GDF-Suez : Villepin aurait-il le goût de l'échec ?
Article rédigé par Roland Hureaux, le 01 septembre 2006

Villepin aurait-il le goût de l'échec ? En faisant du projet de fusion GDF/Suez – et donc de la privatisation de GDF —, le dossier emblématique de la rentrée, le Premier ministre commet la même erreur qu'avec le CPE.

 

Comme alors, il s'engage sur un dossier controversé sans bénéficier d'un appui franc de sa majorité. D'abord parce que beaucoup de députés ont des doutes sur l'utilité de l'opération. Ces doutes subsistent malgré la gigantesque opération de communication orchestrée dans le courant de l'été par les dirigeants des deux groupes. Les réticences exprimées par la commission européenne ne sont pas là pour les rassurer. Ensuite parce que, une fois encore, le parti majoritaire que dirige Nicolas Sarkozy ne fera, dans son appui au gouvernement, que le service minimum. Certes, le président de l'UMP a dit, après quelques tergiversations et de la manière la plus elliptique, qu'il soutiendrait le projet, mais on se doute qu'au moindre remous, il prendra ses distances, comme il l'avait fait pour le CPE. Si le projet avait été incontestable, un tel risque eut été négligeable.

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La deuxième erreur de Dominique de Villepin touche à sa stratégie d'image : une fois de plus, il s'engage sur la voie libérale alors que le créneau est occupé par Sarkozy et il délaisse celui qu'il avait choisi lors de son entrée en fonctions et où il aurait pu exceller : la réaffirmation du rôle de l'État. À cette réaffirmation d'un État arbitre et référent, qui ne se résume évidemment pas au recrutement de policiers et de gendarmes ou à la pose de radars sur les routes, les Français aspirent profondément après deux décennies d'un libéralisme souvent brouillon, comme l'a montré le référendum du 29 mais 2005. C'est parce que beaucoup espéraient qu'il irait dans ce sens là que Villepin fut si populaire à l'été 2005.

Or le premier ministre, au grand désespoir de ses soutiens, délaisse avec obstination ce terrain sur lequel il était attendu, pour courir sur les traces de libéraux qu'il ne rattrapera jamais. C'est une loi de la politique, en effet, qu'on ne rattrape jamais ceux qui, sur un créneau donné, sont partis en pole position (tout comme Villiers ne rattrapera jamais Le Pen sur l'immigration !).

Au moins le projet du CPE partait-il de bonnes intentions : il se fondait sur une logique de libéralisation du marché du travail, telle que la préconise l'OCDE, peut-être contestable ou au moins maladroitement appliquée, mais dont le but final était bien l'amélioration de la situation de l'emploi des jeunes.

On a du mal au contraire à percevoir l'intérêt de l'opération Suez-GDF. Suez n'a aucun caractère stratégique, GDF, déjà premier gazier européen, peut difficilement dire qu'il n'a pas la taille critique pour affronter le marché et rien ne dit que sa privatisation le rendrait plus efficace. Quoi que l'on fasse, on n'empêchera pas l'opinion d'associer cette opération à la hausse considérable et très impopulaire des tarifs de l'énergie depuis cinq ans.

Ainsi Villepin s'apprête t-il à engager avec des appuis incertains une bataille inutile et sur un mauvais terrain. Il risque de perdre en septembre le regain de popularité que lui ont valu pendant l'été son action au Liban aux côtés du président de la République et l'amélioration de la situation économique. Pour quoi faire donc ?

Il était pourtant aisé de transformer ce projet de loi controversé en un grand projet positif et consensuel : par exemple en le centrant sur les économies d'énergies, en ne se contentant pas à cet égard de mesurettes mais en "mettant le paquet" pour opérer une véritable révolution énergétique analogue à celle de 1974, et d'autant plus populaire que pour les Français, la hausse de l'énergie est ressentie comme le principal facteur de l'érosion de leur pouvoir d'achat. Peut-être n'est-il pas trop tard pour donner cette inflexion au projet mais il faudrait alors renoncer à privatiser GDF, faute de quoi rien n'empêchera l'opinion de considérer que c'est là le cœur du projet et que le reste, pour innovant qu'il soit, n'est que de l'habillage.

Le moindre des paradoxes est qu'ayant voulu trancher avec la politique médiocre de son prédécesseur, centrée sur une calamiteuse décentralisation, Dominique de Villepin semble demeurer sous son influence. Les promoteurs les plus ardents de l'opération Suez-GDF, Thierry Breton et Jean-François Cirelli appartiennent tous les deux au clan Raffarin : tout se passe comme si celui-ci tirait encore les ficelles.

Syndrome

On entend souvent à l'UMP que Villepin, ayant mis une croix sur ces chances propres, vise par des opérations qui ne pourront qu'accroître l'impopularité de la droite, à saper les chances du candidat de Sarkozy à l'élection présidentielle. Une telle mesquinerie n'est évidemment pas dans son tempérament. Il reste que les socialistes ont compris que le deuxième tour de celle-ci pourrait bien se jouer sur l'affaire GDF ; c'est pourquoi ils préparent une bruyante bataille de procédure lors de la session extraordinaire de septembre.

Villepin veut-il surmonter la mauvaise opinion qu'ont pu avoir de lui certains milieux d'affaires proaméricains – au moment où courant 2005 sa cote était au plus haut. Mais à quoi bon ? Les milieux d'affaires vont du côté du gagnant. Si le Premier ministre remonte la pente dans l'opinion, ils finiront pas lui trouver des qualités. Or ce n'est pas le projet Suez-GDF qui la lui fera remonter.

Serait-il contraint à l'opération par Jacques Chirac ? Mais dans quel but ? Pour permettre au président de redorer son blason en demandant par exemple une nouvelle fois le retrait du projet s'il était trop violemment contesté et se poser en arbitre ?

On peut craindre plutôt que Villepin ne soit atteint du syndrome typiquement chiraquien de l'action pour l'action, qu'il soit animé par la conviction un peu simpliste que plus on "bouge", mieux c'est : plus on a de chances de garder l'initiative, plus on donnera l'impression de gouverner, plus l'opinion vous en saura gré. Dangereuse illusion : la politique du XXIe siècle n'est pas la campagne d'Italie ; il vaut mieux, dans la guerre moderne, tirer un ou deux coups bien ajustés que vider les chargeurs n'importe où n'importe comment. Gouverner, ce n'est pas agir pour agir, c'est agir à bon escient. Dans l'affaire Suez-GDF, on est loin du compte.

Pour en savoir plus :

■ Jean Marensin, "GDF-Suez, la grande manip'", Décryptage, 12 aout 2006 (accès libre)

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