Article rédigé par La Fondation de service politique, le 14 novembre 2003
Fausse querelle, la suppression du lundi de Pentecôte ? Des lecteurs de Décryptage s'insurgent contre cette hypothèse, plaidant au contraire pour son maintien et proposant telle ou telle alternative. Résumons les principales objections et propositions.
Première objection, le lien social : le gouvernement plaide la solidarité et le " lien social " en faveur des personnes âgées, pour éviter que ne se reproduise une catastrophe humanitaire comme celle qui a frappé les 15.000 morts de cet été. Or le pont du lundi de Pentecôte est aussi utilisé par de nombreuses familles pour retrouver parents ou grand-parents très éloignés (M. Jouannault). En supprimant le lundi de Pentecôte (comme n'importe quel jour férié d'ailleurs), on accroît la fracture sociale des familles et ce ne sont pas les 1,5 infirmière supplémentaire par maison de retraite qui changeront quoi que ce soit. Cet argument est aussi celui de l'épiscopat français qui plaide en faveur des rassemblements associatifs et religieux.
Deuxième objection : le lundi de Pentecôte est le petit reste subsistant de la grande octave de la Pentecôte (ce que les Portugais appellent aussi la deuxième fête), et il ne s'agit pas d'une argutie de présentation ! À quand la suppression du lundi de Pâques (M. de Guibert) ?
Première alternative : la suppression d'une autre date, par exemple le 8-Mai, date plus pertinente dans ce " mois gruyère ", le lundi de Pentecôte tombant tantôt en mai ou tantôt en juin. De plus la suppression du 8-Mai serait hautement symbolique pour achever la réconciliation franco-allemande.
Deuxième alternative : rallonger la durée du travail de 15 minutes par jour, 5 minutes/jour représentant à peu près une journée par an (Collectif des Amis du lundi). Le gouvernement revenait ainsi sur la loi des 35 heures pour la bonne cause (le lien social, les personnes âgées, la réduction du déficit) et pourquoi pas, en accordant un jour de congé le Vendredi saint qui est déjà férié dans de nombreux pays de l'Union européenne !
L'argument sur le lien social me semble faible et controuvé. Non seulement, et il faut l'espérer, ledit lien ne dépend pas uniquement d'un jour de congé, mais comme l'a hélas montré la catastrophe caniculaire estivale, c'est bien pendant les congés que le lien social se distend le plus et que l'égoïsme triomphe. La plupart de ceux qui en ont la possibilité ne pensent alors qu'à s'échapper en abandonnant ceux qui auraient le plus besoin de leur présence. Les personnes qui ont le plus souffert de l'abandon sont restées en effet dans les grandes villes, loin des lieux de villégiature... En réalité, les principaux utilisateurs (légitimes) du lundi de Pentecôte sont les diocèses et communautés religieuses, et d'autres groupements civils qu'on a d'ailleurs peu entendu, qui ont besoin de trois jours pour tel ou tel rassemblement. Nos évêques ont d'ailleurs commencé par convenir qu'ils n'avaient que peu d'objections, avant de faire marche arrière assez laborieusement ; et rien n'interdit à quiconque de prendre un jour de RTT pour se rendre à ces rassemblements, sachant que l'on dispose en général d'un préavis largement suffisant pour le programmer en temps utile.
D'une façon générale, je constate qu'il est assez difficile de construire un débat et d'argumenter sur des sujets dès lors qu'ils sortent de l'abstraction et qu'ils touchent chacun directement et bousculent des habitudes anciennes. Sachant que nous sommes sur une matière contingente, je tiens à le rappeler, où la diversité d'opinion est légitime, même parmi les catholiques, mon propos était, me semble-t-il, nuancé ; il ne cherchait d'ailleurs pas à embrasser toute la question mais l'abordait principalement sous l'angle de la remise en cause de la durée légale du travail ; tout en s'efforçant de rappeler que la politique est un art du contingent...
Les alternatives. Dans l'absolu et à titre personnel, j'aurais également préféré que l'on supprimât le 8-Mai : il n'a d'ailleurs pas toujours été férié (son statut actuel date de l'ère Mitterrand) ; cela aurait également pu être l'occasion de faire évoluer la symbolique du 11-Novembre, comme V. Giscard d'Estaing l'avait tenté. Mais c'est un autre sujet : il faut examiner ce qui vient et non ce qui aurait pu venir. D'autre part, quand elle a été faite, cette proposition était la plus "rentable" puisque par définition, le lundi tombe toujours pendant la partie travaillée de la semaine alors que ce n'est pas le cas du 8-Mai. Enfin, le contexte politique permet davantage l'un (le lundi de Pentecôte) que l'autre qui traîne encore avec lui des adhérences complexes et contradictoires que le gouvernement n'avait sans doute pas envie de gérer faute de pouvoir les maîtriser.
À propos des 35 heures enfin, la suggestion qui consiste à augmenter de 15 minutes la journée travaillée ne me semble pas bonne, pour deux raisons. D'une part, comme l'a montré le passage des 40 aux 39 heures par semaine pendant les années 80, opération qui s'est souvent traduite par un tel mécanisme (en sens inverse, bien sûr), adopter une mesure qui oblige à une telle précision des décomptes ne va pas dans le sens de la simplicité, à l'inverse de la méthode qui procède par jours entiers : elle oblige à des pointages complexes, notamment pour les cadres et les employés dont le travail n'est pas posté ou ne s'effectue pas en équipe, et se révèle finalement largement inefficace. Comment se gendarmer pour 15 minutes en plus ou en moins ? Sans parler des problèmes d'horaires d'ouverture dans les établissements accueillant du public, qui doivent tomber sur des heures rondes autant que possible pour être bien perçus par les clients. D'autre part, cela aurait été une mise en cause trop directe des 35 heures, qui précisément et comme l'a montré la polémique du début de l'automne, n'est pas encore mûre.
Reste la façon dont cette mesure a été annoncée puis gérée politiquement : le cafouillage a été calamiteux. On sait à présent où chercher le coupable : du côté du ministère des Affaires sociales, pour des raisons très politiciennes qui nous encourageraient plutôt à soutenir J.-P. Raffarin... sans oublier que la majorité de la fonction publique est à gauche, pas seulement dans le corps enseignant. Réalité qu'il est impératif de prendre en compte, tant elle complique la tâche de tout gouvernement de droite qui dépend de ses troupes à la fois pour préparer les mesures qu'il envisage et pour les exécuter. Mais c'est un autre sujet, d'une toute autre ampleur.
Terminons par le point sensible : s'agit-il d'une atteinte à la liberté religieuse ? Au cas particulier, je crains que l'argument n'ait pas la portée voulue : je sais bien ce que représentent les octaves dans le calendrier liturgique et ce qu'ils signifient du point de vue religieux. Mais je ne crois pas qu'ils aient jamais été fériés, du moins en France. Le sont-ils complètement au Vatican ? Je n'en suis même pas sûr... Ce qui n'empêche nullement les pratiquants de les célébrer à leur convenance. Mais jusqu'à nouvel ordre, la société civile, toute chrétienne qu'on la puisse souhaiter, n'est pas un monastère qui doive s'organiser strictement sur le cycle liturgique.
Enfin, je constate que le positionnement exact de la ligne de partage entre le civil et le religieux est difficile à faire dans les esprits, avant même de légiférer : non qu'il faille militer pour l'exclusion et l'ignorance réciproques, bien au contraire ; mais parce qu'il faut commencer par repérer la nature des choses. Pour me faire comprendre au prix d'une certaine provocation, puisque que la suggestion en a été faite, eh bien oui, échangerions volontiers le lundi de Pâques avec le Vendredi saint qui mériterait davantage que l'on s'arrêtât de vaquer à des occupations profanes pour communier à la mort du Christ, préalable nécessaire à sa Résurrection.
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