Hollywood catholique (II) : John Ford et les communautés mystérieuses
Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 26 juin 2009

Ford était irlandais, et son nom en anglais désigne un passage. Cette communauté a été la première communauté américaine, en peuplement, après la communauté allemande. Mais elle l'a infiniment plus marqué, en tout cas au cinéma, à l'image de la communauté juive.

Ford a été un maître du pittoresque et de la description des communautés organiques villageoises, aventureuses ou hauturières. Il y a des stéréotypes, la jeune fille à marier, la matrone forte en gueule, le sergent un peu saoul, le révérend décalé. Deux acteurs, d'ailleurs très réactionnaires, ont accompagné Ford dans des dizaines de productions ; il s'agit de Ward Bond et de Victor McLaglen, deux colosses aux idées bien arrêtées, hommes d'humilité et de compagnie, grands buveurs devant l'Eternel, figures rabelaisiennes disciplinées par l'éducation anglo-saxonne et la nature américaine.
L'immense filmographie de Ford nous écrase : je me sens personnellement à l'aise avec trois œuvres maîtresses, Fort Apache, dont j'ai déjà parlé à propos de la http://www.libertepolitique.com/culture-et-societe/5021-la-danse-et-le-salut-de-loccident
Danse qui structure l'âme et le corps de la cavalerie (et crée les couples qui durent, presque dans un sens nietzschéen : la mère, le guerrier, le quadrille), l'illustre Prisonnière du Désert et l'Homme qui tua Liberty Valance.
Ce dernier film est le film du crépuscule, le dernier grand western, le film qui liquide les légendes, comme Don Quichotte ou madame Bovary liquident l'histoire de la littérature : on voit la mort du mal et de la barbarie, et l'on assiste à l'émergence de la démocratie moderne, spectaculaire et déprimante à souhait. Wayne incarne le marginal, l'ancien héros inadapté qui va permettre à l'avocat de prendre le pouvoir dans un ouest subitement transformé en dépliant pour touristes. Et James Stewart un étonnant et ronchon triomphateur malgré lui. Un peu comme l'Illusion comique de Corneille qui sonne le glas du baroque français, l'Homme qui tua Liberty Valance clôt le classicisme hollywoodien et la véritable odyssée de l'espace. Désormais, nous serons cernés par le silence éternel des espaces infinis.
La prisonnière du désert
J'ai un faible pour la Prisonnière du désert. Deux hommes que tout sépare (race, âge, expérience, comportement) sauf la famille, font mille fois le tour de la célèbre Monument Valley pour retrouver Debbie. Debbie est symbolisée par sa chevelure (le scalp comme métonymie), par sa poupée, par son chien. Dans l'inoubliable couleur sang et cendres, elle est enlevée par un chef indien jouée par un acteur allemand. Et comme s'ils faisaient du manège, comme s'ils étaient des chevaliers de la table ronde tournant au rond autour d'un château tournoyant, John Wayne le vétéran sudiste de droite et son jeune compère métis vont parcourir le monde, refont et redéfont le monde jusqu'à retrouver la gamine transformée en femme indienne, et subitement ramenée à la raison, comme son oncle raciste qui voulait la tuer pour d'obscures raisons (aimait-il trop la mère de l'enfant ?). Dans ce film sublime, les personnages secondaires sont tous extraordinaires, sortis comme d'une matrice de cette communauté mystérieuse, organique et anagogique (on me pardonnera ce lexique médiéval).
Mais je reste un fan absolu de Fort Apache. Pour Fonda. Fonda le fou, Fonda le poète, Fonda le danseur, colonel en mal d'absolu, qui veut à tout prix s'inventer des Indiens barbares pour se faire tuer et fuir dans l'honneur un monde qui l'ennuie. Fonda est inspiré par Custer, mais il est plus intéressant que Custer, même que le Custer de Walsh, joué pourtant par Errol Flynn. Il est là où il ne doit pas être, comme au bal des sous-officiers où il est convié et où il danse admirablement. Il écrase de sa lumière noire le géant Wayne, qui lui, désarmé pourtant, laisse tomber sa ceinture lorsque les Indiens de Cochise arrivent, cette sublime nuée de poussière et de violence historique, fantômes qu'à ce lieu ce pur éclat assigne, comme a dit le poète.

  • Sur ce sujet, voir aussi :

Hollywood catholique (I) : Raoul Walsh, un cinéaste armé jusqu'au ciel
La semaine prochaine : Hollywood catholique (III) : Hitchcock et châtiments

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