Héritage chrétien: la bataille continue
Article rédigé par Christine Mifsud*, le 15 juillet 2004

[Bruxelles] – Une bataille rude, mais sans surprise. Si la référence à l'héritage chrétien dans le futur traité européen est difficile, c'est parce que nous sommes au cœur d'une bataille spirituelle.

Beaucoup essaient de diminuer l'importance de la campagne en faveur de cette reconnaissance, et d’en amortir l'effet en la réduisant à une querelle de mots, dans un monde désormais sécularisé.

Mais la crainte n’est pas du côté que l’on croit. Tandis que le Pape Jean Paul II nous invite à entreprendre tout ce qui est possible pour obtenir la référence à l'héritage chrétien dans la Constitution, l'adversaire ne ménage pas sa peine pour obtenir le contraire.

Entre les deux, beaucoup sommeillent. D'autres sont aveuglés par le brio de leur démonstration intellectuelle, et leur inaltérable confiance dans les vertus de la loi, du droit et des institutions. Selon ces esprits forts, le mot n’est pas la chose, et il ne sert à rien d’exposer l’héritage chrétien pour le protéger (à l'encontre de la plus élémentaire pédagogie et de toutes les cultures du monde qui s'assurent de leur continuité par l'enseignement). D'autres arguent de la puissance de l'Église institutionnelle pour soutenir les croyants en cas de mises en cause, de vexations, ou de persécutions.

Au crédit de la campagne en faveur de la référence à l’héritage chrétien

1. La démarche consistant à unir la société civile européenne et les croyants (laity) dans cette campagne en faveur de l'âme de l'Europe constitue une victoire en soi. Cette unité vivante qui s’est ainsi manifestée doit être célébrée comme telle. Depuis de longs mois, actions et prières ont rassemblé catholiques, protestants, évangéliques, anglicans, orthodoxes, etc., chacun dans son langage spirituel propre, autour d’une même cause. Ces moments ont valeur de guérison pour tant de blessures séculaires. Cette unité appelle l’action de grâce, et l’intervention de Dieu pour protéger cette unité peu à peu reconquise. Il est clair que cette unité dérange : " C'est par votre amour et votre unité qu'ils reconnaîtraient que je suis le Fils de Dieu. "

2. L'unité des peuples a précédé l’unité des chefs politiques, élus et dirigeants. Ce mouvement subsidiaire est décisif pour la nouvelle Europe réunifiée. Désormais, chacun sait sur qui il peut compter.

3. Autre réussite significative : la mise à l’écart du candidat belge à la présidence de la Commission, Guy Verhofstadt, adversaire déclaré de la référence à l'héritage chrétien.

4. Dans le projet de Constitution adopté le 18 juin, le mot "spirituel" a été remplacé par le mot "religion". Dans une société où tout ce qui relève de la foi est relégué à la sphère privée, et où le terme "spirituel" peut se rapporter au New Age ou à n’importe quelle obédience, secte et philosophie, il est, en effet, positif d’avoir obtenu le terme "religion".

5. L'article 51 qui protège le rôle des Églises, leur statut national, et leur devoir de présenter des observations aux gouvernements, est maintenu dans le projet de Constitution. Longtemps la Belgique, soutenue par des mouvements ouvertement maçonniques se sont opposés à cet article. Il s'agit encore d'un succès.

6a. Parmi les plus grandes victoires à célébrer on notera le fait que la société civile et les croyants (laity) ont réussi à propager le feu d’une campagne donnée perdue d’avance ! Tandis que les conseilleurs politiques ou religieux prêchaient l’abstention par souci de préserver leur honorabilité, nous savions qu'il ne fallait pas suivre le conseil de l'homme mais la flamme du désir de Dieu. La foi de notre baptême voulait des cœurs ardents à témoigner. Et le feu ne s’est pas éteint. Et la référence à l’héritage chrétien, dignement enterrée par les conventionnels, n’a cessé depuis lors d’apparaître comme une pierre d’achoppement, contre vents et marées...

6b. La conséquence du point 6a est que nous, la société civile, avons réussi à influencer les événements, et l’ordre du jour politique pendant dix-huit mois. Omniprésente dans les médias, la question de l’héritage chrétien ne s’est pas posée aux décideurs politiques comme une question technico-juridique, mais comme une question de conscience. Désormais, ils ne peuvent plus dire : " Je ne savais pas ", et ils devront assumer leur choix.

7. L’unité d’action des croyants européens auprès des décideurs politiques est œuvre d’évangélisation au sens strict. La mission du baptisé s'étend aussi à la sphère politique. Grâce à la pétition en faveur de l’héritage chrétien, la conscience politique de nombreux croyants s’est éveillée, comme surgissant de la torpeur d’un long sommeil. "Brussel" et les institutions européennes étaient loin de leurs préoccupations citoyennes, notamment dans les États membres les plus anciens, où l’on jouit d’un bien-être matériel et de la liberté depuis longtemps. L’enjeu spirituel de la nouvelle évangélisation en Europe a provoqué une prise de conscience politique. Une œuvre d’éducation civique s’est dessinée. Cet ressourcement dynamique est une victoire non seulement pour l’Église, mais aussi pour les nations européennes : la "puissance créatrice de la chrétienté européenne" (O. Schweitzer) s’est réamorcée.

7b. Cette puissance créatrice se renforcera par la conjugaison de l'intelligence et de la prière. La redécouverte par beaucoup de la dimension publique de la prière n’est pas le moindre des points positifs : tout baptisé se doit de prier pour les responsables politiques de son pays.

Le projet de traité est inacceptable en l’état

Le projet de traité adopté par les chefs d’État et de gouvernement ne comprend toujours pas de référence à l'héritage chrétien.

Tandis que la voix de la raison, laïque et parfois religieuse, presse les partisans de l’héritage chrétien à se satisfaire de l'article 51, la vérité oblige à reconnaître que cet article constitue un objectif nécessaire, mais pas suffisant. L'article 51 permet à l'Église ce qu'elle fait déjà, c'est-à-dire se prononcer à temps et à contretemps au service de l’homme et du bien commun. Mais l'art. 51 attribue ce rôle à d’autres associations ou organisations non gouvernementales, dont les valeurs revendiquées sont en contradiction formelle avec les fondements historiques de la civilisation européenne, de ses valeurs et de son droit.

Bref, l'article 51 ne suffit pas. D’autant plus que les institutions européennes offrent des ressources, une autorité et une caisse de résonance à des organisations hostiles à l’Église bien plus grandes que dans le cadre national, a fortiori lorsqu’il s’agit de remettre en cause des principes de droit historiquement fondés.

En outre, l'article 51 peut se prêter à une interprétation restrictive qui viserait à contenir le rôle de l'Église.

Dans le respect de la légitime laïcité des institutions, la référence à notre héritage commun, dans toutes ses dimensions, garantit seule la liberté de conscience des citoyens, limite l’arbitraire des pouvoirs, et assure l’universalité partagée des valeurs qui fondent la société avec les autres civilisations. En se battant pour cette référence, nous nous battons contre un ordre international global et sans limites, et pour les libertés individuelles et collectives.

Arguments pour agir

1. Plus que jamais, entendre l'appel du pape Jean Paul II qui supplie le monde chrétien d’entreprendre tout ce qui est son pouvoir pour inclure la référence à l'héritage chrétien dans le projet de constitution.

2. Poursuivre la quête de signatures individuelles et collectives (en France : la pétition "Dieu a sa place en Europe").

3. Féliciter les sept chefs de gouvernements qui n'ont pas baissé les bras, malgré l’adhésion de leur pays au projet du 18 juin (Slovaquie, Italie, République tchèque, Malte, Lituanie, Pologne, Portugal). Nous pouvons leur écrire, invoquer le poids des peuples dans la décision des élus démocratiquement élus, et leur rappeler la clause de révision qui permet encore une possibilité de changement du traité et de corriger la grave erreur qu’une ratification du traité comme tel entraînerait non seulement vis-à-vis de la démocratie mais aussi vis-à-vis de la vérité historique et finalement devant l’avenir. On parle tant de développement durable…

4. Leur rappeler l'art. 46.4 du projet de Constitution qui permet à la société civile européenne de proposer une loi en recueillant un million de signatures. Or 1.200.000 citoyens ont signé notre pétition civile et plus de 55 millions de membres d’associations et ONGs soutiennent cette demande, le total dépassant le pourcentage des citoyens qui sont allés voter lors des élections européennes du 13 juin.

5. Prier pour les leaders politique et les pays qui vont voter par voie référendaire sur la Constitution.

6. Faire entendre notre voix dans les médias.

Agir au long du processus de ratification

Après l’adoption d’un projet de texte par les chefs d’État et de gouvernement le 18 juin, le projet de Constitution sera soumis à référendum ou à vote parlementaire pour ratification dans chacun des vingt-cinq États membres (le feu vert qui permet l'entrée en vigueur de la Constitution). Il s'agit d'un long chemin. L'encre du traité n'est pas encore sèche. Avant la ratification, des changements peuvent encore avoir lieu grâce à la clause de révision, autorisant toute modification sur décision unanime des chefs d’État et de gouvernements.

Par ailleurs, la bataille de la ratification ouvrira l’espace du débat politique à tous les arguments en faveur du traité ou en sa défaveur, quelle que soit la décision que prendront au final les électeurs, citoyens ou parlementaires. C’est donc le moment où jamais de prendre la parole pour exprimer son point de vue. Plus celui-ci il aura de poids aujourd’hui, plus il pèsera demain pour modifier le traité, tant il est vraisemblable que l’unanimité des Vingt-cinq ne sera pas acquise.

Pour conclure

1/ Comme tout révisionnisme, nier une vérité historique amorce une forme de totalitarisme. Par totalitarisme, on entend religion synthétique de substitution, créée par l'homme pour s’affranchir de toutes limites. Dans ce cadre, entrent tous les totalitarismes du siècle dernier : communisme, nazisme, fascisme. Sera-ce demain le cas du sécularisme et du rationalisme ?

Tout révisionnisme constitue une menace à la liberté de pensée. Au Danemark, nier une vérité historique, comme celle de l’Holocauste, constitue une crime punissable de deux ans de prison. Ils est pourtant si facile aux historiens de nier les massacres qui ont eu lieu à Rome, au Colisée, par exemple ou encore maintenant, en Chine ou à Cuba : pourquoi ?

2/ La référence à l'héritage chrétien a l'appui de la plupart des États et des peuples. Normalement toute décision démocratique fonctionne selon la règle de la majorité. Or les dirigeants européens se sont pliés au diktat d’une minorité selon la loi du " consensus " (euphémisme pour faire obstacle à la vérité). Il s'agit aujourd’hui de faire obstacle à un mot. Demain, il s'agira peut-être d’opposer deux visions plus radicales, deux paradigmes, deux systèmes de croyances diamétralement opposés, avec leurs conséquences sociales, culturelles, politiques.

*Christine Mifsud est coordinatrice de la pétition européenne en faveur de la reconnaissance de l'héritage chrétien pour l'ICPE-International Catholic Programme of Evangelization (Bruxelles).

© Traduction Décryptage.

FICHE POLITIQUE

Décideront par voie parlementaire

Allemagne : la constitution doit être ratifiée par le Parlement. Le référendum n'est pas à l'ordre du jour.

Autriche : aucun référendum n'est projeté.

Pays baltes, Lettonie, Lituanie et Estonie : aucun n'est susceptible d’organiser un référendum.

Chypre : le parlement décidera.

Finlande : selon le gouvernement, aucun référendum n'est nécessaire.

Grèce : ratification de la Constitution par le Parlement.

La Hongrie : aucune indication pour un référendum.

Italie : pas de vote populaire sur la Constitution.

Malte : tous les traités internationaux doivent passer par le Parlement. Il n'y aura pas de référendum.

Slovaquie : aucune imposition législative pour un référendum, le Parlement en décidera.

Slovénie : Pas de besoin législatif pour un référendum, mais la nouvelle Constitution doit recevoir l'approbation du gouvernement et du Parlement.

la Suède : le parlement a besoin d'une majorité simple pour ratifier une Constitution. Pas de référendum prévu.

Décideront par referendum

Belgique, République tchèque, Danemark, Irlande, Luxembourg, Portugal (début 2005), Espagne, Royaume Uni (pas avant 2006 selon Tony Blair), France (automne 2005).

Pays indécis

Pays Bas : un référendum consultatif semble être à l'ordre du jour.

Pologne : les leaders politiques et l'opposition veulent un référendum mais désaccord sur la date.

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