Article rédigé par Antoine Besson, le 13 août 2011
[SERIE D'ETE] Suite de notre série d'été sur la saga des Harry Potter et ses enseignements philosophiques, ce quatrième volet propose de décrypter les amorces de réflexion contenues dans le discours du directeur de l'école de Poudlard, Dumbledore. Sans prétendre faire l'inventaire des intentions de J.K. Rowling, l'auteur des romans, ou l'apologie d'une sagesse inhérente à la fiction, la lecture de ces tomes peut être cependant l'occasion d'un vrai dialogue avec le lecteur sur nombre de points essentiels et philosophiques. Petit pot pourri de citations des derniers tomes et pistes de réflexion à l'usage des parents de lecteurs.
L'Ordre du Phénix ou les maux de l'indifférence
"L'indifférence, la négligence, font parfois beaucoup plus de dégâts que l'hostilité déclarée..." (L'Ordre du Phénix, p. 936).
Toute simple, cette leçon de Dumbledore renvoie à la réalité de notre société où règne l'indifférence. On se croise, on se frôle, mais on ne se rencontre pas. L'anonymat, la solitude sont des maux effroyables de nos villes immenses : nombreuses sont les associations humanitaires qui attirent notre attention là-dessus.
Au-delà du simple constat, Dumbledore rappelle avec sagesse que cette indifférence aujourd'hui banalisée est pourtant une violence vis-à-vis d'un besoin profond de l'homme : être reconnu, exister comme personne et, si possible, être aimé. Ce besoin-là n'est pas purement psychologique, il est enraciné dans la nature de l'homme – substance individuée de nature raisonnable, autrement dit le fait d'être une personne. Laisser quelqu'un dans l'indifférence, le négliger, le traiter comme une chose voire comme rien, c'est nier un de ses droits fondamentaux qui découle directement de sa nature d'être humain.
L'hostilité, la haine, la méchanceté sont évidemment répréhensibles. Dumbledore n'en fait pas ici l'apologie. Il dit simplement que ces maux sont d'une certaine façon moindre que l'indifférence parce que, pour haïr quelqu'un, il faut encore le reconnaître comme personne, le connaître dans ses caractéristiques : il y a toujours un motif à la haine ! Au contraire de l'ignorance qui néantise l'autre – opération de destruction absolue, pire que la haine.
Dans L'Ordre du Phénix, Harry a 15 ans, le sommet de l'adolescence. À cet âge, on aime séparer le monde entre ceux qui sont comme nous et les autres. En réalité, on passe à côté de beaucoup de personnes extraordinaires, par pure négligence. La leçon porte pour cet âge en particulier... mais pour tous les âges en général. Ce tome pourrait donc être l'occasion de revenir sur ce qui caractérise la nature humaine et l'attention naturelle (ou la bienveillance) que mérite tout homme quel qu'il soit. La leçon est capitale pour le lecteur comme pour Harry Potter, et Luna Lovegood est un personnage qui incarne parfaitement cette leçon dans la saga. A terme, ce sont non seulement les rapports et les comportements vis-à-vis des autres qui sont en cause, mais également le statut de la personne humaine et de ses droits fondamentaux dans nos sociétés modernes et dans nos vies personnelles.
Le Prince de sang-mêlé ou du rôle de l'expérience dans le gouvernement de soi et des autres
Hermione à propos du conflit qui oppose Percy et son père : "Dumbledore affirme qu'on pardonne plus facilement aux autres d'avoir eu tort que d'avoir eu raison" (Le Prince de sang-mêlé, p. 115).
Ici Dumbledore délivre une leçon de l'expérience. C'est l'orgueil qui est visé. Reconnaître qu'autrui a eu tort, c'est concéder qu'on a eu raison. Pardonner, dans ce cas-là, c'est faire preuve d'une magnanimité à bon marché... La tentation d'écraser l'autre ou de le dénigrer n'est pas loin et on peut vite faire preuve d'une injustice qui transforme ce pardon en caricature de lui-même.
Il n'est pas difficile d'accepter qu'autrui se trompe. Il est bien plus exigeant de reconnaître qu'autrui a raison car cela implique souvent que nous ayons tort. Il faut une grande humilité – qui n'a rien à voir avec une dévalorisation de soi – mais qui remet chaque chose – éventuellement chacun – à sa place. À proprement parler, il n'y a d'ailleurs rien à pardonner dans le fait qu'autrui ait eu raison. Mais le reconnaître, en justice, demande assurément une maîtrise de soi, une honnêteté, bref une vertu aussi difficile que nécessaire. Pour le lecteur et son éducateur, ce passage est une occasion précieuse de revenir sur les démarches qui nous coûtent et, pourquoi pas, d'examiner si nous ne plaçons pas notre fierté en un mauvais lieu.
"Voldemort s'est créé lui-même son pire ennemi comme le font toujours les tyrans partout dans le monde ! Sais-tu à quel point ces tyrans craignent les peuples qu'ils oppressent ? Chacun d'eux sait très bien qu'un jour, parmi ses nombreuses victimes, il y en aura forcément une qui se lèvera et frappera à son tour !" (Le Prince de sang-mêlé, p. 586).
Le propos se fait ici politique. C'est là encore une leçon de l'expérience. On pourrait décliner ce principe propre en l'appliquant à tous les totalitarismes, mais plus largement encore à toutes les tyrannies.
Dumbledore décrit un mécanisme politique et en tire une leçon : l'oppression crée toujours au sein de ses victimes un mouvement de réaction qui se retournera contre l'oppresseur ou son instrument. Pour le prince, cela signifie concrètement qu'il ne pourra jamais opprimer impunément un peuple ; il serait par là l'instrument de sa propre perte. Positivement, il faut entendre le rappel que le gouvernant est au service du peuple. L'autorité légitime est accordée par les citoyens qui, en tant qu'hommes libres, peuvent choisir de déléguer leur pouvoir au prince. La citoyenneté implique donc la liberté d'agir pour sauvegarder le bien de la cité, jusqu'au tyrannicide s'il le faut.
Le tyran monopolise le pouvoir pour une finalité qui n'est pas le bien commun : il est le contraire du monarque dans la classification aristotélicienne. Dumbledore semble indiquer que, au fond de lui, le tyran sait qu'il agit mal, pour le mal, et que cela ne peut durer indéfiniment. Simplement parce que nul prince ne peut en droit (et donc durablement) se faire lui-même l'origine de son pouvoir.
Dans notre société hyper politisée qui voit sans cesse le politique s'inscrire dans le débat public selon des formes plus ou moins appropriées, cette citation est l'occasion de revenir sur les principes de la politique (le bien commun), la justice d'un gouvernement, l'engagement du citoyen dans la cité et ses responsabilités.
Les reliques de la mort ou ambition et service en politique
"c'est une chose curieuse à dire, Harry, mais peut-être que les plus aptes à exercer le pouvoir sont ceux qui ne l'ont jamais recherché. Ceux qui, comme toi, reçoivent la responsabilité du commandement et endossent ce manteau parce qu'ils le doivent, puis s'aperçoivent, à leur grande surprise, qu'ils le portent bien" (Les reliques de la mort, p. 837).
Là encore, le propos est politique ; et à quelques mois d'une élection présidentielle, il revêt une actualité toute particulière. Dumbledore fait ici la différence entre l'ambition et le service, la cupidité et le don de soi. Le pouvoir ne se prend pas, il se reçoit des citoyens. Ceux qui le prennent ou cherchent à le prendre ont déjà faussé leur action politique. Par définition, le prince est un serviteur. Il doit donc être un homme vertueux, et de la plus haute vertu, puisque sa prudence sera une prudence pour lui-même et pour autrui, la prudence politique.
L'homme qui cherche le pouvoir s'affaire en stratagèmes, intrigues, campagnes d'influence... Toutes choses qui monopolisent son temps, un temps qui n'est plus consacré à mener une vie bonne, à penser, à contempler la vérité et à agir dignement. À l'inverse, celui qui cherche le vrai bien acquière des compétences, des dispositions et une intention qui pourront se révéler bénéfiques à la société politique quand le temps sera venu.
Dumbledore dénonce donc en un sens la vie politique moderne, avec une clairvoyance autant sympathique que déroutante. Pour autant, faut-il y voir une remise en cause du système ou des personnes politiques ? Là encore, il y a matière à penser pour de nombreux lecteurs.
Harry Potter et les leçons sur la mort
La mort est un sujet central dans Harry Potter. Depuis le premier tome – où la perte de ses parents et son statut d'orphelin sont très présents – jusqu'au dernier – où Harry a dans l'intention de se sacrifier pour sauver ses amis –, la mort revêt de multiples formes (celle d'un proche ou d'un ennemi, l'immortalité, le sacrifice...), tout comme la manière dont les principaux protagonistes l'envisagent. Aussi nous semble-t-il intéressant de voir quelles pistes de réflexion offrent les romans sur ce thème.
En la matière, une collection de citations peut être relevée. Il y a certainement beaucoup d'autres passages où ce thème, véritablement récurrent, est abordé. Nous ne citerons donc que les plus essentielles selon nous :
"En vérité ton incapacité [celle de Voldemort] à comprendre qu'il existe des choses bien pires que la mort a toujours constitué ta plus grande faiblesse..." (L'Ordre du Phénix, p. 914-915).
"Après tout, pour un esprit équilibré, la mort n'est qu'une grande aventure de plus" (L'école des sorciers, p. 290).
"Il n'y a rien à craindre d'un cadavre, Harry, tout comme il n'y a rien à craindre de l'obscurité. Lord Voldemort qui, bien entendu, craint secrètement l'un et l'autre, ne serait pas d'accord avec cette affirmation. Mais une fois de plus il révèle son manque de sagesse. C'est l'inconnu qui nous fait peur quand nous contemplons la mort ou l'obscurité, rien d'autre" (Le Prince de sang-mêlé, p. 650).
"Tu es le vrai maître de la mort parce que, la mort, le vrai maître ne cherche pas à la fuir. Il accepte le fait qu'il doit mourir et comprend qu'il y a des choses pires, bien pires que la mort" (Les reliques de la mort, p. 770).
Sur ce sujet, la parenté avec les écoles de philosophie grecques, en particulier l'épicurisme et le stoïcisme, est frappante. On le sait, dans ces écoles de philosophie, l'enjeu n'est pas seulement d'apprendre à penser : la philosophie est un art de vivre, un exercice spirituel , selon le mot célèbre de Pierre Hadot. Le bonheur y est compris comme l'ataraxie, l'absence de troubles. Or, parmi les réalités qui nous troublent le plus, il y a bien entendu la mort.
On connaît le raisonnement d'Épicure : la mort n'est pas à craindre parce que tant que nous sommes vivants, elle n'est pas là, et quand elle est là, nous ne sommes plus là pour nous en apercevoir. De sorte que la mort n'est rien. Le propos n'est pas ici anthropologique mais moral. Il ne s'agit pas tant de nier que la mort soit le pire des maux que de la replacer dans le contexte de la nature de l'homme : comme tout vivant naturel, il doit mourir.
Les exhortations de Dumbledore vont dans le même sens. Il y a pire que la mort veut dire à la fois que la mort n'est pas à craindre et que vivre mal ou dans le mal est encore plus dommageable, car cela revient à rater ce qui dépend de nous – mener une vie vertueuse et donc heureuse – en se focalisant sur ce qui n'en dépend pas – l'heure et les conditions de notre mort. Dumbledore est donc très grec dans sa manière d'aborder la mort. Il y a là comme une conséquence de la prise en compte de la nature de l'homme pour mener une bonne vie : une école du réel ! Voldemort est l'exact opposé de ce consentement à l'ordre de la nature : il n'a de cesse de se transformer et tente par tous les moyens à sa portée de devenir ce qu'il n'est pas !
Voici une leçon essentielle pour le lecteur. L'occasion de réfléchir à ce qui dicte ses actions et ses réflexions. Porte-t-il assez d'attention au monde qui l'entoure et à la nature des choses ? Ce questionnement et la prise de conscience de l'importance de l'ordre du réel seront d'autant plus importants pour les jeunes lecteurs qui cèdent parfois à la tentation de se réfugier dans un monde de fiction, voire de science-fiction.
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Cette série d'articles est réalisée avec l'aimable collaboration d'Antoine Gazeaud, enseignant en philosophie à la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Toulouse.
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