Article rédigé par Dominique Aubuisson*, le 02 octobre 2008
Pour toute personne habitant aux États-Unis et possédant un minimum de sens critique, la manière dont la campagne américaine est répercutée en France est tout simplement atterrante. Depuis un an, les médias nationaux, de quelque tendance qu'ils soient, content aux français une histoire pleine de rebondissements imprévus, de détails qui en disent beaucoup , et d'analyses définitives.
Seul hic ! dans le scenario : il s'agit d'une création imaginaire, fruit d'une distillation de sources non critiquées, et que la réalité ne cesse de déjouer. Il faut du temps pour l'admettre – car il en va quand même de l'existence d'une information fiable en France – mais la vérité est que les journalistes ne font pas leur travail correctement. Et que personne ne les contredit puisque, justement, on compte sur eux pour véhiculer l'information entre les deux rives de l'Atlantique {footnote} Quelques personnes commencent à réagir, comme Alexandre Leupin dans Causeur{/footnote}.
Rappelons-nous un instant les manchettes de l'année dernière sur l'irrésistible ascension d'Hillary. Bien sûr, elle avait encore bien des obstacles à franchir qui n'étaient pas sans rappeler aux nostalgiques d'une autre candidate, française celle-là, les frissons de leur combat passé. Mais malgré tout, l'affaire était entendue : l'Amérique se devait d'élire Hillary. On traduisait donc sa biographie, on publiait ses discours, on multipliait les portraits. Pendant que la France se passionnait pour Ségolène Clinton, l'Obamania se mettait en place aux États-Unis. Oups ! Premier décalage.
Les Français apprirent donc début 2009 que, finalement, les démocrates risquaient de choisir un autre pur-sang pour la course à la présidence. Il fallait en catastrophe faire avaler Barak à la France. Cela ne se révéla pas bien difficile. D'abord, le nouvel élu des Français passait bien à la télé, il était jeune et beau, s'affichait avec une femme délicieuse et des enfants qui ne l'étaient pas moins. Mais de surcroît il avait adopté une position tranchée sur l'unique sujet de politique américaine qui donne aux Français des envies de voter en novembre : la guerre en Irak. Obama était contre ! Vraiment contre. Plus encore que Clinton. Joie ! Extase sans mélange que de voir un Américain nous donner raison ! La langueur française pour Barak, comblée par une tournée mondiale à mi-chemin entre Madonna et Kennedy (mais dont l'Amérique se contreficha), était donc sans partage.
Car il était bien entendu que les candidats républicains n'étaient que de pauvres bougres de conservateurs honnis de tous. Et la preuve était que leur tête de liste s'avérait être un homme de 72 ans, vétéran du Vietnam. Pas même besoin d'en parler. En dire du mal de temps en temps suffisait. L'on vit donc un représentant du gouvernement, Laurent Wauquiez, faire le voyage chez les cheyennes et plus précisément à Denver, pour prendre le pouls de la convention démocrate et assister à l'intronisation solennelle du candidat Obama. Il ne lui vint même pas à l'idée d'attendre une semaine pour sonder l'autre camp. Que pouvait-il sortir de bon du parti républicain ? On ne se le demanda pas longtemps : dix jours après que le secrétaire d'Etat avait rangé sa parka et son jean dans le placard à expéditions et narré ses éblouissements, les sondages donnaient l'avantage à McCain...
Mais comment cela est-il possible ? Les Américains sont-ils donc idiots ou arriérés à ce point ? Si vous n'êtes consommateur que des médias français, cher lecteur, vous n'avez aucune, absolument aucune raison d'échapper à ces interrogations. Car à suivre les médias français depuis un an, le coude-à-coude entre McCain et Obama dans les sondages est tout simplement incompréhensible. Vous vous résoudrez donc à gober l'explication ultime, le mistigri des analystes paumés : l'Amérique est toujours aux mains des racistes, des brandisseurs de Bible, des manieurs d'armes à feu et des ploucs. La preuve : le choix de Sarah Palin, chrétienne décidée, chasseresse à ses heures et ancien maire d'un trou en Alaska où l'on n'a rien d'autre à faire que de s'offrir un caribou et de chevaucher sa motoneige. Ou l'inverse. La belle analyse. Celle qui convainc surtout parce qu'elle réconforte d'être français, et nous affermit dans la vocation d'être aux avant-postes du combat pour la civilisation.
Chimères médiatiques
Cette histoire qu'on nous raconte depuis un an est une chimère. Elle est le résultat d'une transmission partiale des événements, repassée au filtre des attentes supposées de la société française. Pourquoi ? La raison la plus objective s'est révélée au cours des mois : les réajustements de l'information transmise en France ne sont pas intervenus en temps réel, mais seulement lorsque les grands médias américains ont eux-mêmes entériné l'évolution de la campagne. Or tous ces grands médias ont une stratégie électorale et soutiennent plus ou moins ouvertement Barak Obama. Aucun n'est neutre politiquement. D'abord parce que le concept semble une incongruité aux États-Unis, où la responsabilité d'opérer ou de ne pas opérer une synthèse revient à chaque électeur et aussi, par conséquent, aux journalistes français. Ensuite parce que ces médias n'ont toujours pas pardonné à Georges Bush et aux conservateurs de les avoir manipulés sur la guerre contre le terrorisme. Poids de l'habitude ou paresse ? Toujours est-il que l'information en France a pâti d'une collecte américaine pas assez soucieuse d'équilibre. La relecture simplificatrice des rédactions françaises a fait le reste. Ce serait tellement long de vous expliquer pourquoi l'Amérique est un pays normal.
Rassemblez donc vos journaux depuis trois semaines et prenez une feuille de papier. Reportez sur deux colonnes les titres ou les idées principales des articles, ceux parlant d'Obama à gauche et ceux parlant de McCain à droite. Faites le total et comparez. Le résultat n'a rien à voir avec un duel quasiment à égalité dans les sondages. En réalité, une colonne reflète fidèlement l'argumentaire des commentateurs démocrates en faveur de leur poulain, et l'autre colonne reflète fidèlement l'argumentaire de ces mêmes commentateurs démocrates contre le concurrent. Lire aujourd'hui les journaux français sur l'Amérique, c'est à peu de choses près lire l'Humanité il y a trente ans sur l'Union soviétique : au-delà des variantes, un unique son de cloche. On vous a donc vendu Hillary lorsque le New York Times, les bobos blancs et les stars d'Hollywood avaient décidé de son élection. Et depuis quelques mois on vous vend Obama avec la même candeur.
Le sommet a été atteint avec l'arrivée de Sarah Palin dans l'arène. Aucun journaliste ne la connaissait. Pas même l'embryon d'une petite fiche. Qu'arriva-t-il ? On retrouva dans la presse française non seulement les ragots mais les diffamations qui couraient dans le caniveau des blogs extrémistes démocrates, parce qu'ils étaient les premiers à avoir réagi. Depuis, le portrait de Sarah Palin exposé aux regards français reflète fidèlement les fureurs et les obsessions de la frange libertaire du parti démocrate, décidée à abattre le gouverneur de l'Alaska avec un acharnement qui rappelle le sort réservé à Christine Boutin il y a quelques années. Or si cette entreprise de propagande a marché en France, elle a eu l'effet inverse aux États-Unis et n'a fait qu'alimenter un immense élan de sympathie populaire pour une femme qui, enfin, apportait un peu d'authenticité dans cette campagne dominée par les apparences.
Le Messie et le héros
La vérité est qu'aucun des deux candidats n'est vraiment à la hauteur de l'enjeu électoral américain. Barak Obama ne défend pas des idées mais une image, celle d'un changement qu'il incarne sous les apparences d'un Messie gentil, Messie des Noirs, Messie des minorités, Messie de la paix planétaire ou encore Messie d'une économie dans une mauvaise passe. La vocation messianique d'Obama n'est, pour beaucoup, pas une métaphore. Cf. par exemple : http://obamamessiah.blogspot.com.
L'homme reflète fidèlement la situation d'un parti démocrate que ses dérives idéologiques ont coupé de ses électeurs, qui est miné par la corruption de Washington et qui, faute de se réformer, se réfugie dans les artifices rhétoriques. Même et surtout après des centaines de discours, on ne sait toujours pas très bien ce que pense Barak Obama. Il semble d'ailleurs que cela arrange tout le monde car, du temps où il défendait des idées, elles étaient d'un radicalisme ou d'une irresponsabilité incapacitants pour l'élection présidentielle. Pour l'heure, la crise financière lui offre la vague de la dernière chance, qu'il a su remarquablement prendre comme à l'habitude, en accablant la dure loi du marché sans avoir à s'expliquer sur le contenu du changement qu'il apporte. Il lui reste à croiser les doigts pour que l'argument tienne jusqu'à novembre, ce qui n'est pas gagné. Si Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants d'où le mal est parti, ont pu alimenter la bulle financière, c'est en effet parce qu'ils étaient soutenus par l'État fédéral, selon un modèle économique encouragé par le parti démocrate.
Au Messie Obama répond le héros McCain. Ce dernier doit sa présence en finale à son opiniâtreté et à son courage, célébrés sur tous les tons lors de la convention républicaine. Un moyen, certes, de se réconcilier avec un parti que le sénateur de l'Arizona n'a jamais ménagé, tout en conservant une distance et une liberté de ton indispensables pour se démarquer de Bush. Mais plus profondément, le culte du héros permet aussi de masquer la crise d'identité que traverse le Parti républicain, et le manque d'une vision d'ensemble qui est en temps normal la condition d'une victoire aux élections : Ronald Reagan, la référence en la matière, avait su remarquablement marier le courant libéral au courant social du parti, le souci de la santé économique et le souci des valeurs américaines. Le mouvement néo-conservateur qui porta Bush Junior au pouvoir avait lui aussi su renouveler le discours républicain en y insérant un souci éthique et une vision inspirés notamment par d'anciens gauchistes dégoûtés de la décomposition des idées politiques dans le parti démocrate. On sait comment il s'enlisa dans les sables irakiens et dans ses propres contradictions. Mais depuis, rien n'est venu le remplacer. L'absence d'une position claire sur les questions économiques se révèle aujourd'hui au milieu de la crise financière : l'argumentaire central de McCain, articulé autour de la réforme tant de Washington que du système fiscal, et confirmé par le choix de Sarah Palin, tombe trop à côté des préoccupations du moment.
Le Messie et le héros. Deux figures qui résument bien la politique américaine : ni la religion ni les vertus morales ne la régissent vraiment, mais c'est parce que l'une comme les autres en définissent les codes. Obama est le candidat d'une politique en forme de religion séculière, McCain celui du volontarisme rénovateur. Le premier possède un avantage évident sur le second : les Américains aiment les héros au moins autant que les messies, mais un héros a besoin d'une cause bien définie là où le messie a simplement besoin de paraître. L'avantage pourrait cependant s'inverser : il y a un moment où le paraître lasse, surtout quand on attend de l'action.
* Dominique Aubuisson est chercheur, réside dans le Michigan.
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