Article rédigé par Yves Meaudre*, le 17 décembre 2004
L'analyse d'Isabelle Floriot ("Torpillage en direct", Décryptage du 3 décembre) exprime en peu de mot ce que nous vivons aussi avec les Enfants du Mékong dans les pays du Sud-Est asiatique, d'où la France s'est retirée.
En Côte d'Ivoire, l'exaspération de la situation est révélatrice. En donnant beaucoup d'elle-même, la France a instauré une pax gallica à l'abri de laquelle les peuples de nombreux pays amis ont pu prospérer et s'organiser. Cette amitié a été féconde. L'Occident ne doit plus se laisser culpabiliser par un discours suicidaire.
Ce que nous vivons en Asie post-communiste ou encore communiste, est par bien des aspects, comparable. Par complexe, nous avons laissé s'installer des voyous à la tête de ces pays qui se réclament d'une indépendance sourcilleuse tout en dévorant les budgets himalayesques de l'ONU ou des subventions étrangères à leur seul et unique profit. La population profonde souffre et s'appauvrit tandis que le PNB croît pour la satisfaction de l'OCDE !
Toute l'action d'une ONG responsable est d'évoluer au plus près des populations, en cherchant à inventer les filières pour que l'argent aille directement aux réalisations et aux humbles. Il ne faut rien concéder aux institutions des pays. Certes, cela gêne considérablement les ambassades souvent rappelées à l'ordre par les gouvernements locaux. J'ai à disposition les courriers angoissés et pathétiques de consuls magnifiques qui évoquent la description qu'en a faite Lartéguy dans l'Adieu à Saïgon. Ils nous appellent à respecter "l'État de droit" des pays concernés. Il nous faut donc tenir bon, avec un certain humour, d'autant que les mêmes, lors de dîners privés, vous encouragent à garder votre mode de conduite. Ainsi pouvons-nous être aimés par les peuples, qui, eux ne sont pas dupes du discours du respect de souveraineté de leur nation et sont terrorisés. Car il s'agit de non-ingérence dans la souveraineté des organisations mafieuses.
Pour le problème de fond et singulièrement de la Côte d'Ivoire, la France n'a pas mille solutions. Soit, sans complexe elle revient à la méthode "Foccart" (et basta ! l'alibi des états d'âme droits-de-l'hommesques pour ne rien faire...), méthode qui a maintenu ces pays en paix et en progression économique constante, soit elle laisse tomber, et n'expose pas inutilement ses propres enfants chargés de protéger des gangsters qui veulent leur mort -ils l'ont prouvé- sans volonté de conclure. Soit elle se retire et le plus fort s'imposera (Bernard Lugan).
Mais pour définir une politique, il faut avoir des idées claires, ne pas être encombré par des a priori idéologiques ni se dissimuler derrière "la déontologie de la fonction". Le drame, c'est que trop souvent les hommes bien élevés qui commandent aujourd'hui sont ceux qu'a croqués Lartéguy : " Les énarques... (que les amis qui en sont ne m'en veuillent pas, ils reconnaîtront très vite la redoutable description) analysent souvent fort bien les situations si les données qu'on leur fournit sont exactes et à condition qu'ils ne soient pas aux prises avec "cet animal ondoyant et divers" dont les hauts (et petits) fonctionnaires ont horreur, [c'est-à-dire] l'homme qu'une catastrophe ramène à l'état sauvage. Pour s'y retrouver il faut de bonnes brutes... sûres de leur bon droit."
Mais Lartéguy va plus loin... "C'est un test, l'ENA a fait des grosses têtes sans tripe, rien de grand ne peut être fait dans des circonstances difficiles sans une certaine folie, le goût du risque et du panache... ce dont ils sont incapables."
J'ai personnellement, dans des circonstances où les vies humaines n'étaient pourtant pas exposées mais où la réputation et la carrière étaient effectivement menacées, pu faire l'expérience de l'incurie des hommes que dénonce Lartéguy. Or ceux, libres et justes, dont les peuples qui souffrent ont besoin, existent. Souvent très jeunes, ils sont aussi généreux, compétents et maîtres d'eux-mêmes (les soldats français de "Licorne" l'ont amplement prouvé). Donnez-leur une politique et ils feront des miracles.
*Yves Meaudre est directeur général de l'ONG Enfants du Mékong, aide à l'enfance du Sud-Est asiatique.
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