Coup d'accélérateur en faveur du don d'ovocytes (II)
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 25 mars 2011

Dans son dernier rapport, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dresse un état des lieux inquiétant du don d'ovocytes en France (cf. notre précédent article, LP.com 8 mars 2011). Chantages et pressions exercés sur les couples par les spécialistes de la médecine de la reproduction,  rémunération occulte des donneuses, tourisme procréatif encouragé par les praticiens français,...

Plutôt que de remettre en cause une pratique qui semble résister à tous les garde-fous, la mission souhaite amplifier le don d'ovocytes en recensant les leviers organisationnels susceptibles d'êtres mobilisés pour diversifier le recrutement des donneuses  spontanées . À cette fin, la mission recommande d'autoriser sans tarder la vitrification ovocytaire, énième aggravation dans la désormais longue histoire de l'instrumentalisation de la procréation par la technique.

 

Il faut améliorer l'efficacité du don d'ovocytes par tous les moyens, voici en substance le message martelé par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans l'étude qu'elle vient de publier à la demande du ministère de la santé. La mission se fixe ainsi l'objectif minimal de 1500 prises en charge annuelles en France pour 2013 pour répondre aux besoins des femmes atteintes d'insuffisances ovariennes avancées ou débutantes avec une croissance continue à concurrence de 3000 prises en charge par an pour couvrir à moyen terme les échecs des fécondations in vitro intraconjugales. Une extension du périmètre de prise en charge pourrait également être envisagée si le législateur décidait un jour d'ouvrir le don d'ovocytes aux couples d'homosexuels et aux femmes célibataires.

Pour réponde à ce scénario, la mission compte sur l'autorisation par la loi de la vitrification ou congélation ultra-rapide des ovocytes. Plusieurs études conduites dans divers pays européens ont en effet montré qu'il n'y avait quasiment  aucune différence de performance  entre fécondation d'ovocytes  frais  et vitrifiés en termes de taux de fertilisation, implantation et grossesse. D'où l'intérêt des spécialistes de l'AMP qui espèrent ainsi disposer de stocks de cellules reproductrices féminines gérés par des banques publiques à l'instar de ce qui se fait avec les spermatozoïdes et les embryons. Le lobby des procréations artificielles a obtenu gain de cause, les députés ayant adopté en première lecture une disposition légalisant explicitement la vitrification.

Partage d'ovules vitrifiés

Cette technique pourrait en outre modifier en profondeur l'organisation du don d'ovocytes en France. L'IGAS ne s'y est pas trompée en faisant de la vitrification le moyen d'élargir les sources d'approvisionnement en ovules.

Principale piste avancée,  les dons de couples qui bénéficient d'un processus de FIV sont une source potentielle qui trouvera pleinement à s'appliquer avec la vitrification ovocytaire . Autrement dit, les inspecteurs proposent que soit désormais instaurée une dynamique de  partage d'ovocytes vitrifiés par les dizaines de milliers de couples engagés chaque année dans une FIV intraconjugale. Après une stimulation ovarienne classique, 6 à 10 ovocytes sont ponctionnés en moyenne en France en vue d'une fécondation in vitro classique au sein du couple. L'équipe médicale pourrait produire plusieurs embryons en fécondant une partie des ovules et en stockant ceux qui restent. En cas de succès du projet parental, le couple pourrait ainsi donner ses ovocytes surnuméraires vitrifiés. Dans le cas contraire, les gamètes reviendraient au couple tant que celui-ci n'aurait pas réalisé son désir d'enfant.

 

Faisons une remarque : les embryons  en trop  continueront d'être congelés, la mission reconnaissant que la vitrification ne fera pas disparaître la question de la surproduction embryonnaire. L'autorisation de la vitrification des ovocytes aboutira ainsi à constituer deux stocks distincts : un d'embryons et un autre d'ovules.

Quoi qu'il en soit, le partage des  ressources biologiques  pour satisfaire les besoins de l'assistance médicale à la procréation n'est pas une idée nouvelle. Les Anglo-Saxons ont forgé le concept d'équitabilité pour défendre cette thèse du donnant-donnant entre couples infertiles. Tout individu qui sollicite un système est tenu de contribuer à son bon fonctionnement en payant éventuellement de sa personne. Concernant l'AMP, on appelle cela le don en miroir ou don par réciprocité. Cette démarche  en miroir  est proposée comme une espèce de  compensation morale  au bénéfice reçu.

Logique du contre-don

L'IGAS évoque ainsi une  nouvelle philosophie du don . Nous avions révélé dernièrement qu'était encouragée dans certains centres d'AMP une logique du contre-don où un couple qui a bénéficié d'un don de sperme ayant abouti à la naissance d'un enfant est invité dans un second temps à faire un don d'ovocytes[1]. La mission qui approuve cette pratique demande de développer le contre-don d'ovocytes par des femmes ayant recouru à une AMP avec tiers donneur de sperme.

Ce qui est nouveau est qu'elle recommande aussi d'étendre  le contre-don d'ovocytes à tous les couples ayant bénéficié d'une FIV avec ou sans don de sperme, lorsque la fertilité féminine n'est pas en cause .

En mai 2009, nous mettions en garde contre un possible détournement de la vitrification pour pallier la pénurie chronique du don d'ovocytes. Avec la possibilité de constituer un surstock d'ovocytes, nous disions que les femmes engagées dans un parcours classique d'AMP se verraient  encourager  à donner une ou plusieurs de leurs précieuses cellules.

Nous écrivions alors :  En autorisant la vitrification de gamètes féminins au détour de n'importe quel parcours de FIV, il sera facile de proposer à chaque femme de faire un geste de générosité en faveur d'une autre moins chanceuse qu'elle, la promotion risquant de se transformer bien vite en incitation.

‘‘Madame, vous avez bénéficié gracieusement des progrès de la biomédecine qui vous ont permis de concevoir l'enfant que vous ne pouviez pas avoir naturellement avec votre mari stérile. A présent que votre désir d'enfant est comblé, voulez-vous vraiment détruire les ovocytes que nous vous avons généreusement gardés au cas où vous en auriez eu encore besoin ? N'est-il pas préférable de les offrir par altruisme à une femme qui en est dépourvue et dont le bonheur dépend peut-être de votre décision ?''.

N'est-ce pas à peu près le chantage affectif plus ou moins explicite qui sera exercé sur les femmes si les centres d'AMP stockent massivement leurs cellules reproductrices ? La méthode de vitrification pourrait ainsi alimenter la constitution de banques d'ovocytes et participer à élargir le fossé entre maternité biologique et sociale [2].

 

 

 

 

Pas de doute, nous y sommes. Pour l'IGAS, la vitrification constitue une aubaine pour relancer la collecte d'ovules et  mutualiser les dons via un système de banques  couvrant l'ensemble du territoire.

Dissociation de la maternité

Cette stratégie d'accaparement des ovules nous semble extrêmement grave sur le plan éthique. Elle ne peut que contribuer à dissocier encore plus le  processus d'enfantement  entre maternité biologique et maternité d'intention. Qui recollera les morceaux de cette maternité éclatée ? Les gamètes sont porteurs de l'aspect généalogique de la personne. Il n'est pas possible de les déconnecter de la femme dont ils sont issus et qui sera la génitrice des enfants ainsi conçus.  Cet enfant, je vais le porter mais il n'aura pas mon patrimoine génétique. Qu'est-ce que je lui répondrai à l'adolescence quand il me dira que je ne suis pas sa mère ? , s'inquiète Sophie qui a recouru à un don d'ovocytes en Espagne (JDD, 7 novembre 2010). La mère est toujours connue de manière sûre, elle est celle qui accouche – mater semper certa est – selon l'antique règle du droit romain. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, ce n'est plus le cas, la maternité peut être incertaine.

La philosophie sous-jacente aux biotechnologies de la reproduction a fait entrer les différents protagonistes dans un rapport de domination entre sujets producteurs – donneurs de gamètes et médecins qui les manipulent – et objets produits, les enfants qui sont issus de ces processus[3]. Projet parental et efficience fabricatrice s'alimentent mutuellement pour parvenir  à la réalisation d'un désir d'enfant parfois poussé jusqu'à l'acharnement  selon une formule forte du Comité consultatif national d'éthique [4].

Dans ce cadre où s'exerce une  domination de la technique sur l'origine et la destinée de la personne humaine  (Dignitas personae, n. 17), il était inévitable que les praticiens de l'AMP fassent appel à des ovules étrangers selon les besoins. Dans l'AMP, le risque est que l'enfant ne soit plus fondamentalement un don à accueillir mais le terme d'un projet qui relève de la construction volontariste. Les biologistes de la reproduction ont simplement besoin de gamètes, si possible de bonne qualité, qui est le matériel de base requis pour finaliser le protocole. Peu importe la provenance des ovules si l'ingénierie biomédicale parvient à réaliser ce projet d'enfant. Les ovules sont fondamentalement interchangeables au regard de la démarche technicienne.

En promouvant un partage des ovocytes vitrifiés chez tous les couples ayant bénéficié d'une fécondation in vitro, l'Inspection générale des affaires sociales donne un formidable coup d'accélérateur à la révolution procréative contemporaine.

 

Article précédent :
Don d'ovocytes : un état des lieux alarmants (I), 18 mars 2011.

 

 

 

[1] Le Lannou D., Griveau J.-F., Veron E., Jaffre F., Jouve G., Descheemaeker, Gueho A., Morcel K.,  Pour un don d'ovocytes à la française , Gynécologie obstétrique & Fertilité 38 (2010) 23-29.
[2] Pierre-Olivier Arduin,  L'explosion du stock d'embryons relance le débat , Liberté politique, 29 mai 2009.
[3] On lira avec profit Olivier Bonnewijn, Ethique sexuelle et familiale, chapitre X  La production d'embryons humains destinés à un projet parental , Editions de l'Emmanuel, 2006, p. 267-292.
[4] Comité consultatif national d'éthique, Accès aux origines, anonymat et secret de filiation, Avis n. 90, novembre 2005.