Article rédigé par Thierry Boutet*, le 04 avril 2008
Le Président de la conférence épiscopale a ouvert la session de printemps de l'assemblée plénière de la conférence des évêques de France par un discours (extrait ci-dessous), une démarche inhabituelle. Mgr André Vingt-Trois a abordé trois thèmes : la vie de l'Église de France, l'euthanasie, et l'Europe.
Sur le respect de la fin de vie et de la dignité des malades, l'archevêque de Paris a fait part, en particulier, de l'estime et de l'admiration [des évêques] pour les hommes et les femmes qui assument leur vie avec courage et discrétion et pour le courage de ceux qui les entourent, médecins, équipes soignantes et familles. À propos de l'Europe, il a surtout évoqué le problème de l'immigration en des termes devenus classiques, appelant à la générosité et la mise en œuvre d'une politique d'aide au développement, dans le respect dû aux personnes en détresse. C'est à propos de l'Église de France elle-même que le message du cardinal est le plus fort. Sur un ton grave et poignant, le cardinal s'est adressé à tous les prêtres de nos diocèses.
Le centre de l'intervention du cardinal porte sur la crise des vocations et le moral des prêtres. Les laïcs mesurent rarement l'angoisse qui habite de nombreux prêtres ordonnés dans l'enthousiasme des années du concile et qui ne voient pas se lever la génération de leurs successeurs . Cette angoisse est diffuse, paralysante, non avouée, mais bien présente dans les diocèses français comme le suggère le cardinal.
La disparition du presbyterium formés dans les années fastes des années cinquante est une épreuve pour ceux qui en sont les premiers témoins. Dans certains diocèses, les obsèques de prêtres font presque partie du quotidien. Un évêque déclarait il y a peu : Comme évêque, j'ai enterré 70 prêtres j'en ai ordonné 2 ! Plusieurs diocèses français n'ont plus aucun séminariste. Le nombre de vocations continue de chuter. Les plans de réorganisation pastorale se succèdent et, dans les zones rurales, les églises ferment les une après les autres. Beaucoup de prêtres savent que le jour où ils partiront personne ne viendra prendre la relève.
De nombreux prêtres vivent très mal cette situation déprimante. Les cas de dépression nerveuse ou de maladie sont inhabituellement élevés dans le clergé. Le nombre de prêtres qui ont des problèmes personnels graves ne se compte plus. À ces difficultés s'ajoute l'incompréhension de trop nombreux fidèles. Comme le remarque le cardinal, certains fidèles ont parfois la tentation d'accuser les prêtres d'être responsables de la situation. Certains groupuscules font leur publicité en accusant tout simplement l'Église elle-même à travers ses évêques soupçonnés et brocardés .
Cette pique exprime sans aucun doute un sentiment assez largement partagé dans le clergé. Celui-ci vit souvent comme une injustice la transition actuelle. Après une vie donnée à l'Église, beaucoup d'entre eux voudraient crier comme le Christ : Père pourquoi m'as tu abandonné ? À ces prêtres dont l'espérance vacille, le cardinal répond comme à un ami : Tu n'es pas seul, j'entends ta plainte, conserve l'espérance.
Il est inhabituel qu'un cardinal se fasse l'écho de la souffrance du clergé. Cette intervention lui a peut-être été conseillée par de nombreux confrères de plus en plus inquiets de l'état de leurs prêtres. Souhaitons qu'il soit entendu.
Pour nous, fidèles laïcs, ce discours devrait être une invitation à entourer et à prier pour les prêtres de nos paroisses et ne pas être comme le demande Mgr André Vingt-Trois de ceux qui accusent.
Mais le cardinal n'a pas seulement brisé les non dits de la souffrance du clergé français. Il indique une méthode : sortir des schémas du passé, respecter les critères proposés par le Magistère, reprendre une dynamique de l'appel, associer les laïcs, poursuivre le travail de formation.
Compte-tenu de l'âge moyen de ceux à qui le cardinal s'adresse, l'entreprise demande certainement un énorme effort de conversion. Nous ne pouvons pas abandonner à des groupes particuliers le privilège de se présenter comme les seuls légitimes à envisager l'avenir et à le préparer ! Dans ce passage évocateur, le cardinal n'évoque-t-il pas un appel pressant à une prise de conscience, et à s'inspirer de la vitalité des communautés nouvelles ou religieuses ?
Si l'on observe d'un peu près la réalité de la vie de nos diocèses, il faut reconnaître que les idées patinent. De réunions en réunions, de services en engagements, de projets en initiatives diverses, nos paroisses sont souvent entraînées comme le dit le cardinal dans un tourbillon dont ni le sens ni le but ne nous sont toujours clairs .
Il existe en effet plus de Marthe qui s'agitent que de Marie qui prient. Beaucoup de communautés paroissiales sont au moins aussi actives que de nombreuses communautés. Mais ne prennent-elles pas l'activisme pour de la ferveur ? La mission est-elle toujours la surabondance de la vie intérieure ?
Les communautés nouvelles, avec tous leurs défauts, sont le plus souvent des familles de familles unies par la charité. En revanche, nos paroisses sont-elles des lieux où la charité est vécue dans la communion autour du prêtre ? Ce n'est pas certain. L'Église de France, relativement à son nombre de salariés, est une institution assaillie de procès aux prud'hommes. Ce signe ne devrait-il pas nous alerter ? La vie paroissiale n'est sans doute pas à transformer dans son principe, mais elle est à réinventer.
Dernièrement, un prélat prêchait magnifiquement sur les prostituées qui nous devancent dans le royaume des cieux. Mais il refusait un local inutilisé au mouvement du Nid ; ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Maladresse ? Incompréhension ? Sécheresse ? Oui, dans beaucoup de lieux, l'Église de France doit sortir du tourbillon dans lequel sans s'en rendre compte et avec les meilleures intentions du monde, elle s'étourdit vainement. Mais pour cela, elle doit revenir à la source de cette charité qui suppose une humilité lucide. Pour Mgr Vingt-Trois, aucun plan ne peut sauver l'Église. En revanche tout se passe comme si elle devait être émondée pour porter à nouveau du fruit.
Assemblée plénière des évêques de France
Gratitude et confiance à l'égard des prêtres
Extrait du discours d'ouverture du cardinal Vingt-Trois, 1er avril 2008
EN NOTRE NOM A TOUS, je voudrais exprimer aux prêtres de nos diocèses, notre joie de ces moments vécus ensemble, notre confiance et notre affection. Elles vont à tous les prêtres qui sont associés jour après jour à notre ministère et particulièrement aux prêtres diocésains qui sont nos collaborateurs les plus proches et les plus fidèlement attachés à nos diocèses. Nous savons tous combien leur tâche est lourde. Mais, plus que la lassitude quotidienne qui ne nous effraie pas, ce qui pèse le plus lourd, c'est le sentiment, plus ou moins fort, d'être entraînés comme dans un tourbillon dont ni le sens ni le but ne nous sont toujours clairs et de ne pas voir encore se lever la génération de nos successeurs.
Sans doute cette incertitude est-elle l'épreuve qui nous est donnée à vivre en ce temps. Nous voulons la vivre dans la confiance et l'espérance, mais la confiance et l'espérance ont aussi besoin d'être éclairées et soutenues. En ces décennies notre Église vit une profonde mutation liée aussi bien aux évolutions sociologiques de nos départements qu'aux ébranlements des transmissions culturelles. Beaucoup des membres de notre Église n'y sont pas préparés — est-on jamais préparé aux nouveautés de la vie ? — ; ils en souffrent en voyant que l'Église ne répond pas directement à leurs demandes et à leurs attentes. Ils ont parfois la tentation d'accuser les prêtres d'être responsables de la situation. Certains groupuscules font leur publicité en accusant tout simplement l'Église elle-même à travers ses évêques soupçonnés et brocardés.
Comment pouvons-nous vivre sainement — et même saintement — cette fracture ou ces malaises ? Certes, on peut céder à la tentation bien française du miracle de la réforme institutionnelle. Les réformes sont nécessaires et, quand elles sont menées avec le travail nécessaire de consultation, elles peuvent porter du fruit. Mais elles ne font pas tout. Aucun évêque, ni même la conférence des évêques tout entière, n'est capable de trouver la formule miracle qui aplanirait toutes les difficultés, sauf à vivre dans l'illusion organisationnelle ! Jamais le Christ n'a donné un schéma directeur de l'Église ou du ministère clefs en main . Il n'y a pas de kit disponible.
Si nous voulons vraiment avancer dans notre tâche missionnaire et ajuster nos pratiques à nos possibilités et aux appels de la mission, la seule voie qui nous est ouverte est celle du travail commun avec les membres de nos communautés et celle de la communion du presbyterium autour de son évêque. Cet engagement modeste à mettre en œuvre les réformes nécessaires, a été fructueux dans bien des diocèses au cours des années passées. Il suppose aussi que nous, évêques, et les prêtres de nos diocèses, soyons assez disponibles pour ne pas vouloir relancer la dynamique missionnaire en maintenant à tout prix ce qu'était l'organisation du XIXe siècle, ni même celle des années 1950.
Dans cet effort, les prêtres des paroisses sont ceux sur qui pèse le plus le poids de la transition. Nous savons qu'ils ont la détermination et la force pour avancer en eaux profondes avec foi. Nous leur disons à nouveau notre confiance et nous voulons avec eux proclamer notre espérance. Certes, ils ne peuvent pas, à eux seuls, définir les conditions fondamentales du discernement nécessaire. Nous ne le pouvons pas davantage. Tous, nous recevons les critères du ministère ordonné de la Tradition de notre Église, en particulier des décrets du Concile Vatican II sur le ministère et la vie des prêtres et de leur relecture par le Magistère ordinaire, notamment dans les sessions du synode des évêques et l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis. Consacrés pour enseigner, sanctifier et gouverner le Peuple de Dieu avec les évêques, les prêtres ont une boussole pour discerner avec leur évêque les terrains prioritaires de leur engagement dans le service de l'Église. Pour notre part, nous sommes engagés à favoriser et à développer ce discernement dans chacun de nos diocèses.
La tâche est considérable et nous voyons combien nous manquons de moyens pour la mener à bien. Nous devons donc sans cesse reprendre une dynamique de l'appel. Cette dynamique peut être et doit être soutenue par les services diocésains, mais elle repose avant tout sur la détermination de chaque prêtre de nos diocèses et sur leur détermination à tous à y associer les laïcs. Nous ne pouvons pas abandonner à des groupes particuliers le privilège de se présenter comme les seuls légitimes à envisager l'avenir et à le préparer ! Le travail de fond que nous avons entrepris au sujet de la formation des prêtres signifie bien que nous ne prenons pas notre parti de la situation présente. Nous devons intensifier notre prière en ce prochain dimanche du Bon Pasteur.
Nous voudrions partager avec nos prêtres la confiance qui nous habite, notre joie d'être embarqués avec Jésus sur la barque apostolique et notre espérance qu'il nous conduit bien au port. L'enjeu de notre navigation ne concerne pas seulement les difficultés quotidiennes que nous rencontrons. Il concerne tous les hommes de notre temps et l'actualité nous donne malheureusement bien des occasions de le vérifier. [...]
© Photo : CEF
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