Article rédigé par Jacques Bichot*, le 05 mars 2010
Beaucoup d'entre nous souffrent personnellement de cette infirmité. Nous faisons énormément de projets, nous en mettons beaucoup en chantier, et nous ne parvenons à en mener à terme que quelques-uns. Nous sommes comme ces gourmands qui remplissent leur assiette à ras bord, puis en laissent la moitié, incapables d'avaler tout ce qu'ils convoitaient.
Je bats donc ma coulpe, ce qui est de saison, mais je ne serais pas hostile à ce que d'autres en fassent autant. Notamment mes grands amis les pouvoirs publics, que je morigène régulièrement en vertu du principe qui aime bien, châtie bien .
Le problème de nos dirigeants est simple : en préparant un texte de loi, ils se demandent rarement si l'intendance suivra. Ils empilent les mesures, comme si les services étaient automatiquement capables de faire le nécessaire, quoi qu'on leur demande. Et il arrive ce dont la plus élémentaire des études de faisabilité les aurait prévenus : les services ne sont pas à même d'appliquer correctement les décisions prises. Il en résulte des retards, du travail bâclé, des gaspillages, et parfois pire.
La Faute-sur-Mer
À peine arrivé dans cette station balnéaire (photo) au nom malheureusement prédestiné[lire l'homélie de Mgr Castet en mémoire des victimes et le message du pape], le président de la République a (dixit Les Echos du 2 mars) demandé que les règles de construction en zones inondables soient revues . Voilà qui part d'un bon sentiment. Mais l'enfer, y compris celui qu'ont vécu nos compatriotes sinistrés, et plus encore les Haïtiens et les Chiliens, est pavé de bonnes intentions. Il n'est nul besoin de règles supplémentaires pour entretenir les digues, que ce soit en Vendée ou à la Nouvelle-Orléans : il faut surtout des services de l'équipement et des entreprises compétents, et des crédits suffisants pour que les premiers passent commande aux secondes. Quelques dizaines d'articles de lois et de décrets n'ont jamais remplacé les bulldozers, les pelleteuses, les conducteurs d'engins et les ingénieurs.
En matière de prévention contre les inondations, les textes existent. Toujours selon Les Echos, un texte de loi a été voté en 2006 pour mettre de l'ordre dans la gestion des ouvrages de retenue d'eau , et le décret spécifique aux digues a été publié il y a trois ans . La circulaire d'application, néanmoins, n'a toujours pas été rédigée ! Si bien que lois et décrets restent lettre morte. Le Parlement et le gouvernement vont-ils continuer à pédaler dans le vide, à voter et rédiger des textes qui ne sont pas mis en application, parce qu'au niveau de l'administration ça ne suit pas ?
Que le chef de l'État aille sur place porter aux victimes le témoignage de la solidarité nationale, c'est bien. Mais si les sous-chefs ne vont pas eux aussi sur le terrain, le leur, c'est-à-dire l'administration, pour stimuler, évaluer, réprimander ou féliciter, répartir au mieux les moyens, il s'agit alors d'un faux témoignage.
Depuis les services centraux qui ne rédigent pas la circulaire voulue, jusqu'aux magouilles communales qui autorisent des constructions en des lieux inappropriés [1], le diable est dans les détails. Ce diable-là ne s'exorcise pas à coups de lois et décrets, mais de prise en main des services administratifs et de contrôle, par ces services, de ce que font ou laissent faire ou ne font pas des milliers de baronnets locaux. Accabler les services sous le poids des règles publiées au JO est contreproductif dès lors qu'ils ne sont pas capables de digérer ces excès de nourriture normative.
Ajoutons que des travaux publics tels que la rénovation des digues auraient été tout indiqués dans le cadre du plan de relance. Or, il y a dix-huit mois, quand les pouvoirs publics se sont demandés quoi faire, il ne semble pas que la question soit venue sur le tapis. Une fois de plus, on parle de prévention après l'accident, pas au moment où il aurait été économiquement bienvenu de s'intéresser à la question – en l'espèce, de donner de l'ouvrage aux entreprises de BTP. Cela montre à quel point est sous-développé le système de veille sur lequel peuvent compter nos dirigeants.
Insuffisante aussi est leur capacité à agir concrètement, puisque beaucoup des digues mal ou pas entretenues sont perdues dans les successions ou patrimoines d'associations moribondes (Les Echos), si bien que les travaux, eût-on voulu les entreprendre, auraient probablement été bloqués par des imbroglios juridiques. Notre État est un Gulliver entravé par des milliers de fils ténus, dont beaucoup ont d'ailleurs été mis en place par lui-même, comme on va le voir en matière de justice.
La semaine prochaine : Les yeux plus gros que le ventre (II) : La justice pénale et autres affaires