Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 27 septembre 2007
L'administration de nutriments et d'eau, même par voie artificielle, constitue un soin de base, naturel, ordinaire et proportionné, toujours dû au malade. Cette règle générale s'applique de manière éminente dans les cas cliniques où les patients sont dans un état végétatif chronique ou persistant .
C'est l'avis éthique que vient de rendre public la Congrégation pour la doctrine de la foi et qui a été approuvé par Benoît XVI (cf. texte intégral) .
Ce document magistériel fait suite à l'interpellation de la Conférence épiscopale des États-Unis qui demandait à Rome un éclairage moral sur le statut obligatoire ou non de l'alimentation et de l'hydratation artificielles (en juillet 2005). La bataille idéologique autour de l'affaire Terry Schiavo avait jeté un doute chez certaines personnalités catholiques concernant la qualification de cet acte.
Le commentaire qui accompagne les réponses du préfet, le cardinal William Levada, est remarquable à plus d'un titre et met en lumière les ambiguïtés intenables de la loi française sur la fin de vie, dite loi Léonetti.
L'alimentation : un soin, pas un traitement
Celle-ci reconnaît en effet au patient la liberté de refuser tout traitement, comme l'exprime le nouvel alinéa de l'article L. 1111-4 du Code de la santé publique, dans lequel les mots un traitement sont remplacés par tout traitement . Or, selon le Rapport de la mission parlementaire et l'exposé des motifs de la loi, l'alimentation artificielle est mise sur un plan strictement identique à celui de n'importe quelle thérapeutique active destinée à lutter contre une défaillance organique. Ainsi, les limitations et les arrêts de traitement s'appliquent à tout traitement, quel qu'il soit, y compris l'alimentation artificielle. Celle-ci est aujourd'hui en effet considérée par des médecins, par des théologiens et par le Conseil de l'Europe comme un traitement [1] .
Ce qui très grave sur le plan éthique est le fait de rapprocher alimentation artificielle et traitement médical sans plus de réflexion pour ensuite en déduire que, la loi du 22 avril 2005 permettant les arrêts de traitement, celui de l'alimentation assistée irait de soi. À l'époque, cet aspect de la loi fut l'objet d'une confrontation dans les rangs de l'Assemblée au sein même de la majorité. Certains députés souhaitaient que la suspension de l'alimentation artificielle soit envisagée sur le modèle des protocoles euthanasiques d'arrêts d'alimentation joints à des sédations très puissantes jugés extrêmement efficaces, tels qu'ils sont pratiqués dans l'État américain de l'Oregon. Mais d'autres avaient déposé un amendement opposé : L'alimentation et l'hydratation, même artificielles, sont des soins ordinaires, proportionnés, dus à la personne et qui ne peuvent être considérés comme des traitements , lequel ne fut pas retenu. C'est en effet vers le premier point de vue que semblent s'être ralliés les rédacteurs de la loi, Jean Leonetti en tête, confirmant que le cas de Vincent Humbert aurait pu être traité , selon son expression, par un arrêt d'administration des nutriments accompagné de soins palliatifs de qualité visant à lui épargner toute souffrance.
Nutrition médicale
C'est aller un peu vite en besogne et ignorer le fait que donner à manger est l'acte premier de responsabilité à l'égard d'autrui et représente un geste naturel de reconnaissance de son humanité. Par ailleurs, si la procédure est en effet initialement médicale, son but est de répondre à un besoin élémentaire de nourriture qui permet en définitive la dispensation d'un soin de base ; une fois la sonde posée, l'alimentation devient de l'ordre de la gestuelle des soins puisqu'elle peut être assurée par des non professionnels, en particulier par la famille à qui l'on aura transmis le savoir-faire requis. Certains éthiciens anglo-saxons proposent d'ailleurs de ne plus parler d'alimentation artificielle mais de nutrition médicale pour insister sur le caractère ordinaire de ce soin pour la conservation de la vie. De plus, si la dialyse rénale, par exemple, remplace une fonction physiologique perdue ou momentanément défaillante, le recours à l'alimentation permet de pallier un défaut de la déglutition sans que cela n'équivaille à une incapacité d'assimiler les nutriments.
L'alimentation artificielle ne cherche pas tant à contrecarrer une pathologie organique touchant cette fonction qu'à pallier plutôt un problème simplement mécanique et donc à répondre à un besoin de base. D'ailleurs, la Congrégation pour la doctrine de la foi le précise très clairement : On n'exclut pas qu'en cas de complications, le patient ne réussisse pas à assimiler les nutriments et la boisson : leur administration devient alors totalement inutile. Dans cette éventualité, cet acte n'atteint plus sa finalité propre qui consiste justement à hydrater et à nourrir le patient , situation que les soignants peuvent rencontrer lorsque le pronostic vital est engagé à très court terme.
L'omission euthanasique
D'autre part, explique le cardinal Levada, suspendre ou ne pas entreprendre cet acte de nutrition correspond à une attitude clairement euthanasique. L'intention de laisser advenir une mort par inanition contre laquelle on pourrait lutter avec la perspective d'un succès durable au plan du maintien de la vie, et donc ne pas vouloir l'empêcher alors qu'on le pourrait, nous fait basculer dans l'omission euthanasique. La mort, qui est la conséquence inéluctable d'un arrêt de l'administration de nutriments et d'eau chez un patient qui ne peut s'alimenter seul, est voulue pour elle-même, avec l'intention de supprimer une personne dont on juge la qualité de vie inacceptable. Y consentir revient à accomplir un acte de nature euthanasique. En aucun cas on ne peut parler d'acharnement thérapeutique et de traitement disproportionné car justement, nous dit la Congrégation, l'alimentation assistée peut être poursuivie longtemps sans effet secondaire majeur et avec une grande efficacité pour soutenir la vie du patient. C'est exactement la définition d'un soin proportionné !
L'intelligence du commentaire est d'ailleurs d'élargir le propos en incluant dans la catégorie de ces malades, outre les patients en état végétatif persistant, les personnes tétraplégiques, les personnes en état avancé de la maladie d'Alzheimer,... tous malades qui se trouvent dans la situation d'avoir besoin d'une assistance continue pendant des mois, voire des années . N'est-ce pas plutôt alors la vie de ces malade qui nous semble disproportionnée et inutile en raison de leur faible qualité ? Devant le vieillissement inéluctable de la population et le coût grandissant des soins de nursing, la charge de ces malades ne va-t-elle pas nous apparaître rapidement excessive ? Et d'ailleurs, si un patient très atteint sur le plan neurologique était capable de s'alimenter par la bouche, nous poserions-nous la question de lui supprimer tout apport calorique pour précipiter sa mort ?
Le bioéthicien canadien Hubert Doucet ne peut que le constater : Cette position se fonde sur la reconnaissance que dans ce cas, la mort est meilleure que la vie. Elle porte en soi une dynamique de discrimination et d'euthanasie. Si la condition mentale et physique délabrée est à l'origine de la prise de décision, n'est-ce pas de la discrimination ? Si cette personne est privée de nourriture parce que sa mort apparaît moins misérable que sa vie, c'est une forme directe d'euthanasie. Les conséquences sociales d'une telle position sont extrêmement inquiétantes pour de nombreuses catégories de malades comme ceux atteints de la maladie d'Alzheimer. Dans ce cas, il n'y a pas de différence entre tuer et laisser mourir quelqu'un .
Dignité ontologique
Face à ceux qui doutent de la valeur de la vie de ces patients, la Congrégation pour la doctrine de la foi réaffirme le primat de la dignité de la personne. Non pas une dignité qui serait en fin de compte une qualité dépendant de certaines caractéristiques physiques ou intellectuelles comme le laisse accroire l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Mais une dignité ontologique, inconditionnelle, renvoyant à la valeur absolue accordée à la personne humaine. Nul n'a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l'idée que l'on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui [2] ainsi que l'énonce le philosophe Jacques Ricot.
On voit poindre ici l'extrême cohérence de l'éthique réaliste et personnaliste avancée par le Magistère. Qu'un être humain n'exerce pas encore ses facultés cognitives, tels l'embryon, ou qu'il ne réussisse plus à les exercer pour des raisons accidentelles, tel le patient en état végétatif chronique, il garde toute la capacité d'activer ces activités supérieures : Un homme, même empêché dans l'exercice de ces fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un végétal ou un animal , avait souligné Jean-Paul II dans un discours du 20 mars 2004.
Stratégie
Cette question de l'alimentation et de l'hydratation assistées est en fait une ressource stratégique et un véritable cheval de Troie pour obtenir la dépénalisation de l'euthanasie.
Dès septembre 1984, la bioéthicienne australienne Helga Kube, lors de la Ve Conférence mondiale des associations pour le droit de mourir dans la dignité, avait ouvertement dévoilé la stratégie à tenir pour légaliser l'euthanasie dans les pays culturellement réticents : Si nous pouvons obtenir des gens qu'ils acceptent le retrait de tout traitement et soin, spécialement l'arrêt de toute nutrition, ils verront quel chemin douloureux c'est de mourir et accepteront alors, pour le bien du malade, l'injection létale (traduction personnelle). Ceux qui veulent aller plus loin et modifier la loi Leonetti se sont bien évidemment engouffrés dans cette brèche. Quelques jours après que le non-lieu sur l'affaire Humbert a été prononcé, le docteur Chaussoy, un des principaux protagonistes, s'exprimait dans une tribune du Monde : Cette loi n'aurait été d'aucune utilité à Vincent. J'ose à peine raconter l'unique solution qu'elle aurait à lui proposer : il s'agirait pour ne pas déroger à l'inaltérable "Tu ne tueras point" et pour ne pas déranger notre confort moral, de cesser de le nourrir. Le laisser mourir de faim, mais entouré des siens, et surveillé par une équipe médicale. Avec patience et amour, sans doute ? A quoi ressemble une société qui se satisferait de pareils faux-fuyants ? Et que reste-t-il d'humanité dans cette proposition-là ? (Le Monde, 16 mars 2006.)Marie Humbert pouvait renchérir quelques jours plus tard en stigmatisant la mort sale qu'autorise la nouvelle législation : Peut-on tolérer, sans avoir honte, la souffrance de ceux que la médecine a maintenus artificiellement [...] ? Doit-on débrancher et refermer la porte ? Peut-on les laisser mourir de faim ou de soif sous le regard de leurs parents, comme Terry Schiavo aux États-Unis ? C'est pourtant ce que prévoit la loi Léonetti, votée le 22 avril 2005, qui protège les médecins laissant mourir leurs patients (Le Figaro, 20 mars 2006). Une loi, donc, au service de médecins assez barbares pour préférer faire mourir de faim des malades plutôt que de leur injecter la dose létale qui leur aurait permis de partir en douceur, tout cela parce que les soignants français ne voudraient pas avoir les mains sales. Marie Humbert pouvait logiquement conclure : Ce qu'il faut, c'est inscrire dans la loi une exception d'euthanasie (id.) .
La programmation prochaine par TF1 du film Marie Humbert, le choix d'une mère dont la direction précise qu'il a pour vocation de prendre à témoin la France entière sur la formidable histoire d'amour de cette mère qui a tout plaqué pour se vouer à son fils et qui a pris tous les risques pour mettre à exécution sa demande d'en finir pourrait bien jouer sur ce tableau.
[1] Respecter la vie, accepter la mort , Rapport n. 1708, tome 1, Assemblée nationale, juillet 2004, p. 250.
[2] Jacques Ricot, Dignité et Euthanasie, Nantes, Editions Pleins Feux, 2003, p. 11.
Pour en savoir plus :
■ Congrégation pour la doctrine de la foi, Réponses à quelques questions sur l'alimentation et l'hydratation artificielles, texte intégral et commentaire.
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