Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 31 janvier 2003
S'il n'y a pas de véritables surprises dans les résultats de ces élections en Israël, on peut tout de même tirer quelques conclusions de ce scrutin. Tout d'abord, le taux de participation particulièrement faible (69%) avec près d'un million et demi (sur 4 720 000) d'électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes est le signe qu'une partie non négligeable des Israéliens ne fait plus confiance à ses hommes politiques.
Ce phénomène est encore plus marqué chez les jeunes de 18 à 30 ans où près de 40% n'ont pas accompli leur devoir de citoyen. La campagne électorale n'a jamais depuis son début soulevé le moindre enthousiasme et contrairement aux précédentes, les carrefours, les places publiques et les centres commerciaux n'ont pas été envahis par les pancartes et les panneaux en tout genre. Dans les principaux partis politiques, la désillusion est telle qu'on parle de supprimer purement et simplement les traditionnels spots télévisés de la campagne officielle qui n'ont plus aucune influence sur le public.
Si le Likoud l'emporte très largement (38 sièges) sur le parti travailliste (19 sièges), il n'en reste pas moins que les Israéliens sont allés voter sans grande conviction et jusqu'au dernier moment, un nombre important d'électeurs hésitaient dans leur choix. Le résultat du parti laïc Shinouï (15 sièges) est symptomatique de ce malaise de la société israélienne. Ce parti centriste qui ne proposait aucun programme précis, ni sur le plan social ni sur le plan économique ni sur le processus de paix, a permis d'exprimer une contestation contre l'ensemble de la classe politique israélienne.
Le second point intéressant de ce scrutin est sans aucun doute la victoire des laïcs face aux religieux, et cela dans un Proche-Orient où les extrémismes religieux sont en progression constante. La parti Shinouï de Tommy Lapide qui est la grande révélation (bien que prévisible) de ces élections, n'est pas seulement un parti laïc, c'est un parti profondément anti-religieux qui voit dans les ultra-orthodoxes des parasites de la société et des anti-démocrates. Pour lui, il ne s'agit pas seulement de proposer un nouveau modèle de judaïté laïque, mais de combattre celui proposé par les " hommes en noir " comme on les appelle à Tel Aviv. D'une certaine façon, ce parti prône une sorte de racisme " éclairé " mais qui sous des dehors de libéralisme est plus conservateur qu'on ne le pense. Le parti Shinouï est le retour d'une bourgeoisie ashkénaze laïque naguère refoulée par le complexe de l'Européen cultivé face aux minorités de toutes sortes dont il était de bon ton, pour être un vrai démocrate, de chanter les bienfaits.
Mais surtout, sa réussite est due au ras-le-bol général suscité par un certain monde religieux qui veut imposer à l'ensemble de la société des modes de comportement en contradiction avec l'esprit de la démocratie. Ce n'est pas seulement la progression des laïques qu'il faut noter, mais également l'affaiblissement des partis religieux dont le plus important et le plus significatif est le parti séfarade Shass avec onze sièges (contre 17 lors des dernières élections).
Shass est devenu depuis dix ans aux yeux de la majorité des laïques synonyme de corruption politique, d'opportunisme et d'obscurantisme. Le ministre de l'Intérieur sortant, Eli Ischaï, secrétaire général du parti, s'est particulièrement singularisé durant son mandat par la chasse à tout ce qui n'était pas juif et tout ce qui n'était pas à ses yeux : juifs cachères, c'est-à-dire juifs réformés ou libéraux. La campagne électorale des militants du Shass a été particulièrement virulente contre les chrétiens. Selon eux, ces derniers deviennent une menace pour l'État d'Israël qui perdra bientôt son identité juive. Ils n'ont pas hésité à avancer le chiffre exorbitant d'un million de chrétiens qui prolifèrent et construisent des églises à chaque coin de rue, qui amènent avec eux le vieil antisémitisme chrétien et enfin importent de la viande non cacher. Dans les spots télévisés, on passait donc du chrétien au cochon sans la moindre transition. Si de fait, le nombre de non juifs et de chrétiens est en augmentation constante depuis la vague d'immigration issue des pays de l'ex-Union soviétique, on ne peut en aucun cas dire que la majorité d'entre eux fréquentent les églises. Le parti Shass a donc surfé sur un sentiment anti-chrétien plus ou moins confus de certains milieux populaires juifs pour essayer de récolter des voix supplémentaires... sans grand succès.
Pour former un gouvernement stable, Sharon n'a plus besoin des religieux qui ont souvent été dans les différentes coalitions des éléments clefs décidant de l'avenir politique du Premier ministre et de son conseil. Shinouï a toujours annoncé qu'il ne participerait jamais à un gouvernement où Shass siègerait. Si Sharon est plus libre à l'égard des religieux, il l'est beaucoup moins par rapport aux laïcs, bien que dans l'absolu, il peut se passer de l'un et de l'autre.
La troisième leçon que l'on peut tirer de ce vote est l'affaiblissement des partis extrémistes sur le plan politique aussi bien à gauche qu'à droite. Les partis nationalistes de droite (religieux ou non) sont en nette régression et le petit parti d'extrême droite Hérout qui prône le transfert pour les Palestiniens n'a même pas réussi à faire son entrée à la Knesset. À gauche, le parti Meretz a également perdu quatre sièges et son leader, Yossi Sarid a démissionné suite à ce mauvais résultat.
D'une certaine façon, la chute libre du parti travailliste est dans la même logique. Avec leur nouveau leader Amram Mitzna, les travaillistes se sont situés comme un parti de gauche et la majorité des Israéliens se sont situés au centre. Contrairement à l'idée souvent reçue, le Likoud est devenu pour nombre d'Israéliens un parti centriste, non pas à cause des députés qui ont été élus et qui dans leur majorité ont des positions dures sur le dossier israélo-palestinien, mais à cause de son leader Ariel Sharon qui tout en agissant avec une main de fer, promet une solution politique avec au terme, la création d'un État palestinien. Malgré l'opposition de la plupart de ses proches ou de ses rivaux, dont Benyamin Netanyahou, il continue son chemin sans se laisser impressionner le moins du monde dans la ligne qu'il s'est fixée. C'est ce grand-père qui donne l'impression de savoir où il veut aller, sans jamais d'ailleurs détailler le moindre programme, que les Israéliens ont réélu. Bref, Sharon est vu ici comme un centriste et son entêtement à vouloir former un gouvernement d'union nationale avec le parti travailliste renforce cette impression.
Le soir de sa victoire, Ariel Sharon a appelé à un rassemblement national et a souhaité la formation d'un gouvernement le plus large possible, ce malgré les sifflements répétés de certains activistes du Likoud. Il sait parfaitement que confier le destin de son cabinet à la droite nationaliste serait non seulement une erreur fatale de politique intérieure, mais suicidaire sur le plan international, s'étant engagé à mettre en œuvre le plan Bush.
Le dernier point qu'il faut signaler de ces élections est la disparition presque totale du parti des nouveaux émigrants dont le leader, Natan Sharansky, a lui aussi démissionné le lendemain des résultats. Ces émigrants des pays de l'ex-Union soviétique sont devenus pleinement israéliens et n'ont plus besoin d'un parti sectoriel pour protéger leurs droits. Les Russes, juifs ou non, ont une capacité d'intégration étonnante dans la société israélienne et en dix ans, sont devenus des acteurs à part entière de la vie sociale, économique et politique du pays.
Sharon jouit pour l'heure d'une certaine popularité mais il sait aussi que le mandat qu'il a reçu est le dernier de sa vie politique et qu'il devra assez rapidement se lancer dans le processus de paix au risque de perdre définitivement la confiance des Israéliens. Il veut entrer dans l'Histoire, mais les Arabes en général et les Palestiniens en particulier lui donneront-ils cette opportunité ? Les députés qui le soutiennent aujourd'hui resteront-ils à ces côtés au moment de faire des concessions, s'il venait à en faire ? Rien n'est moins sûr. Le président égyptien Moubarak, au lendemain des élections, a téléphoné à Sharon pour le féliciter et les deux hommes ont pris rendez-vous pour une première rencontre. Quand on connaît l'abîme qui sépare les deux leaders, on est agréablement surpris.
Si d'ici un an et demi, rien n'a bougé sur le plan politique, il y a fort à parier que de nouvelles élections seront nécessaires. Dans les Territoires, aussi bien chez les responsables de l'Autorité palestinienne, Arafat en tête, que chez les Palestiniens de la rue, personne ne croit Sharon capable de leur tendre la main. En attendant, le bouclage des Territoires continue et Tsahal poursuit ses opérations. Les élections n'ont pour le moment pas la moindre incidence sur le terrain.
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