Article rédigé par La Fondation de service politique, le 07 février 2003
[L'analyse de Nicolas Bréjon de Lavergnée, "Chronique d'une réforme annoncée" (10 janvier) a suscité des réactions (disponibles sur le Forum des lecteurs). Anne-Marie Minard trouve que " l'article conclut sur une vision optimiste appelant à une politique nataliste et familiale ", qui emporte l'adhésion, mais que " le corps de l'article donne à penser que le gouvernement annonce des mesures de "politique active d'accueil de l'enfant à naître et de politique familiale ambitieuse" ", ce qui est plus contestable.
Arguments et réponse de Nicolas Bréjon de Lavergnée. ]
Je ne vois pas à quelles mesures l'auteur fait allusion. Je me rappelle fort bien par contre que de telles mesures, par exemple le salaire maternel, qui permettrait d'introduire dans la solidarité incluse dans la retraite par répartition , une dimension familiale, figurait dans les promesses du candidat Chirac lors de l'avant dernière élection présidentielle. Nous savons tous ce qu'il en est advenu...
L'importance de l'immigration a certes était sous-estimée et l'est toujours. Il serait intéressant de savoir pourquoi. Telle qu'elle est actuellement, et depuis plus de vingt ans, elle est plus coûteuse que rentable. Il me semble fallacieux de penser que enfants d'immigrés qui ne peuvent pas s'intégrer, du fait d'un afflux exponentiel dans le système éducatif français, ou qui ne veulent pas s'intégrer pour des motifs de communautarisme religieux et de revendications identitaires qui travailleront pour payer les retraites des autochtones, surtout s'ils ont été assistés toute leur vie.
Il est vraisemblable que des immigrés venus des pays de l'Europe de l'Est récemment entrés dans l'UE puissent et veuillent s'intégrer ; mais avons nous encore les capacités de les accueillir ? Autre inconnue dans les perspectives optimistes de l'auteur : le nombre d'actifs qui voudront continuer à travailler après 60 ans. Il est à craindre que les jeunes cadres, actuellement sous-pression dès leur entrée dans la vie active, et qui de ce fait font souvent bien plus de 40 heures par semaine, soient "lessivés" avant d'atteindre les 60 ans, et connaissent des périodes plus ou moins longue d'inactivité forcée.
La surcharge des maternités est bien plutôt une conséquence des réformes mal pensées et mal conduites de notre système de santé, et de la volonté de médicaliser l'accouchement, que d'un très relatif mini "baby-boom". 750 000 naissances par an dans un pays de 60 millions d'habitants, en proie au communautarisme, ce n'est pas la même chose que 800 000 dans un pays de 40 millions d'habitants d'une population homogène depuis des siècles. Qu'on aligne la durée de cotisations des fonctionnaires pour l'ouverture du droit à pension pourquoi pas ? mais il faut aussi se rendre compte que les fonctionnaires sont loin d'être majoritaires dans la fonctions publiques.
Il serait intéressant d'en connaître le pourcentage par rapport au contractuels, qui finissent leur carrière à des niveaux indiçaires bien supérieurs, aux agents des entreprise publiques et des agents de droit privé d'organismes para-public(Sécurité sociale par exemple) dont les conditions de départ à la retraite et/ou les perspectives d'évolution de carrières sont très différentes et bien plus favorables que celles des fonctionnaires proprement dits . Les pouvoirs publics , comme les organisations syndicales, ne sont pas des adeptes inconditionnels de la transparence en la matière. Que dire par ailleurs de ceux qui cumulent retraite de fonctionnaire et de parlementaire... (A.-M. M., 13/1/03).
La réponse de Nicolas Bréjon de Lavergnée, qui répond également sur la question du vieillissement de la population.
1- Tout le monde (ou à peu près) sait qu'une politique familiale ajustée favorise le mariage et la natalité. Les exemples les plus criants nous viennent des pays de l'Est où tous les indicateurs de natalité et de fécondité ont chuté brutalement après la chute du mur de Berlin, c'est-à-dire en fait après que les gouvernements se soient alignés sur ce que faisaient en la matière les pays "développés".
La France est le pays européen développé où la natalité et la nuptialité sont les meilleures. C'est déjà un grand signe d'espoir. Certes le salaire maternel n'a pas encore été instauré mais, si l'on peut le regretter, peut-on le reprocher au gouvernement Raffarin, confronté à des problèmes sociaux et économiques graves et à des déficits publics importants, la barre fatidique des 3 % ayant peut-être même été franchie ? Il y a encore beaucoup à faire, c'est vrai, mais davantage d'un point de vue qualitatif que quantitatif, à savoir des mesures pour faciliter la vie de famille, le travail éducatif des parents, l'harmonie entre rythme de travail et temps de loisirs. Dans ce domaine si important - car, comme on le sait - "le diable se met dans les petites choses" - l'imagination, la souplesse, l'ouverture d'esprit, la mentalité d'accueil de la vie, font plus que l'argent. Le gouvernement actuel nous semble plus compréhensif que le précédent et l'existence d'un "mini baby-boom" peut nous faire espérer que le pire (le suicide collectif par extinction démographique) n'est pas le plus probable.
En ce qui concerne l'immigration, je suis bien placé - en tant que professeur de faculté - pour affirmer que les enfants d'immigrés veulent dans leur grande majorité s'intégrer. Ce sont souvent les plus actifs en cours et les plus appliqués car ils connaissent l'enjeu et savent très bien qu'ils souffrent d'un handicap au départ. Considérer qu'ils sont dans leur majorité soumis aux pressions communautaristes et aux influences fondamentalistes est une vision catastrophiste des choses. Là encore le(s) gouvernements ont leur part de responsabilité. M. Jospin, quoi qu'il en dise, n'a rien fait pour aider à cette intégration. Elle ne se fera pas complètement d'un coup, ni même sur deux ou trois générations, mais elle se fera si l'on s'en donne les moyens. Il n'y a pas si longtemps que les Français parlaient des "ritals", des Espagnols ou des Portugais avec un certain dédain... où en est-on maintenant ? Gardons espoir... mais pas les bras croisés.
Notre système éducatif français a fort besoin d'être amélioré, disons même adapté à ces nouvelles populations. Qu'à cela ne tienne, nous avons les capacités de le faire si nous le voulons. L'intégration des populations venant des pays de l'Est ne pose, en revanche, aucun problème : l'Union européenne y contribuera et, d'autre part, leur culture est profondément européenne et chrétienne.
3- La question de l'allongement de la durée de la vie active n'est pas, à mon avis, justiciable d'une réponse unique. Comme l'a bien dit M. Strauss-Kahn à la télévision, ce n'est que justice de tenir compte des pénibilités différentes des métiers, même si ces calculs vont prêter à polémique. D'autre part l'attitude face au travail est vraiment personnelle: certains ont hâte d'être à la retraite, d'autres (comme les professeurs d'université par exemple) jouent les prolongations maximales. Quant au clergé, sa limite d'âge est de 75 ans : qui dira qu'ils font un "boulot pénard". Il faut donc, en la matière, respecter les goûts des gens et je ne vois rien dans les principes (au contraire, n'est-ce pas, Mme Aubry) qui les oblige à travailler tous autant, le montant des retraites étant modulable en fonction de la durée, au-delà d'un certain plancher minimal qui, si le système global explosait (ce dont je doute), pourrait progressivement augmenter légèrement de trois mois par an par exemple, jusqu'à 62 ou 63 ans. Cela se fait déjà dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne ; pourquoi pas en France ? Des incitations fiscales à l'épargne pour la retraite type "Préfon" sont également à envisager, préférables aux fonds de pension qui - comme le montre l'exemple anglais - ne parviennent plus à financer les retraites.
4- Je ne crois pas avoir fait l'impasse sur le vieillissement de la population française mais je l'ai simplement relativisé en faisant remarquer que la part des moins de 20 ans et des plus de 65 ans en % de la population totale était restée à peu près constante. Or c'est bien de cela qu'il s'agit. Les études sur les retraites comptent toujours en termes de tant d'actifs pour tant de retraités mais la question est plutôt de savoir combien il y a d'actifs pour tant d'inactifs. C'est alors qu'on constate que si l'on intègre la tranche 60-65 ans dans les actifs, la part des actifs est à peu près stable. Ce calcul - qui tendrait donc à prouver que 65 ans est une assez bonne limite d'âge de l'activité - suppose évidemment que les entrepreneurs acceptent de continuer à les embaucher. Là encore il faut faire preuve d'imagination et proposer, par exemple, des allègements de cotisations, sachant que ce qui est perdu d'un côté (moindres cotisations) sera largement gagné de l'autre (en impôts ainsi qu'en bien-être individuel et social).
Sait-on qu'il y a actuellement 12 millions de retraités en France? Combien sont encore en bonne santé et seraient prêts à travailler à temps partiel, soit dans le secteur marchand, soit dans le secteur non marchand. Rappelons-nous les réactions corporatistes à l'idée d'employer des mères de famille ou des personnes qualifiées à la retraite comme juges de proximité !
Mon analyse est simple : au plan économique, le problème des retraites n'est pas si catastrophique qu'on veut bien le dire ; on peut lire dans l'actualité plein de signes d'espoir.
Au plan politique, il est soluble à condition que l'on s'en donne les moyens. Au plan social, il l'est également à condition de faire barrage aux corporatismes et avantages acquis de toutes sortes que les "Trente Glorieuses" rendaient possibles, mais plus maintenant. Les Français sont très chatouilleux sur les questions de justice sociale et les sacrifices nécessaires seront d'autant mieux acceptés qu'ils seront mieux partagés.
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