Article rédigé par Jean Flouriot, le 12 février 2010
Les Chinois gagnent tous les marchés, ils sont moins chers, ils construisent à l'heure... , a déclaré Bernard Kouchner devant l'Association de la presse diplomatique, la semaine passée. Et le ministre propose une politique commune, certainement des Français et des Anglais. Et pourquoi pas y ajouter les Portugais et les Belges, les anciennes puissances coloniales et aussi les Américains pour résister à la concurrence économique chinoise, particulièrement sensible sur les marchés africains.
En fait, il ne s'agit pas seulement d'économie mais aussi d'influence politique. Liberté politique en avait déjà parlé il y a deux ans [1].
La Chine est de plus en plus fortement présente sur le continent africain. Un chantier particulier symbolise cette présence de façon exemplaire : celui de la construction du futur siège de l'Union africaine, à Addis Abeba. Commencé début 2009, il se terminera à la fin de l'année prochaine. Une tour de 100 mètres de haut abritera bureaux, auditorium et salles de conférences. La moitié des ouvriers travaillant sur le chantier sont éthiopiens, proportion inhabituelle sur les chantiers chinois en Afrique : les Algériens ont récemment manifesté contre le peu de place qui leur est réservée lors des constructions chinoises dans leur pays.
La politique chinoise en Afrique est nettement dominée par la volonté d'accès aux matières premières minières (pétrole, cuivre, cobalt, ...) mais aussi agricoles : la Chine aurait acheté un million d'hectares en RD Congo et y entreprendrait dès maintenant la mise en place de plantations de palmiers à huile. Il est même question de migrations massives de paysans chinois vers l'Afrique où les terres sont abondantes mais la production décevante , d'après un responsable chinois cité par les journalistes Michel Beuret et Serge Michel (La Chinafrique, Grasset, 2008).
Au sommet sino-africain de Charm-el-Cheikh, en novembre dernier, la Chine a pris l'engagement de mettre à la disposition de l'Afrique 10 milliards de dollars de prêts bonifiés pour les trois années à venir. Ces prêts ne sont évidemment pas sans contrepartie : les discussions sont vives, toujours en RD Congo, où six milliards de dollars de prêts chinois sont gagés sur la production de cuivre et de cobalt.
Quelques ratés
Les Chinois sont bien accueillis par les dirigeants africains auxquels ils ne tiennent pas de discours sur le respect des droits de l'homme ; leurs apports financiers ne sont pas assortis de conditionnalités concernant la lutte contre la corruption. La Chine dispose maintenant de leur appui à l'ONU et s'en félicite : Nous vous remercions du fond du cœur de toujours vous être rangés fermement aux côtés de la Chine au sujet de Taiwan et du Tibet, questions majeures touchant à notre souveraineté et à nos intérêts vitaux , a déclaré l'un des intervenants de la Journée de l'Afrique à Pékin, en mai dernier.
Mais l'amitié sino-africaine connaît tout de même quelques ratés : les populations urbaines africaines supportent mal l'arrivée massive de petits commerçants chinois aussi bien que la mainmise sur les entreprises textiles, acculées à la fermeture et transformées en importatrices de produits chinois. Quant à la migration massive de paysans chinois vers l'Afrique, elle ajouterait sans doute une nouvelle cause de conflit ethnique sur un continent qui en connaît déjà bien assez...
[1] Jean Flouriot, Et maintenant la Chinafrique : que fait la France ? 16 février 2007.
La population chinoise dans quelques pays d'Afrique (en rouge, 2001 ; en vert, 2002-2006, de 300 à 30.000 individus) :