Article rédigé par La Fondation de service politique, le 15 novembre 2002
La droite française serait-elle en train de faire mentir l'adage cher à Guy Mollet en vertu duquel elle serait " la plus bête du monde " ? Fondatrice des institutions de la Ve République par l'entremise du général de Gaulle, c'est elle qui a finalement mis le plus de temps à s'y adapter puisqu'elle a trente ans de retard sur la gauche.
La banalisation est bien l'enveloppe de cette union en train de se faire entre des partis qui ont mis longtemps à se détacher de leur histoire et de leurs origines. Le gaullisme est mort depuis de longues années, encore fallait-il l'enterrer ; et avec lui l'anti-gaullisme qui n'existait à droite que par antinomie. C'est fait, au hasard de circonstances inattendues mais objectivement favorables ; sans toutefois être définitivement joué.
Mais la leçon donnée autrefois par François Mitterrand a-t-elle été apprise ? Ce n'est pas encore sûr, à supposer qu'elle soit transposable. Le PS en effet s'est construit dans l'opposition pour s'asseoir ensuite grâce au succès qui l'a pérennisé bien avant que ne se posent les difficiles problèmes de la durée. Le chemin à parcourir par la droite est inverse.
Objectivement, comme le furent au temps de leur fondation l'UNR puis le RPR, et aussi l'UDF, pour le moment l'UMP est le parti d'un homme qui a mis dans la balance tout le poids de sa fonction présidentielle et de sa réélection. Mais cet homme, malgré son énergie et sa santé, en raison de son âge et parce qu'il entame son deuxième mandat, n'a plus beaucoup de temps devant lui. L'avenir n'appartient à personne sinon à Dieu ; néanmoins la question de sa succession se posera inévitablement et rapidement. Bien sûr, grâce d'ailleurs au quinquennat, un troisième mandat n'est pas tout à fait inconcevable ; il sera même très tentant si les mécanismes se grippent, car autant le Président sortant est légitime à se représenter, autant il pèse peu quand l'ouverture de la succession déchaîne les ambitions. Cependant, il reste vulnérable de façon latente à un passé qui n'a pas été nettoyé et qui peut réapparaître un jour ou l'autre, dans des circonstances qu'il ne maîtrisera probablement pas : son autorité en souffrirait à nouveau comme ce fut déjà le cas.
Ainsi l'UMP risque de se trouver à son tour victime de la faille structurelle des institutions de la Ve République : celle qui dissocie l'exécutif en deux têtes. La séparation entre le gouvernement et la direction du parti majoritaire en introduit une seconde. De fait, les trois protagonistes sont déjà en place : Jacques Chirac à l'Élysée dans les conditions que je viens d'évoquer, Jean-Pierre Raffarin à Matignon sur qui reposera le succès ou l'échec de la politique gouvernementale avec un mandat fondé sur une majorité parlementaire dont la durée théorique est maintenant égale à celle du Président, et Alain Juppé à la tête du nouveau parti comme tremplin d'ambitions d'ores et déjà manifestes en dépit des marques laissées par ses erreurs et ses échecs antérieurs. On ne le répètera jamais assez, la dichotomie existant entre les deux sources de légitimité politique d'une part, et d'autre part celle qui est en train de naître entre le gouvernement et l'instrument partisan de son action quotidienne sont porteuses de sérieuses difficultés.
Ce ne serait pas trop inquiétant si les partis de droite avaient acquis la maîtrise de la résolution de leurs conflits internes et une discipline qui les mettent à l'abri d'un excès de fureur. Mais doublement héritière d'une tradition bonapartiste qui ne demande qu'à s'exprimer par le plébiscite d'un homme providentiel sans trop se poser de questions, et d'une tradition notabiliaire bien ancrée chez les élus, notamment les élus locaux, qui est peu portée au débat idéologique, mais qui se contenterait volontiers d'un conglomérat lâche d'appareils électoraux simplement destinés à garantir le maintien des positions acquises, le handicap de l'UMP est grand : car il lui faut fédérer les contraires et se doter des moyens de les surmonter. Ce que seront ses statuts donnera une indication du positionnement adopté et des chances de réussite : s'ils favorisent la cohésion interne, s'ils permettent l'élimination des " brebis galleuses " compromises dans les affaires, s'ils organisent la sélection objective des candidats à tous les niveaux, alors il n'est pas déraisonnable de penser qu'elle réussira. Cependant à toutes fins utiles et de façon préventive, le gouvernement serait sans doute bien avisé de modifier le système de financement des partis politiques afin qu'il n'incite plus, ou qu'il incite moins, à l'émiettement : ce n'est pas parce qu'il a, en principe, cinq ans à vivre avant la prochaine échéance législative qu'il lui faut perdre du temps et laisser s'alimenter les tendances centrifuges.
Reste la question du contenu. L'union pour l'union n'a pas de sens, surtout si la droite retombe dans les vieilles ornières, oublie les aspirations de ses électeurs et finit par mener en pratique la politique de ses adversaires. À dire vrai, la campagne présidentielle fut particulièrement décevante sur ce point, pour les raisons que l'on connaît. À telle enseigne que le programme du gouvernement s'apparente à une reconstitution et que, sur bien des sujets, il n'est pas prêt : faute d'avoir étudié les dossiers avant l'élection avec une équipe préparée à prendre la relève, il le fait après, avec une équipe improvisée et parfois inexpérimentée, renvoie à plus tard les questions les plus difficiles alors qu'il lui faudra du temps pour les traiter et en faire apparaître les bénéfices, et occupe le terrain par des mesures symboliques qui risquent de cristalliser des oppositions jusque là éparses et démobilisées.
C'est une des grandes faiblesses de la droite que de se croire naturellement apte à la bonne gestion et d'imaginer que cela suffit. D'abord, elle n'en a plus le monopole ; ensuite elle donne l'impression, parfois fondée, d'aspirer au pouvoir pour lui seul ; enfin et surtout elle se met ainsi sous la dépendance des bureaux à qui elle demande d'élaborer des réformes à la place des politiques, qui ressortent de leurs tiroirs de vieilles fripes plus ou moins ravaudées et ne manquent pas de gagner du temps en multipliant les obstacles aux véritables changements.
D'où l'importance du débat politique qui, avant d'être porté sur la place publique, doit se déployer complètement en interne. Avant de créer l'UMP, fallait-il attendre qu'il ait eu lieu ? C'eût été d'une logique toute cartésienne ; mais concrètement impraticable dans un contexte où règnent encore les vieux démons qui débouchent assez naturellement d'un côté sur l'unanimisme et de l'autre sur le sectarisme. Commencer par construire la structure n'est pas ici mettre la charrue avant les bœufs mais faire preuve de réalisme. Cependant l'UMP ne pourra pas se dispenser d'ouvrir le débat d'idées en son propre sein, sauf à décevoir tous ceux qui attendent d'elle autre chose qu'une cuisine destinée à servir la soupe aux appétits personnels. Il lui faudra donc violenter sa nature.
Les courants internes, fussent-ils rebaptisés mouvements, offrent-ils une méthode viable ? Peut-être, mais à trois conditions : que le débat soit substantiel, c'est-à-dire alimenté par les questions essentielles, celles qui engagent l'avenir de la France ; qu'il soit préalable aux échéances pour ne pas apparaître de pure façade ; et qu'il débouche sur une synthèse véritable élaborée à partir d'arbitrages ouverts et acceptés. La gageure n'est pas mince. Mais du moins doit-on faire crédit aux fondateurs d'en accepter par avance le principe et de l'inscrire dans les statuts ; tout sera ensuite affaire d'exécution et de pratique.
Pour le moment, les vieux démons sont enfermés dans la bouteille. Combien de temps y resteront-ils ? À cette mutation en marche et dont le point d'aboutissement n'est pas encore déterminé, la nouvelle génération de ceux qui sont venus à la politique au cours des dix dernières années doit apporter une contribution décisive car elle est porteuse de la rénovation espérée ; et en son sein, tout particulièrement, les catholiques qui ont pris conscience du caractère irremplaçable des valeurs dont ils sont appelés à témoigner dans la Cité. L'union en train de se faire leur pose la question du " comment " d'une façon qu'ils ne peuvent pas éluder.
Cette analyse est extraite d'un article du prochain numéro à paraître de Liberté politique : " L'UMP, en être ou pas ? ". Pour commander ce numéro, cliquez ici.
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