Article rédigé par Jean-Marie Decoq, Patrice de Plunkett, le 11 avril 2003
Frère dans la foi dont tu fais le procès ("Les catholiques français, le pape et la guerre", Décryptage, 4 avril), je vais tenter de te faire entendre un autre discours sur les tragiques événements de ces derniers jours.
Qu'il soit établi en commençant que je pense qu'une guerre est toujours un désastre et manifeste l'échec des autres moyens pour résoudre un conflit. Mais je pense aussi qu'il est des désastres qui permettent d'éviter des catastrophes plus grandes encore. Entre deux mauvaises solutions, il est souvent difficile de choisir en conscience celles qu'on estime la moins mauvaise. A partir de là, s'ouvre le débat plutôt que les diktats.
À voir les images de la libération de Bagdad, je t'invite à revoir le jugement sommaire que tu prononces à propos de ceux qui ne partagent pas ton avis et celui de Jean Paul II. Faut-il ne pas avoir vécu une dictature pour savourer vraiment le mot liberté ? Dans notre vieille Europe, cette liberté nous ne la savourons plus, tant nous en sommes rassasiés. Les Irakiens ont une chance aujourd'hui de la retrouver après tant d'années d'une dictature si cruelle. J'ai bien dit une chance. Ce n'est pas une certitude. Mais ce qui est certain, c'est que si les Américains n'étaient pas intervenus, cette chance ne leur aurait pas été donnée.
Il serait naïf de penser que d'autres raisons n'ont pas aussi motivé cette intervention. C'est évident ! Mais le plus important pour les Irakiens, n'est-ce cette chance d'échapper à l'esclavage du pouvoir de Saddam Hussein ?
Quand Jean Paul II se prononce contre l'intervention militaire d'un pays dans un autre, il s'agit là d'une prise de position politique que je respecte mais que je ne partage pas. Cela n'engage ni ma foi, ni mon appartenance à l'Église du Christ. Je peux bien entendu me tromper en choisissant telle position politique plutôt qu'une autre, mais lui aussi. A posteriori, (mais je te concède que c'est toujours facile d'écrire l'histoire à rebours), je me demande si les adversaires de l'intervention avaient mesuré la souffrance des Irakiens sous la férule sanguinaire de Saddam Hussein.
La religion ne s'applique ni aux choses privées, (ma fille choisira ou non de se marier à l'Église, cela la regarde) ni aux choses publiques. La religion se vit. Elle tente de décrypter le rapport que l'homme doit avoir avec l'Autre, le Tout Autre et donc aussi les autres et lui-même. Elle touche donc à la condition et aux limites de l'homme. Elle interroge plutôt qu'elle ne fournit réponse évidente ou certitude facile.
Gardons nous des certitudes surtout celles qu'on est nombreux à partager.
Il nous reste à prier tous ensemble, quelle que soit notre opinion sur ces événements, pour que les Irakiens retrouvent le bonheur de vivre libres.
Bien fraternellement dans le Christ,
J.-M. D., 10 avril.
La réponse de Patrice de Plunkett. Merci de ta réponse. Parmi celles des partisans de la guerre, elle est la seule (jusqu'ici) qui ne soit pas "schizophrène", c'est-à-dire séparant la conscience religieuse de la conscience politique. Néanmoins je ne partage pas ta perception des événements de ces derniers jours.
Comment un chrétien pourrait-il supporter la phrase du ministre anglais Hoon ("Les mères des enfants tués par les bombes à fragmentation remercieront un jour les alliés de les avoir employées pour donner à ces mères la possibilité de décider, par elles-mêmes, du futur de leur pays au lieu de continuer à vivre dans un pays martyrisé par un régime brutal") ? Le carnage des bombardements US a été effrayant : les ONG humanitaires commencent seulement à l'évaluer.
Et l'on pouvait libérer ce pays de son régime par des voies non sanglantes... à condition d'en avoir le talent et la patience, ce dont Washington manque visiblement.
Beaucoup d'observateurs pensent aujourd'hui -- comme Serge July dans son éditorial de Libération de ce matin, plus réaliste que les précédents -- que Bush est entré dans un engrenage infernal qui le mènera à s'en prendre à tout le Proche-Orient ; engrenage que les scènes bagdadiennes de ces jours-ci ne masqueront pas longtemps.
Enfin, le grand cri contre la guerre n'exprime pas une "opinion" : il exprime la position de notre Église. Des dignitaires islamiques eux-mêmes ont salué cette position. Permets-moi d'être heureux d'y adhérer sans réticence...
Fraternellement dans le Christ,
P. P. , 11 avril
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