Article rédigé par Jean Marensin, le 15 avril 2005
L'immense émotion qui a saisi le monde, bien au-delà l'univers catholique, à la mort de Jean-Paul II et lors de ses obsèques si admirables, n'a laissé guère d'homme indifférent d'un bout à l'autre de la planète.
Que des pays comme Cuba ou le Maroc aient décrété trois jours de deuil national, alors que les Français obligés d'aller au bureau, à l'usine ou à l'école, ont été pour la plupart empêchés d'assister aux cérémonies funéraires en direct, montre que notre pays, en mettant tout de même ses drapeaux en berne à l'annonce de sa mort, n'a fait que le service minimum.
Que les attardés d'un certain laïcisme français comme Michel Charasse ou Jean-Luc Mélenchon aient trouvé que c'était déjà trop est, dirions-nous, dans l'ordre des choses. Les intéressés avaient un personnage à soutenir : ils ont dit ce qu'on attendait qu'ils disent, sans surprise.
Que François Bayrou, dernier chef du dernier avatar d'un courant démocrate-chrétien français déjà ancien, se joigne sur ce sujet au chœur des ultra-laïques, a en revanche quelque chose de suffocant.
Pour cette partie de l'électorat modéré qui pensait encore qu'il y avait quelque chose comme un parti bien-pensant en France, la déconvenue est grande. L'UDF – ou ce qu'il en restait après la création de l'UMP -, représentait dans notre pays le centrisme de bon aloi, favorable à la paix et au progrès social, à l'Europe surtout, en bref à tout ce qui ne fâche pas, propre à attirer l'électorat pratiquant, celui qui ne se mêle pas de politique et va à la messe dominicale en rasant les murs. Un parti avec lequel un évêque ne risquait pas de se compromettre, dont on n'était pas étonné qu'un chrétien engagé se réclame. Un relais naturel des consignes imbibées d'eau bénite que le bureau de la Commission des épiscopats européens a donné en faveur de la Constitution européenne.
Les déclarations de François Bayrou sont suffocantes mais pas étonnantes.
D'abord parce qu'on sait combien les leaders de la droite française, Jacques Chirac en tête, ont la terreur d'être excommuniés par les loges maçonniques. Se les mettre à dos, croient-ils, leur fait courir le risque de se voir barrer dans leur carrière. Pour quelqu'un qui vient d'un parti sentant sa sacristie comme François Bayrou, il ne suffit pas d'être complaisant, il faut donner des gages. Critiquer l'hommage rendu par la France à Jean Paul II en est à cet égard un beau. Martine Aubry avait en son temps cru se racheter d'être la fille de Jacques Delors en manifestant avec le réseau Voltaire contre la venue du Saint-Père à Reims.
Mais on ne scie pas impunément la branche sur laquelle on est assis, surtout quand elle est mince.
Par delà ces considérations d'opportunité, la parole malheureuse de François Bayrou illustre la dégénérescence du courant politique auquel il appartient. Dès le départ ce courant renonça au nom chrétien utilisé à l'étranger en se faisant appeler " Mouvement républicain populaire ". Il se jeta ensuite dans la construction européenne supranationale au point que ce soit là, et non la doctrine sociale chrétienne, son identifiant majeur. Curieusement, si le Saint-Siège a toujours encouragé la coopération des peuples d'Europe, il ne s'est jamais prononcé sur le projet d'Europe supranationale. Parler de l'Europe était plus facile pour le CDS ou l'UDF que de la sainte Trinité, voire de l'avortement. D'autant qu'on ne saurait oublier que le ministre de la Justice qui en 1975 couvrit et la loi sur le divorce par consentement mutuel et la loi sur l'avortement, deux ruptures majeures avec la tradition chrétienne, avait été Jean Lecanuet, figure emblématique du même courant. Les bien-pensants trouvèrent certes plus courageux de déléguer en première ligne dans cette dernière affaire Simone Veil, qui venait d'autres horizons, mais elle fut depuis lors reçue elle aussi à l'UDF.
Que de renoncement en renoncement, un certain courant qui se voulait chrétien aboutisse à ce que son chef joigne sa voix à la gauche la plus anticléricale, pour critiquer l'hommage du gouvernement français au pape Jean Paul II, est ainsi l'aboutissement d'une longue évolution.
Si certains électeurs pensent encore qu'il existe quelque chose comme un courant démocrate chrétien en France, dont les prises de position, sur la Constitution européenne par exemple, pourraient servir de référence au vote catholique, ils devraient, à la suite de cet incident révélateur, se trouver définitivement déniaisés.
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