États généraux : révélation sur le stérilet
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 18 juin 2009

Bon gré mal gré, la question du statut de l'embryon humain apparaît en filigrane des auditions menées à l'Assemblée nationale. Elle n'en demeure pas moins le sujet tabou par excellence, tous les protagonistes s'accordant implicitement à ne pas l'aborder de front.

Pourtant, c'est encore elle qui est revenue sur le devant de la scène à l'occasion du premier "forum citoyen" des états généraux de la bioéthique à Marseille le 9 juin dernier, donnant même lieu à une analyse de l'ancien ministre de la Santé Jean-François Mattéi précieuse à décrypter.

LE COMITE consultatif national d'éthique (CCNE) en était convenu dans le mémoire qu'il a rendu pour préparer le déroulement du processus de révision en cours : Ayant à contrôler les activités liées à l'utilisation de l'embryon, le législateur a choisi de marquer les limites de son ressort en évitant au maximum d'être tributaire de considérations philosophiques ou scientifiques [1]. Tout se passe en effet comme si le législateur s'était contenté d'encadrer des pratiques (la recherche sur les embryons, leur congélation en surnombre, le diagnostic préimplantatoire,...) en éludant la réflexion qui aurait pu le conduire à identifier la vraie nature de cet embryon.

Pourtant, le CCNE ne reconnaît-il pas en même temps que c'est dès la fécondation que le principe du respect de l'être humain en devenir doit être posé [et] que le fondement et la mesure du respect dû à l'embryon peuvent être argumentés en raison ? En fondant sa valeur, donc la protection dont il doit être l'objet, le législateur aurait pu alors en tirer toutes les conséquences sur les plans éthique et juridique.

Un choix que la France a refusé nettement. Le Parlement a explicitement admis dans les débats préliminaires aux premières lois de bioéthique adoptées en 1994 qu'il serait vain de chercher à définir un statut contraignant protégeant l'embryon, car cela reviendrait à s'engager dans une impasse pratique. Pourquoi ? C'est qu'il faudrait alors viser un accord public sur un sujet de société où existe une pluralité de conceptions opposées et incommensurables selon l'expression du philosophe américain John Rawls reprise par le président du CCNE de l'époque, Jean-Pierre Changeux.

A priori
Cet a priori s'enracinait alors dans la fameuse distinction du sociologue Max Weber entre éthique de responsabilité et éthique de conviction qui fut le terreau intellectuel de l'approche française de la bioéthique : Face à l'insuffisance de la seule morale, face à l'impossible légitimité des logiques religieuses, [...] l'homme politique fidèle à sa responsabilité sacrifiera, s'il le faut, ses convictions, à la nécessité d'une action qui n'est jamais que relative [2]. L'éthique de conviction ne peut aboutir qu'à un ensemble d'interdictions pures et simples tandis que l'éthique de responsabilité permet à la fois de transgresser sans donner tout pouvoir à cette transgression. Cette lecture dialectique qui est la marque de fabrique de la bioéthique à la française s'est incarnée dans une loi positive par essence susceptible d'évolutions et tiraillée entre le principe de dignité de la vie humaine et la permission accordée à certains pour passer outre.

Observateur aguerri des débats bioéthiques depuis 15 ans – il fut le rapporteur des législations promulguées les 29 juillet 1994 et 6 août 2004 – c'est tout naturellement que Jean-François Mattéi fut l'un des cinq grands témoins conviés à s'exprimer dans le cadre du premier forum citoyen dédié à la recherche sur l'embryon et les cellules souches. Comme on pouvait s'y attendre, la question de l'identité de l'embryon n'a pas manqué de resurgir.

À l'interrogation d'un membre du jury citoyen sur l'opportunité de définir précisément un statut pour l'embryon, l'ancien ministre de la Santé a répondu que cette question, bien que récurrente, était totalement archaïque . Pour étayer son propos, Jean-François Mattéi n'a cependant pas fait appel à la pensée de Weber – dont il est un très bon connaisseur – ce qui lui aurait permis de renvoyer facilement l'embryon dans un non-dit éthique. Au contraire, il a réaffirmé le poids symbolique de l'article 16 du Code civil – la loi garantit le respect de l'être humain dès le début de sa vie – tout en redisant que chacun d'entre nous était issu d'une cellule primordiale résultant de l'union d'un spermatozoïde et d'un ovocyte.

Loin d'en faire un être anonyme, le professeur Mattéi dessillait nos yeux comme pour nous rappeler que l'embryon est indubitablement le point de l'espace et du temps où un être humain débute son propre cycle vital, selon l'expression rigoureuse du généticien italien Angelo Serra.

Contourner l'embryon
Pour contourner la problématique lancinante du statut de l'embryon, Jean-François Mattéi s'est rabattu sur un argument pratique extrêmement intéressant à analyser : l'emploi massif du dispositif intra-utérin (DIU) par les Françaises. Et de rappeler devant une salle médusée que le stérilet, en empêchant la nidation d'embryons humains, en détruit un grand nombre, ce qui à l'évidence ne choque personne aujourd'hui et ne suscite aucune polémique [2].

En effet, le stérilet induit dans l'utérus une réaction inflammatoire à corps étranger qui atrophie la muqueuse utérine en la rendant impropre à la nidation de l'embryon qui s'effectue normalement vers le 7e jour s'il y a eu fécondation. Dénommé à ce stade blastocyste, l'embryon avant implantation a grosso modo le même âge que celui qui est détruit par les scientifiques qui cherchent à récolter les cellules souches de sa masse interne. Théoriquement, une femme sous stérilet peut perdre un embryon lors de chaque cycle.

Utilisé par plus de 180 millions de femmes à travers le monde, le stérilet constitue une méthode peu onéreuse au moins aussi efficace pour empêcher une naissance que la prise orale optimale de contraceptifs chimiques. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) se félicitait récemment que plus de 24 % des Françaises y recourent, faisant de cette méthode le second moyen contraceptif le plus employé dans notre pays. Les dernières recommandations des autorités sanitaires en la matière préconisent d'ailleurs de toujours mieux réhabiliter son emploi, notamment chez les jeunes femmes et celles qui n'ont pas eu encore d'enfants, et revendiquent que l'accès au DIU soit facilité, que son utilisation soit mieux connue et que ses bonnes pratiques de pose fassent l'objet d'un enseignement spécifique [3] . Cette méthode est présentée unanimement comme un mode de contraception par tous les acteurs qui promeuvent sa diffusion, ministère de la santé en tête.

Ces quelques remarques peuvent nous aider à prendre la mesure du propos de Jean-François Mattéi.

La mort dans tous les cas

Celui-ci se place en définitive sur la même ligne que l'enseignement de l'Église en matière de bioéthique, actualisé il y a peu dans l'Instruction Dignitas personae. Les auteurs de ce document romain rappellent en effet que l'avortement est le meurtre délibéré et direct, quelle que soit la façon dont il est effectué, d'un être humain dans la phase initiale de son existence (n. 24). Peu importe que l'embryon soit détruit par la recherche scientifique dans un laboratoire ou par un stérilet dans l'utérus puisque le moyen employé, in vitro ou in vivo, conduit à la mort du jeune être humain dans les deux cas de figure. La matérialité de l'acte change mais sa qualification morale est la même. Dire cela en public est une petite révolution.
Par ailleurs, nous comprenons bien qu'en faisant valoir cet argument, Jean-François Mattéi semble signifier que cela n'aurait aucun sens d'accorder des droits absolus aux embryons in vitro alors que la société se moque éperdument de tous ceux qui sont éliminés in utero du fait de l'action du stérilet. Ce avec quoi nous ne sommes bien évidemment pas d'accord.
Cependant, nous retiendrons avant tout la force de vérité qui se cache derrière sa remarque : le stérilet est en effet un moyen abortif qui détruit l'embryon aussi sûrement que la recherche scientifique. En disant cela, l'ancien ministre de la Santé va à l'encontre de la vulgate dominante qui a toujours présenté le dispositif intra-utérin comme un simple moyen contraceptif. Que les discussions relatives à la manière d'encadrer la recherche sur l'embryon soient l'occasion de rappeler certaines vérités oubliées n'est pas la moindre des retombées bénéfiques de ces états généraux de la bioéthique.
D'ailleurs, n'est-ce pas en raison de la violence psychologique que génèrerait la connaissance exacte des processus d'action du stérilet que celui-ci est présenté faussement par les autorités sanitaires comme une méthode simplement anti-conceptionnelle ? Ne peut-on voir dans ce déni l'expression d'un mécanisme de défense collectif qui nous éviterait de regarder la réalité en face ?
Le ministère de la Santé ne devrait-il pas tenir compte de l'objection du professeur Mattéi pour informer avec exactitude les femmes en leur disant la vérité sur le stérilet ? Et puisqu'il s'agit d'une technique abortive précoce, le législateur ne devrait-il pas accorder une clause de conscience à son endroit à tous les professionnels de santé, pharmaciens y compris ?

 

*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la Commission bioéthique et vie humaine du diocèse de Fréjus-Toulon. Collaborateur de la lettre électronique hebdomadaire Décryptage, il est également directeur des études du troisième cycle IPLH-Fondation Jérôme-Lejeune, et chroniqueur "société" du mensuel La Nef. Dernier ouvrage paru : La Bioéthique et l'Embryon, Editions de l'Emmanuel, 2007.

 

[1] CCNE, Questionnement pour les états généraux de la bioéthique, 9 octobre 2008, p. 6.
[2] J.-Fr. Mattéi, La Vie en questions, Paris, La Documentation française, novembre 1993.
[3] Dans un autre registre, quelques jours auparavant, au cours de la magnifique veillée de prière pour la vie à Notre-Dame de Paris, une gynécologue avait témoigné de son parcours qui l'avait conduite, dans le dialogue avec ses patientes, à refuser de leur poser un dispositif intra-utérin.
[4] Stratégies de choix des méthodes contraceptives chez la femme, Recommandations pour la pratique clinique, ANAES (Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé), 7 décembre 2004.

 

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