Et maintenant, la Chinafrique : que fait la France ?
Article rédigé par Jean Flouriot, le 16 février 2007

La "Françafrique" n'existe plus depuis longtemps , c'est ce qu'a déclaré au Figaro du 12 février Mme Brigitte Girardin, ministre délégué au Développement, à l'occasion du sommet franco-africain de Cannes.

C'est exact, les relations de la France avec les pays africains se modifient. Les interventions directes dans la vie politique et économique des pays au Sud du Sahara se font plus rares et notre aide publique au développement passe de plus en plus par le canal des organismes multilatéraux : Banque mondiale, Fonds monétaire international, Union européenne. Il en est de même des interventions politico-militaires : l'opération Licorne en Côte d'Ivoire est intégrée à l'action de la Monuci et c'est au sein d'une force européenne, l'Eufor, que la France a participé à la sécurisation des élections en République Démocratique du Congo.

Si la Françafrique a disparu, la Chinafrique est sans doute en train de naître. Le président chinois Hu Jintao vient de faire une grande tournée africaine. C'est la troisième en moins de deux années et, au mois de novembre dernier, le premier sommet sino-africain a réuni 41 chefs d'État ou de gouvernement africains autour des dirigeants chinois. Lors de ce sommet, le Premier ministre Wen Jiabo avait annoncé que la Chine, avide de matières premières et d'énergie, souhaitait doubler ses échanges avec le continent noir et les porter à 100 milliards de dollars d'ici 2010.

Corruption

On a beaucoup reproché à la Françafrique une connivence avec les régimes dictatoriaux corrompus et sanguinaires. On pourra en dire autant vis-à-vis de la Chine qui ne s'embarrasse pas de "conditionnalités" dans ses relations financières avec les États africains : au mois de décembre dernier, c'était un prêt de 2 milliards de dollars au Zimbabwe, ruiné par son despote Mungabe. Ces pratiques inquiètent : le président de la Banque européenne d'investissement (BEI), Philippe Maystadt, a lancé récemment une mise en garde contre l'action des banques chinoises sur le continent le plus pauvre de la planète. Au contraire des occidentaux qui tentent de "moraliser" les conduites prédatrices des dirigeants africains, la Chine ne s' encombre pas avec des considérations "éthiques" et le savoir-faire asiatique dans le domaine de la corruption trouve là un remarquable terrain de jeu. L'on voit déjà apparaître à l'ONU, à propos du Darfour, un lobby sino-africain avec lequel il faudra compter de plus en plus.

Bien sur, la Chine se défend d'instaurer un nouveau colonialisme sur le continent africain. "La Chine n'a jamais imposé sa volonté ou des pratiques inéquitables à d'autres pays et ne le fera jamais. Elle ne fera assurément rien qui puisse nuire aux intérêts de l'Afrique et de ses peuples", a déclaré Hun Jintao à Pretoria. Ce n'est pas l'avis des syndicalistes zambiens que l'on a tenu soigneusement éloignés de la visite du président chinois dans ce pays car ils souhaitaient manifester contre leurs conditions de travail à la mine de Chambeshi exploitée par les Chinois. Ce n'est pas non plus l'avis des travailleurs du textile de plusieurs pays africains qui voient leurs usines achetées par les Chinois, puis fermées pour cause de difficultés financières et transformées en halls d'importation des produits chinois.

La Chine n'est pas le seul pays à investir l'Afrique. Les commerçants et les industriels indiens sont présents depuis longtemps en Afrique australe et orientale. Ils étendent maintenant leurs champ d'action à l'Afrique centrale et le gouvernement indien consent, lui aussi, des prêts à conditions préférentielles aux gouvernements africains : aujourd'hui ce ne sont plus des bus Renault qui roulent à Dakar et Abidjan mais des véhicules Tata. Et la présence indienne se développe dans les zones minières aussi rapidement que les groupes métallurgiques indiens acquièrent leurs concurrents américains et européens.

Enfin, les États-Unis viennent de créer un nouveau commandement militaire consacré à l'Afrique. Ils ne disposent pour le moment que d'une seule base permanente à Djibouti, dans d'anciennes installations française mais assurent déjà des livraisons de matériel et des formations militaires dans plusieurs anglophones et francophones.

Désengagement sans réflexion

Alors quelle place pour la France en Afrique ?

L'histoire a donné à la France des responsabilités particulières vis-à-vis de l'Afrique et la France les a assumées avec générosité. Mais la politique française change : il n'y a plus de ministère de la Coopération mais un ministre délégué au Développement dépendant du ministre des Affaires étrangères. Les flux financiers empruntent désormais le chemin des organismes multilatéraux et sont donc régis par la politique de ceux-ci et non celle de la France ... La présence militaire se réduit : il ne reste plus que deux bases : Dakar et Libreville, Abidjan étant neutralisé par la situation ivoirienne. Les entreprises se replient de pays où l'instabilité politique, la prédation, l'insécurité ne sont guère favorables à leur présence permanente.

Désengagement ? Oui, et malheureusement sans réflexion sur de nouveaux modes d'intervention adaptés à des situations souvent dramatiques. Le flux des migrants est là pour nous le rappeler et, si la maîtrise des entrées sur notre territoire est une nécessité, nous savons bien que la solution du problème est dans le développement des pays d'origine de ces migrants. Il n'en est guère questions dans les discours de la campagne présidentielle ....

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