Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 23 avril 2010
Pour que le prélèvement d'organe ait la forme caractéristique d'un don et ne soit pas jugé comme un acte d'appropriation du cadavre, il est capital qu'il repose sur un véritable consentement. L'authenticité humaine d'un geste si capital exige que les personnes soient convenablement informées du processus que cela implique afin d'y consentir ou d'y renoncer sciemment en toute liberté , disait Jean Paul II. Comment recueillir ce consentement alors que la personne est décédée ?
Les États qui ont légiféré sur le prélèvement d'organes se partagent en deux catégories : ceux qui ont fait le choix du consentement présumé (opt out) et ceux qui ont opté pour le consentement explicite (opt in).
Ces deux formules reconnaissent en fait des différences de degré dans l'expression de la volonté de la personne. Ainsi dans le cas de figure d'un consentement explicite fort (hard opt in), la famille ne peut annuler la décision de la personne de donner ses organes tandis qu'avec celui du consentement explicite faible (soft opt in), la famille peut s'opposer au don même si la personne s'est inscrite comme donneur, ou à l'inverse l'accepter, même si la personne n'est pas enregistrée comme donneur.
Dans un système de consentement présumé fort (hard opt out), la famille ne peut refuser le prélèvement si l'individu n'a pas exprimé de refus de son vivant. Le consentement présumé faible (soft opt out) signifie qu'aucun prélèvement n'est effectué si la famille n'y consent.
D'après l'Agence de la biomédecine dans son Bilan d'application de la loi de bioéthique du 6 août 2004,
dans tous les pays, quel que soit le mode de consentement adopté, on constate que la connaissance de la position du défunt est une aide pour engager le dialogue avec les proches mais ne permet pas de passer outre. Même dans les pays ayant mis en place des registres du consentement, les équipes médicales ne prélèvent pas un donneur, fût-il inscrit sur le registre, si sa famille s'y oppose, compte tenu de la violence d'un tel acte et des risques à terme sur l'opinion [9] .
Consentement présumé
L'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni ont instauré un consentement explicite dit faible tandis que la France, l'Espagne, la Finlande, la Grèce, l'Italie, le Portugal ou la Suède ont opté pour la formule du consentement présumé, lui aussi faible.
En France, le Code de la santé publique se bornait initialement à prévoir que le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée [...] peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement (art. L. 1232-1, loi n. 76-1181 du 22 décembre 1976, dite loi Caillavet). Devant le risque de dérive d'une approche rigide du consentement présumé (hard opt out) qui institue une forme d'accaparement sanitaire des corps des personnes décédées, le législateur a été amené en 1994 à préciser la démarche des médecins. Ainsi une opposition au don d'organes doit se traduire par l'inscription de la personne de son vivant sur un registre national automatisé des refus de prélèvements que gère dorénavant l'Agence de la biomédecine [10].
Mais, précise le code, si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés .
De fait, les équipes médicales ne passent pas outre le refus des familles et ont inscrit leurs pratiques dans un système soft de consentement présumé. Le taux d'opposition des familles est de 30,7 % en 2008 contre 28% en 2007, chiffre stable depuis une décennie. La fonction de coordinatrice des prélèvements a par ailleurs été créée pour tisser une relation de confiance avec la famille. Cela suppose une formation des professionnels à l'annonce de la mort, l'existence de locaux spécifiques pour accueillir la famille et mener à bien un entretien qui ne saurait s'improviser. Ainsi que le rappelle la mission parlementaire d'information sur la révision des lois de bioéthique, si les professionnels de santé ont une obligation d'information, ils doivent tenir compte également des valeurs de la famille, de la variable affective et de la dimension symbolique attachée au don d'organes [11] .
Réflexion catholique
Le respect de l'avis des proches est conforme à réflexion catholique qui avait déjà demandé par la voix de Pie XII une reconnaissance des droits et sentiments des tiers à qui incombe le soin du cadavre, les proches parents d'abord [12] . Le groupe bioéthique de la conférence des évêques de France estime que le système de consentement présumé à la française qui fait place à l'information de la famille tout en respectant son opposition au prélèvement paraît moralement acceptable [13] . Jean-Paul II a confirmé explicitement la portée éthique de la décision des proches : L'accord des proches possède une valeur éthique en l'absence de décision de la part du donneur , point que n'a pas remis en cause Benoît XVI : Il arrive souvent que la technique de la greffe d'organes s'accomplisse par un geste d'une gratuité totale de la part des parents des patients dont le décès a été établi.
Pour prévenir les difficultés psychologiques liées au recueil du consentement auprès des proches, le Conseil d'État recommande avec sagesse que soit encouragée l'information des familles pour que les positions de chacun soient débattues et connues et qu'elles ne soient pas confrontées au choix lors du moment le plus difficile [14] . Benoît XVI a également insisté sur ce point :
Une médecine des greffes correspondant à une éthique du don exige de la part de tous l'engagement d'investir chaque effort possible dans la formation et l'information afin de sensibiliser toujours davantage les consciences à une problématique qui concerne directement la vie de nombreuses personnes.
Malgré leur équilibre fragile, les procédures de consentement explicite faible (soft opt in) où l'individu s'est inscrit comme donneur mais où la famille peut refuser le don et de consentement présumé faible (soft opt out) comme en France où aucun prélèvement n'est réalisé sans l'accord de la famille, sont dont d'une manière générale acceptables sur le plan éthique. Dans la seconde formule, la vigilance s'impose cependant d'autant plus que certains commentateurs la jugent hypocrite et souhaiteraient passer à un régime de consentement présumé dit hard.
Le danger d'appropriation coercitive
Le médecin et chroniqueur Jean-Yves Nau faisait ainsi état en début d'année de la volonté du gouvernement finlandais d'autoriser les prélèvements d'organes sans l'accord de la famille pour faire face à la pénurie de greffes [15]. De fait, la volonté qu'une collectivité nationale, sous prétexte de sauver des vies, s'approprie de manière coercitive les éléments constitutifs du corps de ses citoyens est un danger qu'il ne faut pas sous-estimer.
On remarquera à ce propos que c'est bien cette même volonté d'exploitation qui commande la destruction des corps embryonnaires , pour reprendre une expression de l'Instruction doctrinale Dignitas personae [16]. L'embryon humain, bien vivant, n'est-il pas apprécié à l'aune des cellules souches dont on souhaite s'emparer ? Les lui prélever, c'est en outre aboutir à la mort du donneur , à l'encontre du principe fondamental qui veut qu'on ne doit jamais provoquer intentionnellement le décès de ce donneur en prélevant ses éléments biologiques.
En rappelant que la santé d'un être humain, quel qu'il soit, ne doit jamais être mise en danger, Benoît XVI a une fois de plus fait montre d'une extrême cohérence dans son raisonnement dans son discours sur les greffes d'organes :
Le même principe éthique doit être réaffirmé quand on veut arriver à la création et à la destruction d'embryons humains destinés à des fins thérapeutiques. La simple idée de considérer l'embryon comme un matériel thérapeutique contredit les bases culturelles, civiles et éthiques sur lesquelles repose la dignité de la personne [17].
Article précédent : L'Église et le don d'organes : les enjeux éthiques, Décryptage, 15/04/2010.
À suivre :
Les prélèvements d'organes sur les donneurs en état de mort encéphalique
La question des prélèvements à cœur arrêté.
[9] Agence de la biomédecine, Rapport annuel et bilan des activités 2008.
[10] Ce registre doit être consulté avant tout prélèvement. Il comprenait 74 698 noms validés au 31 décembre 2008.
[11] Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, op.cit., p. 402-403.
[12] Pie XII, Discours du 13 mai 1956 à des délégués de l'association italienne des donneurs de cornée et de l'Union italienne des aveugles, cité par Mgr d'Ornellas.
[13] Mgr Pierre d'Ornellas, Bioéthique, propos pour un dialogue, Lethielleux/DDB, 2009, p. 49.
[14] Conseil d'État, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 95. Dès 1996, les évêques de France écrivaient : Nous vous invitons instamment à cette réflexion personnelle et à ces échanges en famille à l'intérieur des communautés, paroissiales et autres , Déclaration du 26 janvier 1996 de la Commission sociale de la Conférence des évêques de France, La Documentation catholique n. 2134.
[15] Slate.fr, Votre dépouille nous appartient, Jean-Yves Nau, 4 janvier 2010.
[16] Congrégation pour la doctrine de la foi, Instruction Dignitas personae sur certaines questions de bioéthique, 8 septembre 2008, n. 4.
[17] Benoît XVI, op.cit.