Article rédigé par La Fondation de service politique, le 30 septembre 2002
Deux ans après la fameuse visite d'Ariel Sharon, alors chef de file de l'opposition, sur le Mont du Temple qui allait donner le feu vert à l'Intifada d'El Aqsa, nous revenons sur cet événement avec le seul journaliste qui réussit à accompagner Sharon ce jour-là, Yuval Karni.
A posteriori, cette visite met en lumière le caractère singulier de cette Intifada. Si la première Intifada avait surtout un caractère politique, la seconde a un caractère religieux avec un arrière fond politique. Nous assistons à une islamisation de plus en plus marquée de l'Intifada qui a d'ailleurs pris le nom d'Intifada d'El Aqsa (c'est-à-dire de Jérusalem). C'est pour la Ville Sainte que Palestiniens et Israéliens se battent aujourd'hui : nous sommes en présence d'une guerre de religions qui réussit encore à cacher son nom. En Europe comme aux États-Unis, ce caractère du conflit échappe bien souvent à l'observateur extérieur (y compris les journalistes) qui préfère rester sur le plan du politique où il est à coup sûr plus à l'aise.
Yuval Karni est journaliste au quotidien israélien Yediyot Arahonot et spécialisé dans la question des Territoires et des implantations.
Selon les conseillers de Sharon avec lesquels vous avez parlé, quel était le but de cette visite sur le Mont du Temple ?
Y. K. : Sharon voulait voir l'esplanade du Temple parce que suivant certains archéologues, les Palestiniens avaient entrepris des travaux et des fouilles archéologiques qui avaient pour but de détruire des vestiges historiques juifs. Étant conscient du caractère sensible de cette visite, il avait dès le départ fait savoir qu'il n'avait pas l'intention de pénétrer à l'intérieur des mosquées mais seulement de monter sur l'esplanade du Temple qui est sous souveraineté israélienne.
La veille, l'Autorité palestinienne avait fait passer un message aux autorités israéliennes prévenant qu'elle ne passerait pas sous silence une telle visite de Sharon sur le Mont du Temple ; Sharon pouvait-il réviser sa décision ?
Y. K. : Non, du point de vue d'Ariel Sharon, une menace de ce genre non seulement ne peut l'arrêter mais au contraire le stimule à faire ce qu'il a décidé. Selon lui, toute menace des Palestiniens visant à l'empêcher de se rendre dans un quelconque lieu se trouvant sous souveraineté israélienne est une démission face aux Palestiniens. De plus, le Mont du Temple est un Lieu Saint pour le judaïsme.
Mais cette visite avait bien un aspect politique après le sommet de Camp David et les propositions d'Ehud Barak de diviser Jérusalem...
Y. K. : Oui, bien sûr ! Ariel Sharon était à l'époque le leader du Likoud et s'opposait à toute négociation sur Jérusalem de façon générale et sur la vieille ville en particulier, y compris bien entendu le Mont du Temple. Il était important pour lui de se rendre sur place et de signifier par ce geste qu'avec lui, il n'y aurait pas de négociations sur la vieille ville et le Mont du Temple.
Quelles furent les mesures prises par les forces de sécurité ?
Y. K. : Des centaines de policiers et gardes frontières furent déployés pour cette visite exceptionnelle qui se voulait publique et médiatique, le but étant de faire passer un message. Par le passé, la plupart des politiciens israéliens qui se sont rendus sur le Mont du Temple l'on fait dans la plus grande discrétion. De plus, nous savions qu'il y aurait un certain nombre de Palestiniens sur l'esplanade ainsi que des députés arabes israéliens qui avaient l'intention de perturber la visite de Sharon mais l'on ne pensait pas que cela finirait comme cela s'est fini.
Comment s'est passée la visite ?
Y. K. : Quand Sharon est entré, des Palestiniens ont hurlé des malédictions en arabe et l'ont insulté alors que les députés arabes israéliens présents comme Ahmed Tibi ont lui ont crié : " Tu es un assassin ! " en rappelant Sabra et Shatila. Le député arabe Dahamshé lui a lancé : " Ici ce n'est pas le Mont du Temple, c'est une mosquée, tu profanes un Lieu Saint, tu rends impur ce Lieu ! " Sharon avait du mal à voir ce qui se passait tant la sécurité autour de lui était importante. La visite a été courte, elle a durée entre 20 minutes et une demi-heure. Il s'est rendu jusqu'au lieu où le Waqf faisait des travaux et à écouté les explications d'archéologues qui s'opposaient aux fouilles que les Palestiniens faisaient sur le Mont du Temple. Il m'était impossible d'entendre les paroles de Sharon à cause du brouhaha et parce que je ne pouvais pas me rapprocher plus à cause des gardes du corps mais il paraissait avoir très chaud et être particulièrement tendu, il se sentait entouré d'ennemis. Avec lui, il y avait plusieurs députés de droite dont à leur tête Rubi Rivlin, l'un de ses proches et aujourd'hui ministre de la Communication. Au terme de sa visite Sharon déclara : " Le Mont du Temple est entre nos mains. Il est le Lieu Saint le plus important pour le peuple juif. "
Les violences ont-elles commencé pendant la visite de Sharon ?
Y. K. : Non, il y a eu des heurts entre Palestiniens et les forces de sécurité israéliennes après que Sharon ait quitté les lieux. Pendant la visite elle-même, il n'y a eu que des cris et des insultes à l'encontre de Sharon. Ensuite, des centaines de jeunes Palestiniens sont sortis de la mosquée d'El Aqsa vers l'esplanade et ont commencé à lancer des pierres sur les forces de polices qui ripostèrent par des tirs de balles en caoutchouc. Ce jour-là, il y a eu vingt-cinq policiers et une vingtaine de Palestiniens blessés mais les véritables violences n'ont commencé que le lendemain au terme de la prière du vendredi dans les mosquées.
Est-ce Sharon qui a déclenché l'Intifada ? Cette question a été très controversée en Israël et a donné lieu à un débat politique interne. Mais depuis que les Palestiniens eux-mêmes ont avoué avoir préparé l'Intifada d'El Aqsa bien avant la visite de Sharon sur le Mont du Temple, ce sujet n'est plus débattu en Israël. Ceci étant, certaines personnalités de la gauche israélienne accusent Sharon de provocation même s'il n'est pas la cause direct de l'Intifada.
Enfin, comme journaliste spécialisé dans la question des Territoires, avez vous vu des signes avant coureurs de l'Intifada d'El Aqsa ?
Y. K. : Nous avions le sentiment que quelque chose de mauvais allait se produire à la suite de l'échec du sommet de Camp David. Dans les Territoires, il y avait des signes évidents que les Palestiniens se préparaient à une confrontation armée avec Israël, c'était l'évaluation de la situation aussi bien à l'échelon politique qu'à l'échelon des services de sécurité, mais personne ne s'attendait à un conflit aussi important et à de telles violences. Ce fut une surprise quasiment totale.
Propos recueillis par Jean-Marie Allafort.