Explosion de l'IVG médicamenteuse
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 08 janvier 2010

Les nouveaux chiffres des interruptions volontaires de grossesse sont tombés. L'IVG médicamenteuse constitue désormais la moitié des avortements en France. Un effet de l'engrenage mortifère de la contraception promue et encouragée sans discernement par les pouvoirs publics.

EN 2007, le nombre d'IVG pour la France métropolitaine est évalué à 213 380 contre 215 390 en 2006 [1]. Le nombre d'avortements plafonne donc à un niveau très élevé, résistant à toutes les campagnes de contraception menées depuis le début des années 2000. Pire, la France est l'un des rares pays de l'UE des 27 – avec la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne, la Grèce, la Suède et le Royaume-Uni – à enregistrer une progression du recours à l'IVG sur les cinq dernières années. En 2007, le taux annuel pour l'ensemble de la France (DOM et TOM compris) est de 15,2 IVG pour 1000 femmes, soit largement le double que celui observé en Allemagne (6,5 pour 1000).
75 % des IVG sont aujourd'hui réalisées dans un hôpital public, le désengagement du secteur privé se poursuivant. Ce sont 624 structures (contre 729 en 2000) qui prennent en charge l'ensemble des IVG mais 34 établissements, soit 5 % du total, assurent à eux seuls près du quart des IVG.
Les femmes âgées de 20 à 39 ans représentent 83% des IVG en 2007, la tranche des 20 à 24 ans demeurant celle qui y recourt le plus souvent (taux de 27 pour mille, soit plus que le taux national de la Hongrie ou de la Bulgarie, pourtant mauvais élèves de l'Europe). Comme en 2005 et 2006, les mineures constituent 6% du nombre total d'IVG. 12 560 adolescentes de 15 à 17 ans (13 230 en 2006) et 850 jeunes filles de moins de 15 ans (848 en 2006) ont été concernées par une IVG en 2007, soit une progression de près de 9% depuis 2004. S'il en était encore besoin, la preuve est faite de l'absence d'effet de la contraception d'urgence sur le nombre de grossesses non désirées alors que la barre du million de pilules du lendemain délivrées en 2006 et 2007 par les pharmacies et les infirmeries scolaires a été franchie (1,2 millions en 2008). C'est ce qu'avait déjà reconnu le député UMP Bérengère Poletti, pourtant fervente défenseur de sa diffusion, dans son rapport d'information sur l'application de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception : Le développement de la contraception d'urgence n'a pas eu d'impact significatif sur le recours à l'IVG [2]. Dont acte.
L'explosion de l'auto-avortement
L'information capitale fournie par la DREES est ailleurs. L'IVG par voie médicamenteuse représente désormais la moitié des avortements dans notre pays (près de 49% contre 46% en 2006). Autorisées depuis 1988 à l'hôpital, elle peut être également pratiquée en médecine de ville depuis la parution des textes d'application de juillet 2004. L'acte doit être effectué sous la surveillance d'un gynécologue ou d'un médecin généraliste ayant passé une convention avec un établissement de santé. L'IVG par RU-486 peut être réalisée jusqu'à cinq semaines de grossesse (ou sept semaines d'aménorrhée), le délai maximal pour la méthode chirurgicale par aspiration étant de 12 semaines de grossesses (ou 14 SA).
Multipliée par deux entre 1992 et 1998, puis encore doublée entre 1998 et 2004, l'IVG médicamenteuse n'a cessé de progresser pour constituer aujourd'hui la moitié des avortements en France. Dans plusieurs régions, elle a même supplanté la méthode classique, dessinant pour certains la France de demain (81% en Alsace, 60,1% en Picardie, 58, 6% dans le Centre, 55% en Midi-Pyrénées,...). Le décret du 8 mai 2009 autorisant les centres de santé et de Planning familial à pratiquer des IVG par voie médicamenteuse ne fera qu'accélérer une évolution qui semble inéluctable.
D'autre part, depuis qu'elle est dépénalisée en ville, c'est aujourd'hui 1 IVG sur 6 qui est réalisée en cabinet, soit 18 273 actes en 2007 contre 5008 en 2005. La Réunion détient la palme des IVG médicamenteuses hors établissements avec un taux de 41% (sur l'ensemble des avortements par RU-486), ce qui signifie que près d'un avortement sur 5 est désormais pratiqué en médecine de ville dans ce département. Précision importante, il faudrait parler stricto sensu d'avortement à domicile plutôt qu'en cabinet libéral. En effet, la procédure prévoit que la femme ingère le RU-486 ou Mifegyne devant le professionnel de santé qui a passé lui-même commande auprès de la pharmacie de son choix, puis revienne au cabinet pour prendre le Gymiso, une puissante prostaglandine qui a la propriété d'expulser le fœtus mort in utero. Si ces molécules doivent être obligatoirement absorbées en présence du médecin, c'est bien à la maison, le plus souvent dans ses toilettes ou sa salle de bain, que la femme avortera dans la solitude la plus complète. Il s'agit donc à proprement parler d'un avortement auto-administré, le professionnel de santé jouant un rôle minimal dans le dispositif.
L'engrenage mortifère de la contraception
Derrière les chiffres bruts, c'est un état des lieux catastrophique qui apparaît. Alors que moins de 30% des grossesses sont imprévues aujourd'hui (contre 46% en 1975), le taux de recours à l'IVG explose. Ainsi, sur 10 conceptions non désirées, 4 se terminaient par une IVG en 1980, ce sont désormais plus de 6 qui se concluent par un avortement. L'enfant à naître, lorsqu'il vient contrecarrer nos projets, est donc de moins en moins toléré. Le choix de recourir à l'IVG se fait d'autant plus impérieux que la grossesse n'est pas programmée. Les chercheurs en sciences humaines n'hésitent pas à parler de norme abortive contraignante, alimentant la propension quasi irrésistible à demander l'IVG comme rattrapage contraceptif dans l'éventualité d'une grossesse non calculée. Tout se passe donc comme si l'avortement avait besoin d'un terreau culturel contraceptif pour croître, IVG et contraception étant les deux dimensions d'un même refus de l'enfant non planifié. Jean-Paul II avait déjà démonté les rouages de cet engrenage infernal dans un passage clé de son encyclique Evangelium vitae :

Il est fréquemment affirmé que la contraception, rendue sûre et accessible à tous, est le remède le plus efficace contre l'avortement. On accuse aussi l'Eglise catholique de favoriser de fait l'avortement parce qu'elle continue obstinément à enseigner l'illicéité morale de la contraception. À bien la considérer, l'objection se révèle en réalité spécieuse [...]. Les contre-valeurs présentes dans la mentalité contraceptive – bien différentes de l'exercice responsable de la paternité et de la maternité réalisé dans le respect de la pleine vérité de l'acte conjugal – sont telles qu'elles rendent précisément plus forte cette tentation, face à la conception éventuelle d'une vie non désirée. De fait, la culture qui pousse à l'avortement est particulièrement développée dans les milieux qui refusent l'enseignement de l'Eglise sur la contraception. Certes, du point de vue moral, la contraception et l'avortement sont des maux spécifiquement différents : l'une contredit la vérité intégrale de l'acte sexuel comme expression propre de l'amour conjugal, l'autre détruit la vie d'un être humain [...]. Mais même avec cette nature et ce poids moral différents, la contraception et l'avortement sont très souvent étroitement liés, comme les fruits d'une même plante [...]. La vie qui pourrait naître de la relation sexuelle devient ainsi l'ennemi à éviter absolument, et l'avortement devient l'unique réponse possible et la solution en cas d'échec de la contraception (Evangelium vitae, n. 13).

Le ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel a donc tout faux lorsqu'il dit vouloir travailler à la rédaction d'un décret offrant aux adolescentes une consultation contraceptive anonyme et gratuite auprès du médecin de leur choix pour faire baisser le nombre d'avortements [3]. S'opposant aux chèques-contraception de Ségolène Royal sur un point purement formel – selon le ministre, ce n'est pas à l'Education nationale d'en assurer la distribution mais au Planning familial ! – il tombe dans les mêmes ornières que la présidente de la région Poitou-Charentes [4].
En réalité, nous assistons à l'instauration d'une emprise chimique sensée régir la sexualité et la procréation des Françaises avec la bénédiction des autorités politiques. Le système s'appuie sur l'enchaînement de trois techniques qui se renforcent les unes les autres. Première étape, offrir aux femmes dès leur adolescence un accès optimal à la contraception orale. Un prochain décret autorisera d'ailleurs les infirmières à renouveler les prescriptions sans qu'il soit nécessaire de rencontrer le médecin. En cas d'oubli d'un comprimé, une seconde procédure de contrôle doit rattraper un éventuel échec.
D'où la volonté des pouvoirs publics de développer la diffusion gratuite de la pilule du lendemain, en attendant celle du surlendemain, via les pharmacies, les établissements scolaires et les universités. Troisième étape pour contrecarrer une grossesse non désirée : l'IVG médicamenteuse dont les promoteurs rêvent d'en faire la méthode favorite des femmes, en France bien sûr mais aussi à travers le monde. Contraceptifs oraux, pilule du lendemain, IVG médicamenteuse, trois temps dessinant les contours d'une santé reproductive du futur, où la fonction des professionnels de santé est réduite au minimum, simple d'accès et aisée à mettre en œuvre. Jean-Paul II avait encore une fois parfaitement décrypté les intentions cachées de cette politique : Pour favoriser une pratique plus étendue de l'avortement, on a investi et on continue à investir des sommes considérables pour la mise au point de préparations pharmaceutiques qui rendent possible le meurtre du fœtus dans le sein maternel, sans qu'il ne soit nécessaire de recourir au service du médecin (EV, n. 13), ajoutant que tout se déroule comme si l'on voulait soustraire l'avortement à toute forme de contrôle et de responsabilité sociale (Ibid.) [5]. Une analyse toute en justesse de ce à quoi nous sommes parvenus en France.

 

 

*Pierre-Olivier Arduin est directeur de la Commission Bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.

 

 

 

[1] Toutes les données statistiques citées dans cet article proviennent d'Annick Vilain, Les Interruptions volontaires de grossesse en 2007, Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), n. 713, décembre 2009.
[2] Bérengère Poletti, Rapport d'information sur l'application de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception, Assemblée nationale, 22 octobre 2008, p. 9.
[3] Matinale , France Inter, 5 janvier 2010. Les grossesses précoces non désirées préoccupent Chatel , Le Figaro, 5 janvier 2010.
[4] Les "chèques-contraception" de Royal agacent Chatel , Le Figaro, 13 novembre 2009.
[5] Dans un monde cauchemardesque qui ne semble pourtant pas si différent du nôtre, on pourrait imaginer qu'une multitude de centres gérés par les pouvoirs publics à l'échelon local, ne nécessitant aucune compétence médicale, délivrent les différentes formes de pilules contraceptives et abortives, de manière anonyme et gratuite pour les mineures, remboursées par la Sécurité sociale pour les autres. Des fonctionnaires seraient chargés d'assurer le bon déroulement de procédures techniques parfaitement codifiées, de remplir les formulaires nécessaires au fonctionnement de toute opération de type technocratique, les professionnels de santé n'intervenant qu'en dernière extrémité, au cas où une complication viendrait à survenir. Allons-nous vers cette société ?
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