Article rédigé par Antoine Pasquier*, le 10 décembre 2008
Malgré un retard de calendrier — puisque ils devaient se dérouler initialement à l'automne 2008 — les états généraux de la bioéthique se tiendront finalement au cours du premier semestre 2009. L'Eglise catholique entend jouer son rôle avec rigueur et vigilance.
Voulus par le président de la République afin de permettre à toutes les sensibilités de s'exprimer et aux citoyens d'être pleinement associés à l'examen de sujets qui engagent la condition humaine , ces états généraux seront chapeautés par un comité de pilotage dont la création a été fixée par décret en Conseil des ministres le 26 novembre dernier.
Officiellement installé le lundi 8 décembre par le ministre de la Santé, ce comité est présidé par le député Jean Leonetti et composé de cinq personnalités [1]. Il devra rendre le bilan de ses travaux au chef de l'État à la fin du mois de juin . Si l'on connaît dorénavant les grandes lignes du calendrier [2] de ces états généraux — dévoilé en même temps que le comité installé par Roselyne Bachelot — le fonctionnement exact et surtout l'esprit de ce débat d'ampleur nationale ne sont pas encore connus.
Dans son avis n° 105 intitulé Questionnement sur les états généraux de la bioéthique , rendu public le 26 novembre, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a émis quelques suggestions sur l'état d'esprit qu'il souhaiterait voir adopter pour ces états généraux. De son côté, la Conférence des évêques de France (CEF), dont le groupe de travail Bioéthique a remis ses conclusions lors de l'assemblée plénière qui s'est tenue à Lourdes du 1er au 5 novembre, a défini les conditions nécessaires dans lesquelles ces états généraux pourront se dérouler sereinement et en vérité.
Un débat ouvert à toutes les opinions et convictions
Selon le souhait du président Sarkozy, le CCNE rappelle, dès les premières lignes de son avis, que les états généraux de la bioéthique ont pour ambition de permettre l'expression la plus large possible des opinions et convictions avant que ne s'engage le travail parlementaire . L'Église catholique, qui depuis longtemps alimente la réflexion bioéthique non seulement en prenant part aux débats mais aussi en s'engageant activement au service de la personne humaine en proie à la souffrance et en situation de vulnérabilité comme le rappelle un document interne au groupe de travail Bioéthique de la CEF, compte prendre toute sa place dans ces états généraux, et ce malgré la volonté de lisser ce débat public en excluant les personnes jugées trop militantes [3]. À ce titre, des comités ou commissions de bioéthique ont vu le jour, ces derniers mois, dans plusieurs diocèses de France, à la demande de l'évêque du lieu ou de laïcs soucieux de porter les convictions des catholiques dans l'espace public.
Pour le Comité consultatif national d'éthique, il est légitime que les différents courants de pensée philosophiques ou religieux puissent s'exprimer au cours de ces états généraux au nom du pluralisme des opinions dont l'expression est garantie par la Constitution. En matière de bioéthique, écrivent les deux rapporteurs du CCNE, il apparaît important, dans cette confrontation des opinions, de mettre en lumière, plutôt que de les masquer, les fondements philosophiques, spirituels, politiques et sociaux des différentes options . Les sages du CCNE bottent ainsi en touche l'argument lancinant qui affirme que les convictions religieuses sur les questions de société n'ont pas leur place dans l'espace public et doivent donc rester cloisonner à la sphère privée.
Dans leur grande prudence, et sachant la difficulté de faire entendre la voix de l'Église dans les débats contemporains, les évêques français ont choisi une position médiane dans le cadre de cette révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004. Le groupe de travail Bioéthique a ainsi analysé les différents sujets qui seront abordés de façon rationnelle à la lumière de la dignité de la personne humaine et du respect qui lui est dû en toutes circonstances, selon l'éclairage biblique sur l'homme créé à l'image et à la ressemblance de Dieu et sauvé par Lui . Foi et raison seront donc au cœur du discours de l'Église, mais l'approche rationnelle sera privilégiée comme l'a confirmé le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France, lors de la messe annuelle pour les responsables politiques, mardi 2 décembre. Si nous souhaitons que ces débats soient vraiment généraux et ne se réduisent pas à des luttes d'influence entre les diverses idéologies ou entre les représentants des lobbies économiques, il nous revient de faire entendre des arguments de raison. Cette exigence relayée par l'Église vise à assurer une véritable information au grand public, condition première à un débat ouvert et à un dialogue authentique.
Un débat éclairé qui doit prendre de la hauteur
Sur cette question de l'information du public, le CCNE et la CEF sont en total accord et affirment tous les deux, avec quasiment les mêmes mots, que l'information du public reste trop rare et peu accessible. Les états généraux doivent impérativement être l'occasion de donner à tous une information, plurielle et critique sur les questions scientifiques qui sont au cœur de la révision de la loi de bioéthique [4]. Les sages du CCNE vont même jusqu'à parler de l' exigence éthique d'un débat éclairé. Si on demande aux citoyens de s'exprimer sur la possibilité ou non, de transgresser certains principes, c'est une exigence éthique que d'éclairer leur choix, notamment par une haute qualité de l'information. D'ailleurs, les membres du CCNE n'envisagent pas cette information du seul point de vue théorique (la connaissance des grands principes des lois de bioéthique par exemple), mais aussi sous son aspect pragmatique. Comment obtenir honnêtement un consentement ou un choix éclairé sans information préalable de la personne amenée ou non à consentir ? , s'interrogent les rapporteurs de l'avis n° 105. Le cadre juridique de l'information des personnes en bioéthique est voué à se développer . Mgr Vingt-Trois estime pour sa part que les catholiques peuvent apporter leur pierre à cette information et précise que le propos de l'Église n'est pas d'imposer à la société des vues particulières, mais de fournir des éléments d'appréciation dans le dialogue auquel nous sommes invités [5].
Mais il ne s'agit pas pour le cardinal français de cantonner les états généraux aux seules questions techniques. Le débat doit prendre de la hauteur, et les éléments d'appréciation fournis par l'Église doivent être d'un autre ordre que scientifique ou technique. Plus profondément que les prises de position nécessaires sur tel ou tel sujet particulier, c'est tout un état d'esprit qui est en cause, une mentalité , indiquait-il lors de son discours de clôture de l'assemblée plénière de la CEF, en avril 2008, invitant à travailler à ce niveau où affleure la question de l'homme, de sa dignité et de vocation .
Alors que l'exploitation de l'être humain pour la satisfaction de ses désirs même légitimes, même généreux est devenue monnaie courante, presque banalisée, c'est à la lente transformation des attentes et des requêtes de nos contemporains que nous devons travailler sans relâche , invite le cardinal parisien. Pour les évêques du groupe de travail Bioéthique , déroger aux principes de protection de la personne humaine inscrits dans le code civil peut conduire à franchir des seuils anthropologiques . C'est pourquoi ces derniers pensent que les interrogations nées des relations délicates entre le respect de la personne humaine et le progrès scientifique et médical doivent être portées dans le cadre plus large et plus rigoureux d'une réflexion anthropologique . Celle-ci permettrait ainsi de prendre un peu de recul pour faire une véritable évaluation des enjeux et des risques et d'appliquer à l'égard de l'homme et de l'humanité le fameux principe de précaution [6]
Le CCNE s'accorde à reconnaître que les lois de bioéthique touchent à des principes trop fondamentaux, pour la société et l'espèce humaine, pour être réduit à leur simple appareil scientifique. Le comité met ainsi en garde contre une trop grande technicité des états généraux [7] qui évacuerait les réflexions éthiques, et rappelle que les questions auxquelles doit répondre la loi de bioéthique ne trouveront pas la solution en se basant sur les seuls éléments de connaissances scientifiques . Avant même le lancement des états généraux, le comité pense que l'enjeu véritable du débat qui va s'ouvrir concerne la place du législateur dans cette révision des lois de bioéthique. La loi de bioéthique doit-elle refléter l'évolution de la culture collective et rendre compte des pratiques observées, ou au contraire savoir s'en distancer pour maintenir certains principes fondateurs ou fédérateurs, comme références ? Les sages promettent de compléter, voire de répondre à cette interrogation dans un prochain avis.
*Antoine Pasquier est coordinateur de la commission Bioéthique du diocèse d'Albi
1. Alain Claeys, député ; Marie-Thérèse Hermange, sénatrice ; Sadek Beloucif, professeur de médecine ; Claudine Esper, professeur de droit et Suzanne Rameix, philosophe.
2. Extrait du discours d'installation du comité de pilotage des états généraux de la bioéthique de Roselyne Bachelot — lundi 8 décembre : Vous pourriez ainsi procéder à une série d'auditions publiques, retransmises par les chaînes télévisées. [...]. Au printemps 2009, vous pourriez organiser de grands forums régionaux à visée pédagogique. Ces forums seraient l'occasion pour des citoyens ayant reçu préalablement une formation sur des thèmes choisis de questionner des experts dans des débats publics [...]. Une synthèse nationale pourra clore les états généraux de la bioéthique et un rapport sera remis au président de la République à la fin du mois de juin 2009. Site : www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/
3. Les états généraux pourraient prendre la forme d'un débat entre des experts et un panel de citoyens neutres , choisis par les instituts de sondage. Cf. Les états généraux de la bioéthique veulent éviter le "diktat de l'opinion" , La Croix, 25 novembre 2008. Voir également : www.vivagora.org/IMG/pdf/AssisesBioethiq-VivAgo-nov08.pdf
4. Avis n° 105 Questionnement pour les états généraux de bioéthique , Comité consultatif national d'éthique, mercredi 26 novembre 2008. Disponible sur www.ccne-ethique.fr
5. Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe annuelle pour les responsables politiques, mardi 2 décembre 2008. Disponible sur http://catholique-paris.cef.fr
6. Ibidem.
7. Avis n° 105, CCNE, op.cit.
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