Article rédigé par André Manaranche, sj, le 22 décembre 2004
Le Pape vient de signer le décret d'authentification d'un miracle dû à l'intercession du serviteur de Dieu Charles de Foucauld. Après une longue attente, le vénérable devrait être béatifié en 2005.
Né à Strasbourg en 1858, saint-cyrien fêtard puis officier exemplaire, Foucauld fut un explorateur courageux et un intellectuel reconnu avant d'être un ermite de combat préoccupé par l'ardente obligation de convertir ses frères musulmans. C'est ce que révélera la biographie indépassable de René Bazin, récemment rééditée, et lue pour vous par le père André Manaranche.
A propos de René Bazin,
Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara
(Nouvelle cité, rééd. 2004)
NOUS SOMMES dans une époque caractérisée par la rapidité et le dépassement, au sens qu'a ce dernier mot dans le Code de la route et la course automobile. Aussi, dans le domaine de l'édition, le dernier ouvrage l'emporte sur les autres et les remises au hangar des invendus. Il n'y a que les scientifiques à rechercher les prototypes. Il n'a que les gens cultivés à relire inlassablement des textes aimés.
Les biographies de Charles de Foucauld sembleraient ne pas devoir échapper à ce phénomène, d'autant que les plus récentes peuvent utiliser une documentation plus fournie et aussi que les diverses publications ont varié l'angle d'approche : l'itinéraire chrétien du converti avec ses étapes, l'audace de l'explorateur, la psychologie d'une famille bien typée, l'attitude missionnaire et sa place actuelle dans le dialogue inter-religieux, le message spirituel foucaldien. Sans oublier les études critiques faites sur le site historique du frère Charles, avec les transpositions actuelles qui s'imposent, si l'on ne veut pas en demeurer à un fondamentalisme simplet. Dès lors, il paraît bien inutile de revenir en arrière, sauf pour un bibliothécaire consciencieux qui emmagasine sur ses rayonnages toutes les parutions et même toutes les éditions successives soigneusement.
Et pourtant...
Et pourtant il a paru bon à la Société civile des droits d'auteur de René Bazin de rééditer ce qui aura été un texte fondateur, que tous les écrivains postérieurs auront pillé sans trop le dire. Texte qui se sera multiplié à 200.000 exemplaires et aura déclenché très tôt toutes les associations spirituelles se réclamant de l'esprit du frère Charles. D'autant que, même cinq années seulement après la mort de l'ermite à Tamanrasset, René Bazin avait déjà accumulé une information considérable que l'on retrouve dans son ouvrage : lettres, écrits spirituels, histoire, poésies touarègues, etc. Car, le sait-on, Foucauld l'avait contacté pour étudier et révéler la situation humaine et spirituelle des populations sahariennes. Le mouvement était donc déjà lancé. Et ces nombreuses citations permettent à l'auteur de s'effacer derrière son personnage sans se faire valoir à ses dépens : l'humilité est la sainteté du biographe.
Une source pure
Relisant cet ouvrage , apparemment plus copieux et surtout plus " luxueux " que la toute première et toute modeste édition de 1921 chez Plon — il fallait alors en découper les pages ! — on est donc surpris de trouver une biographie très documentée, clairement construite, et surtout écrite dans une langue merveilleuse par celui que François Mauriac avait appelé " le Fra Angelico des lettres ". Langue claire et simple sans pourtant rien de " pieusard " ni d'exalté, hors des requêtes médiatiques d'aujourd'hui. Nulle impression d'un retour à la vieillerie, mais éternelle actualité d'un texte juste et vrai qui ne provoque aucun dépaysement. D'autant que la composition typographique, belle et aérée, facilite agréablement la lecture, sans qu'on ait à devoir faire abstraction d'une réalité poussiéreuse. Et puis des notes de l'éditeur, discrètes et judicieuses, complètent ce qui appelle une suite.
Bien sûr, l'on est alors en 1921, trois ans après la fin de la Première Guerre mondiale, et René Bazin n'a pas de honte à parler de colonies ni à lier l'évangélisation à l'empire français qui en est le cadre. Mais il sait laver son héros de l'accusation de colonialisme : il fait même état (p. 291) d'une réflexion de Foucauld qui accuse la politique coloniale française et présage notre expulsion d'Afrique du Nord dans cinquante ans ; on s'en est souvenu en 1961 (1). Et puis il sait mettre une différence entre la vocation du frère Charles et celle de son grand ami Laperrine, même si l'un et l'autre avaient gardé la fibre militaire. Aucun de ces amalgames auxquels se sont prêtés depuis des auteurs peu profonds et surtout marqués par l'idéologie.
Mais la sainteté n'arrache pas un homme à son contexte historique : l'on peut donc comprendre le patriotisme qu'attisa 1914 chez un être expulsé tout jeune de son Alsace natale en 1871. Reprenant alors son nom de famille, Foucauld remplit son devoir sur place, au fortin de Tamanrasset, uni à tous les prêtres qui défendaient leur pays dans les tranchées de France. Avec René Bazin, nous sommes en-deçà de querelles postérieures, celles dont la béatification prochaine — une béatification qui aura tardé, sans doute pour ces écheveaux mal débrouillés — fera justice en évacuant les anachronismes et les a priori.
Comprendre un saint
Mais n'oublions pas les jeunes qui n'ont sans doute jamais lu la biographie écrite par Bazin, parce qu'elle était épuisée ou bien ensevelie dans quelque bibliothèque familiale ou scolaire peu fréquentée. Avec cet ouvrage qui vient à point, ils trouveront une source pure qui les enchantera et les préservera d'une lecture politique ou psychiatrique. Ils découvriront pour aujourd'hui un prêtre authentique, bouleversé par Jésus ; un missionnaire qui n'a jamais cru le musulman définitivement fermé à 1'Évangile ni insensible à son message (p. 279-280), ce qui serait mépriser quantité d'hommes et de femmes par une sorte de racisme spirituel camouflé en tolérance et camouflant un relativisme. Ils apprendront à surmonter leur peur en comprenant que " la crainte est le signe du devoir " (p. 305).
Pour tous, le livre de René Bazin servira à poser une personnalité sans l'entortiller dans des considérations ultérieures relevant de l'a priori du soupçon ou bien de la récupération idéologique. Quand elle viendra, la béatification de Charles de Jésus ne stoppera certes pas la recherche, mais elle nous conduira à comprendre un saint, non à disséquer un être suspect ni à revendiquer un incompris.
Et Foucauld entrera dans le patrimoine religieux de l'Europe, si ce n'est déjà fait.
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