nouveau Madison, en particulier par tous ceux qui se demandaient s’ils pourraient un jour vivre ce " Grand Soir " à rebours. Même un public d’afficionados de Jean Paul II, cet efficace Picador de l’Ours soviétique, acceptera sans doute de reconnaître que le rôle de Matador revînt à Ronald Reagan. La force mesurée, guidée par la justice, et non sans prudence le plus souvent.

À propos de son courage, Margaret Thatcher avait écrit : " Le monde entier se rappelle l’esprit et la grâce avec lesquels le Président a traversé l’épisode douloureux de l’attentat dont il a été victime, et dans lequel il aurait pu laisser la vie. C’est là une des occasions où les gens peuvent voir le caractère réel d’un homme. Les gens ont vu et ont admiré ce qu’ils ont vu : la bravoure face au danger, l’absence d’apitoiement sur soi-même, et le désir de rassurer au contraire sa famille et le pays par des plaisanteries et des traits d’humour (on se rappellera le : " Désolé Chérie, j’ai oublié de me baisser ! "). (1)

Les fruits de l’Esprit, selon St Paul aux Galates (V, 22-23) , sont " charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi ". On nous pardonnera de penser, lisant ce texte, que la corbeille de Ronald Reagan en était largement pourvue. Non seulement, il ne se prenait pas au sérieux, mais ce vivant défi à la conception française de l’aristocratie républicaine pratiquait une auto-dérision jubilatoire. Exemple : " Devenir président des États-Unis comporte un immense avantage, les carnets scolaires de votre enfance se trouvent classés top secret. "

L’homme respirait l’équilibre personnel, la focalisation sur cet essentiel de la politique qu’est la relation directe avec les citoyens. Il irradiait la confiance et communiquait l’enthousiasme, tout ce qui nous manque bien cruellement à " nous autres ", depuis que le pouvoir est monopolisé par les " premiers de la classe " (en ce sens on regarde se mouvoir Nicolas Sarkozy, avouons-le, avec un petit pincement quelque part). Il est heureusement gardé de tout risque de béatification par le fait de son divorce, que son amour durablement romantique pour Nancy Reagan a fait oublier.

Héritage. Comment aurait-il regardé George Bush Jr son héritier proclamé (et entouré qui plus est de nombreux proches de Reagan) et qu’en aurait-il dit, s’il n’avait été plongé dans les brumes de la maladie, qu’il a su aborder avec la même grâce que sa gloire de Président triomphalement réélu ? Nul ne peut le dire, et il serait indigne de prétendre le faire parler.

Aussi vaut-il mieux dire ce que nous en pensons nous directement en réfléchissant sur cet héritage et ce père fondateur.

Avec Reagan, les États-Unis ont à nouveau caracolé en tête du monde libre avec le plaisir non dissimulé de la plus grande partie du monde entier et progressivement avec l’admiration, rentrée ou déclarée, non seulement de tous les amis de la liberté, mais aussi de tous les observateurs de la politique et de la géostratégie. Avec Bush Jr en revanche, dont la fibre était perçue a priori, pour le plus grand plaisir des reaganiens autochtones ou de cœur, comme plus proche de celle d’un Reagan que d’un Bush Sr, les États-Unis sont sortis de la piste dans la ligne droite des Hunaudières. Passage de la mesure à la démesure (l’antique hubris qui vient châtier l’arrogance des mortels), de la force retrouvée à la violence (tout court mais aussi aux règles et aux us et coutumes de la civilisation du droit et de la civilité diplomatique), de l’humilité à l’orgueil, de l’exemplarité au contre-exemple.

La règle, que nous suggérons ici, est à nouveau vérifiée : " Il n’y a souvent pas de pire calamité pour les maîtres que leurs disciples autoproclamés. " Nous n’imaginons pas que Ronald Reagan ait pu se satisfaire d’un défi permanent au droit international contemporain, dont l’Amérique fut au XXe siècle le plus grand inspirateur, et qu’il puisse reconnaître la paternité d’une Amérique " über alles ".

Pour finir cet éloge avec la parole de Ronald Reagan lui-même, retenons deux citations, une plaisante (parmi les meilleures) et une autre, révélatrice de la profondeur de ses convictions et de sa vision du monde. Il racontait à propos de son ennemi préféré la blague suivante : " Savez-vous quels sont les quatre obstacles au développement de l’Union Soviétique ? ‘Well’, le printemps, l’été, l’automne et l’hiver " (citée par Le Point du 10 juin).

Il concluait son discours Sur les États-Unis et le Monde dans les années 90 de la manière suivante : " Mais l’histoire ne fera pas le travail pour nous. Après tout : nous croyons en la volonté libre d’êtres humains, et non, comme les déterministes, à la primauté des forces de l’histoire. C’est pourquoi, je dis que le futur est entre nos mains… L’avenir est brillant pour la cause de la liberté. "

Cédric d’Ajaccio fut le seul éditeur français à avoir traduit et publié certains discours majeurs du président Ronald Reagan, notamment le " Discours de Moscou " de 1988 ainsi que le discours sur " Les États-Unis et le Monde dans les années 90 " (Liberalia n° 5 et 7, 1990).

(1) " Ronald Reagan et le renouveau de l’Occident ", in Liberalia n° 7 décembre 1990.

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