Guerres en Afrique : les racines du mal
Article rédigé par Jean Flouriot, le 16 décembre 2005

La France est accusée d'avoir coopéré au génocide rwandais. Une étrange accusation dont on se demande si elle profitera aux victimes, et à la justice. En attendant, les désordres objectifs qui sont à la racine des guerres africaines demeurent.

Alors que l'ensemble du monde voit baisser le nombre et l'intensité des conflits depuis les grands changements politiques des années 90, l'Afrique au sud du Sahara multiplie les violences, accompagnées de cohortes de réfugiés et de déplacés. Les morts au combat sont relativement peu nombreux mais les situations de conflit isolent les populations, paralysent les services publics et provoquent la mort de millions de personnes particulièrement dans les catégories les plus vulnérables.

Pourquoi l'Afrique se singularise-t-elle ainsi ? Les causes en sont nombreuses et complexes. Essayons cependant d'en identifier quelques-unes.

Instabilité démographique

L'Afrique est un continent en cours de peuplement. Certes, il existe d'anciens noyaux de population dense mais on observe surtout de grands espaces vides ou peu peuplés. Or depuis cinquante ans, les taux de croissance démographique africains sont les plus élevés du monde. La population de l'Afrique au sud du Sahara double tous les trente ans et, malgré une réduction notable des taux de fécondité, ce mouvement va durer encore une ou deux générations. La population du continent est encore majoritairement rurale même si le processus d'urbanisation est très rapide. Pour répondre aux besoins élémentaires de cette population croissante, en l'absence de modification des techniques de production, les espaces soumis à l'agriculture et l'élevage se sont considérablement étendus, d'où de nombreux conflits fonciers dont certains évoluent en véritables guerres interethniques.

La croissance démographique a considérablement augmenté les flux migratoires vers les zones de plantations et de développement agricole et vers les grands ensembles miniers. Par exemple, les pays sahéliens ont fourni la main-d'œuvre des plantations qui ont fait la richesse de la Côte d'Ivoire. En période de récession économique, il est toujours facile de reporter sur les étrangers la cause de tous ses malheurs.

Ambitions et corruptions

Ces mouvements démographiques ne suffisent pas à expliquer par eux-mêmes les conflits. Les ambitions évidentes de certains hommes politiques les ont exaspérés et instrumentalisés. Les conflits en RD Congo ont été soutenus et avivés par les chefs d'État des pays voisins qui en ont profité pour piller les ressources minières de ce pays. Au Liberia et en Sierra Leone, des personnages ambitieux et sans scrupules se sont appuyés sur les antagonismes ethniques pour atteindre le pouvoir et mettre en coupe réglée le pays. Le phénomène n'est pas nouveau : la guerre civile angolaise s'appuyait sur des ressorts ethniques autant qu'idéologiques et le pouvoir de Mugabe au Zimbabwe s'était établi sur l'assujettissement violent des ethnies autres que la sienne. À l'époque, il n'était pas "politiquement correct" de le faire remarquer. La prise de pouvoir du fils Eyadema au Togo suit le même schéma.

Bon nombre de dirigeants politiques africains sont arrivés au pouvoir par la force et leur mode de gouvernement s'apparente plus à la prédation qu'à la promotion du bien commun. Cette situation a de profondes racines culturelles qui font de leurs peuples des partisans objectifs de ce mode de gouvernement. Toute personne qui parvient au pouvoir est immédiatement sollicitée d'en faire retomber les avantages sur le maximum de ses "frères". Et ceux qui sont aujourd'hui rejetés espèrent bien prendre leur revanche un jour. L'exaspération qui résulte de la situation d'exclusion infligée ainsi de façon quasi systématique à toute une partie de la population d'un pays explique bien des violences et des révoltes. On peut comprendre aussi pourquoi l'alternance politique est si difficile : l'homme au pouvoir est poussé à se maintenir par tous ceux qui profitent de sa présence. Mais on comprend aussi pourquoi les changements politiques sont si souvent "décevants" : il y a simplement changement de profiteurs. Dans un tel contexte, une alternance politique paisible est déjà un grand pas en avant : on a pu l'observer ces dernières années au Bénin, au Sénégal, au Ghana, au Mali, au Kenya, en Zambie ...

Il faudra longtemps pour que le vote et le gouvernement deviennent réellement politiques. Certains pensent que c'est même impossible et montrent à l'appui de leur raisonnement les heurts et malheurs des sociétés européennes toujours fortement marquées par les solidarités claniques : Balkans, Corse, Pays Basque ... Les mentalités changent pourtant et il existe de petits noyaux sociaux, discrets, où l'on envisage autrement l'exercice du pouvoir. C'est le cas dans le monde des entreprises où se développent peu à peu des pratiques de bonne gestion. C'est le cas dans les Églises où les responsabilités doivent être assumées dans un esprit de service. Mais c'est encore trop peu de monde pour que la société en soit marquée. Le changement apparaîtra lorsque ces groupes seront devenus assez nombreux pour peser efficacement sur la gestion de la chose publique, peut-être d'abord à un échelon local.

Des modes de pensée inadaptés

Les changements de mentalité sont longs à réaliser, d'autant plus en Afrique où la tradition n'apporte pas beaucoup de moyens pour faire face au monde moderne. La tradition est essentiellement rurale et villageoise alors que la population urbaine est de plus en plus nombreuse et que le cadre économique et politique est celui de pays parfois très vastes, peuplés de millions d'habitants et, d'une façon ou d'une autre, participant à la mondialisation.

Il ne faut pas idéaliser la tradition : le pouvoir des anciens, la sorcellerie, la soumission aux impératifs du groupe sont de terribles entraves à l'épanouissement personnel et au développement. Lorsque, en 1970, Mobutu, affronté aux vrais problèmes du développement après avoir ramené la paix au Congo, a voulu développer une idéologie de "l'authenticité", fondée (en théorie...) sur la "sagesse" traditionnelle, la réponse est venue immédiatement du cardinal Malula, archevêque de Kinshasa : les modes de pensée et de gouvernement traditionnels sont à la racine du sous-développement et se sont révélés totalement inefficaces face à la colonisation. Le développement est à construire et ce n'est pas le passé qui en apporte les moyens.

Divers observateurs des sociétés africaines, impressionnés par le poids des solidarités ethniques ont envisagé une "démocratie ethnique" où les groupes sont les acteurs du pouvoir. C'est en fait le mode de fonctionnement actuel de la plupart des États : la composition du gouvernement reflète une recherche d'équilibre entre les groupes et les régions et assure une certaine redistribution des avantages du pouvoir. Quel sens du bien commun attendre de ministres chargés de défendre et si possible d'étendre la part de pouvoir reconnue au groupe qu'ils représentent ? La situation, si elle permet une vie quotidienne pacifique, est meilleure que la guerre mais quant à envisager le développement

Violences religieuse et occulte

L'islam conquérant est aussi un facteur de violences : le Soudan en est l'exemple le plus évident mais des conflits plus ou moins ouverts opposent des pouvoirs tenus par des groupes islamisés à des populations animistes ou chrétiennes dans toute la zone sahélienne et sur la façade orientale du continent.

Enfin, il faut bien reconnaître l'influence de Satan, l'ennemi du genre humain. Toute sorcellerie n'est pas satanique mais les "bons" sorciers peuvent se transformer en semeurs de mort. Et la sorcellerie reste extrêmement prégnante dans les sociétés africaines, à tous les niveaux. La crainte d'actions occultes empêche la confiance et fait régner la peur. "L'accusateur" ne relâchera pas facilement son emprise sur tous ceux qu'il tient en esclavage.

Les cultures traditionnelles doivent s'ouvrir à de nouvelles valeurs mais aussi se dépouiller des contre-valeurs qu'elles abritent. L'Europe a connu de tels processus à l'orée du Moyen-Âge et l'Église fut un des acteurs fondamentaux de cette longue et patiente éducation morale. Ce pourrait bien être la même chose en Afrique.

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