Contrôler l'immigration ? Dialogue à main armée entre G.-Fr. Dumont et H. Le Bras
Article rédigé par Jacques Bichot*, le 15 janvier 2010

Deux ténors de la démographie raisonnent et s'affrontent sur le thème de l'immigration et de son contrôle. Tous deux ont été membres de la commission Mazeaud, chargée en février 2008 d'un rapport sur le thème Immigration et constitution . Sur ce sujet comme sur d'autres questions démographiques, leurs positions divergent. Le débat ne pouvait être qu'animé.

L'échange a été réalisé, conformément à la trame de tous les ouvrages de cette collection Pour ou contre , en trois temps : un exposé de chaque auteur ; une réfutation par chacun de ce qu'il désapprouve dans l'exposé de l'autre ; et une conclusion pour chacun, où la critique de la critique tient une place importante.
Hervé Le Bras est un partisan de la libre circulation des hommes sur toute la surface du globe. Constatant la libre circulation des marchandises, il s'exclame d'emblée : Il semblerait pourtant logique que les humains puissent se déplacer aussi librement que leurs productions. Logique, peut-être, mais possible et souhaitable ? Sur le second point, Le Bras fait remarquer qu'un travailleur arrivant adulte d'un pays étranger où des personnes ont financé l'investissement que représente son entretien et sa formation durant son enfance et sa jeunesse constitue une aubaine pour le pays d'arrivée, et il en déduit : Le pays ou la famille qui a élevé l'immigré devrait demander un remboursement ou bien se voir attribuer une partie des cotisations sociales versées par le travailleur immigré.
C'est une position que je soutiens, mais de manière plus nuancée : encore faut-il que l'immigré trouve à s'employer productivement dans le pays d'accueil. Il existe hélas des cadeaux dont on ne sait que faire, et qui, pour parler franc, vous embarrassent.
Hervé le Bras reproche assez violemment à Gérard-François Dumont de ne pas adopter un point de vue économique cohérent ; mais il a lui-même tendance à faire abstraction des réalités qui ne cadrent pas avec ses a priori idéologiques : c'est dommage, car son intelligence déliée soulève bien des questions intéressantes, comme celle du couplet sur le développement des pays de départ , qui revient trop souvent dans la bouche des bien pensants lorsqu'ils veulent trouver une alternative à l'immigration du Sud vers le Nord : ce développement est hélas souvent rendu bien difficile, pour ne pas dire impossible, par toutes sortes de facteurs, au premier rang desquels l'égoïsme et l'incompétence des dirigeants.
Enregistrer les populations
Un point d'accord entre les deux experts : l'immigration n'apporte pas une solution simple au problème du vieillissement de la population européenne. Si le taux d'activité s'élevait partout au niveau atteint en Suède, si l'on comprenait que la prolongation de l'espérance de vie s'accompagne d'une capacité, pour la plupart, à travailler jusqu'à des âges plus avancés, une partie importante du problème serait résolue.
G.-F. Dumont montre que les obstacles aux migrations proviennent non seulement des restrictions à l'entrée, mais aussi des interdictions d'émigrer. Les pays communistes, jusqu'à la chute du mur de Berlin, furent des spécialistes de cette entrave à la libre circulation des hommes ; il en reste encore quelques-uns (Corée du Nord, Cuba). Il montre aussi que le contrôle de l'immigration ne doit pas être confondu avec son interdiction : en fait, les pays les plus ouverts statistiquement, comme le Canada et l'Australie, ont une politique de contrôle très élaborée. Cela est nécessaire pour une intégration réussie : comment pourvoir aux besoins des immigrés en vue de leur intégration si on ne les connaît pas ? Contrôle n'est pas synonyme de renvoi de tous ceux qui se trouvent en situation illégale, mais plutôt d'enregistrement et de suivi des immigrants : on ne perd pas leur trace, on s'occupe d'eux. Ainsi en Espagne, l'immigré illégal au regard de la réglementation nationale se trouve très fréquemment inscrit sur les registres de population de la commune où il réside. Cette inscription lui permet d'inscrire ses enfants à l'école et de bénéficier des services de santé .
Nos deux auteurs sont d'accord sur l'utilité – quasiment la nécessité – de ces registres de population, que la France n'a pas mis en place. Et c'est H. Le Bras qui écrit ici ce que G.-F. Dumont a expliqué dans maints écrits : à savoir qu'en France, la réforme (ou disparition) du recensement, sans mise en place de registres locaux de population, a été une erreur monumentale, qui nous prive d'informations indispensables.
Sophisme compassionnel
Déconstruisant le sophisme compassionnel , Dumont cite un complément très instructif apporté par Michel Rocard, quelques mois plus tard, à sa fameuse déclaration du 7 janvier 1990 : La France ne peut accueillir toute la misère du monde. Il faut connaître ces quelques lignes : Nous ne pouvons plus recevoir un flux massif et incontrôlé sans que cela n'hypothèque gravement d'abord l'équilibre social de la nation, ensuite les chances d'intégration des étrangers installés, enfin l'avenir même de nouvelles vagues d'arrivants [...]. Nous sommes à la veille d'une nouvelle vague massive, venant d'un Sud plus lointain, d'un Est plus incertain. Et je le dis clairement, cette vague doit être endiguée.
Les chiffres du chômage, fournis par l'INSEE, que rappelle Dumont (9 % de chômage pour les Français de naissance, 26 % à 29 % pour les Maghrébins), donnent un contenu concret au constat rocardien.
In fine, Le Bras s'énerve et critique sans trop de discernement. Dumont, lui, décortique un exemple important, celui de l'espace Schengen, montrant que la libre circulation à l'intérieur n'aurait jamais été possible sans la mise en place d'un contrôle coordonné, entre les pays participants, de leurs frontières extérieures. Comme quoi les règles ne sont pas toujours les ennemies de la liberté ; si elles sont bonnes, elles en sont au contraire les garantes !
Terminons sur un regret : la question de la seconde génération n'est guère abordée dans ce petit livre. Or on sait que beaucoup de problèmes rencontrés par la première génération de migrants se retrouvent hélas chez leurs enfants et petits-enfants. Après avoir lu ce petit livre facile d'accès et instructif, écrivez donc à Gérard-François Dumont et à Hervé Le Bras pour leur suggérer de consacrer un de leurs prochains ouvrages aux descendants d'immigrés !
Gérard-François Dumont et Hervé Le Bras, Doit-on contrôler l'immigration ? Éditions Prométhée, coll. Pour ou Contre , 2009, 128 p., 10,45 €
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*Jacques Bichot est vice-président de l'Association des économistes catholiques.

 

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