Article rédigé par Isabelle Flouriot, le 03 décembre 2004
Faut-il voir dans les événements de Côte d'Ivoire un nouveau Zaïre, une RCA bis ? Il est vrai qu'une perle de la colonisation française se torpille sous nos yeux. Les étrangers ont perdu confiance, plusieurs milliers sont partis ; les Ivoiriens ont peur, qui fuient vers les pays voisins – le Libéria entre autres : c'est le monde à l'envers – augmentant le nombre des réfugiés sur le continent.
Vivre ici à Kinshasa [l'auteur est actuellement en mission à Kinshasa, Ndlr] donne une idée du malheur dans lequel Gbagbo est en train de précipiter son peuple : ce ne sera plus jamais comme avant, le pays va se retrouver appauvri, avec des morts, devant des ruines – magasins, entrepôts, usines, fermes – et dans une instabilité grandissante. À long terme, les plus malheureux seront les Ivoiriens qui se retrouveront désemparés, sans moyens, et surtout sans dirigeants capables ni honnêtes.
À quand le désengagement des troupes françaises ? Vont-elles rester longtemps investies d'un mandat international ? Est-ce vraiment souhaitable tant que se trouve au pouvoir un ennemi de la France ? De toutes façons il faudra bien que les Casques bleus prennent le relais tôt ou tard, en attendant que l'armée ivoirienne elle-même domine la situation (photo : le sac de l'hôtel Ivoire après l'évacuation des civils Français, le 9 novembre).
On imagine facilement ce qui en sortira, guerre ethnique et massacres, mais à quoi bon maintenir un semblant de paix complètement artificielle ? Pourquoi imposer l'ordre à des fous qui le refusent absolument, et exposer leur propres ressortissants, civils et militaires ? En face de dirigeants d'une mauvaise foi criante – " les avions ivoiriens n'étaient pas de sortie le jour du bombardement " - quels arguments un pays occidental peut-il opposer ?
Et maintenant ? La Côte d'Ivoire rejoint ainsi la cohorte des pays malmenés par des dirigeants vaniteux et corrompus, qui ne se soucient pas le moins du monde de leur peuple, et n'ont comme objectifs que le pouvoir et l'argent. Le plus possible et le plus longtemps possible. La situation pitoyable du pays sert même à tendre la main en culpabilisant les pays du Nord, opération fort rentable au demeurant : Union européenne, Banque mondiale, Programmes alimentaires déversent sans fin nourriture et fonds, réhabilitant routes, ponts, pistes d'aéroports etc. pendant que les ressources du pays vont dans les poches des dirigeants : l'électricité vendue à l'étranger par la RDC ne sert ni à l'alimentation des Congolais ni même à l'entretien du réseau : nombreux sont les foyers sans électricité, et encore plus nombreuses sont les coupures qui entravent une économie déjà si modeste : menuisiers, couturiers sont sans cesse en " chômage technique " par manque de courant. C'est le règne de la gabegie (1).
Mais il faut bien admettre que le développement devra se faire de l'intérieur, à l'initiative des nationaux. L'aide internationale permet seulement aux populations de survivre ; on pourra toujours refaire des routes, doter de matériel les hôpitaux, mettre des bancs dans les écoles, ou distribuer des vivres, cela ne résoudra pas les problèmes du sous-développement ; par contre cela entretient une mentalité d'assistés : l'Occident est mis en demeure de parer à toutes les situations dramatiques, quelles soient d'origines naturelles, ou qu'elles aient été provoquées par l'incurie, l'avidité, ou la cruauté des chefs d'États. Il y a bien longtemps qu'on le constatait : " L'Afrique est mal partie " ; c'est vrai, et il lui faudra des siècles pour émerger. Notre Europe a connu une histoire mouvementée elle aussi, et elle ne s'est pas construite en quelques décennies.
La période coloniale n'aura été qu'une parenthèse de moins d'un siècle, et ces pays connaissent un recul certain de leurs conditions de vie ; cependant, cela semble une étape nécessaire à une indispensable maturation : la Côte d'Ivoire va se retrouver, comme le Congo, un pays riche où les gens sont pauvres, où le peuple dépense une énergie considérable pour survivre, mais prend conscience que son sort dépend de ses dirigeants.
Que faire ? demeurer en relation avec des ONG qui encouragent et soutiennent des microréalisations d'initiatives locales ; et prier pour qu'émergent des gouvernants dignes de ce nom, honnêtes, travailleurs, et désintéressés.
Rendez-vous dans un siècle...
Note (1) En Côte d'Ivoire le Président s'est même servi de la privation d'électricité comme arme de guerre : le Nord, opposant, a pu déplorer des morts dans ses hôpitaux et ses maternités. L'ère des tyrans n'est pas révolue.
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