Christine Boutin : démocratie chrétienne, le retour
Article rédigé par Thierry Boutet, le 18 juin 2009

Christine Boutin sera du prochain gouvernement, elle en est convaincue : Nicolas Sarkozy fera le bon choix. Son choix à elle est de transformer le Forum des républicains sociaux (FRS) en Parti chrétien-démocrate (PCD). L'affirmation est audacieuse, mais la formule rejoint-elle la tradition catholique ?

Les raisons – de circonstances – que donne le ministre du Logement au changement de nom de son parti ne sont sans doute pas plus mauvaises que d'autres. Son initiative ne scandalisera que les thuriféraires d'une laïcité agressive pour qui les religions doivent demeurer dans l'espace privé. Souhaitons-lui de réussir. Cela dit, ce parti démocrate chrétien ou chrétien démocrate, la nuance est difficile à saisir, est-il opportun ? Christine Boutin qui veut aller au bout de sa logique le pense. Tout en saluant son courage, est-il possible d'en douter ?

Faut-il rappeler que la démocratie chrétienne a été condamnée par l'Église ? L'encyclique de Léon XIII Graves de communi re du 18 janvier 1901 avait mis en garde contre le terme de démocratie chrétienne en ces termes :

Il serait condamnable de détourner à un sens politique le terme de démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie, d'après l'étymologie même du mot et l'usage qu'en ont fait les philosophes, indique le régime populaire ; mais, dans les circonstances actuelles, il ne faut l'employer qu'en lui ôtant tout sens politique, et en ne lui attachant aucune autre signification que celle d'une bienfaisante action chrétienne parmi le peuple. En effet, les préceptes de la nature et de l'Évangile étant, par leur autorité propre, au-dessus des vicissitudes humaines, il est nécessaire qu'ils ne dépendent d'aucune forme de gouvernement civil ; ils peuvent pourtant s'accommoder de n'importe laquelle de ces formes, pourvu qu'elle ne répugne ni à l'honnêteté ni à la justice.

Ils sont donc et ils demeurent pleinement étrangers aux passions des partis et aux divers événements, de sorte que, quelle que soit la constitution d'un État, les citoyens peuvent et doivent observer ces mêmes préceptes qui leur commandent d'aimer Dieu par-dessus toutes choses et leur prochain comme eux-mêmes. Telle fut la perpétuelle discipline de l'Eglise ; c'est celle qu'appliquèrent toujours les pontifes romains vis-à-vis des États, quelle que fût pour ceux-ci la forme de gouvernement.

L'Église n'absolutise aucune forme de gouvernement fut-il véritablement démocratique. Elle est en charge du salut et non de la prospérité et de la sécurité des peuples. Elles laissent celles-ci aux gouvernements civils légitimes.
Ambiguïté
Se revendiquer d'une politique chrétienne et parler de politiques chrétiennes est toujours ambigu. Hormis les points dans lesquels le droit naturel ou le Décalogue exigent le respect de principes que Benoît XVI qualifie de non négociables , l'Église considère que la plupart des problèmes politiques peuvent recevoir, non pas une, mais plusieurs réponses.
Certes il y a des politiques qui s'inspirent de l'Évangile et de l'enseignement de l'Église (ou qui s'en écartent), mais seulement en tant qu'ils respectent (ou non) le droit naturel. Une chose est de puiser dans sa foi les motifs profonds de son action politique, autre chose de dire que les choix politiques qui sont ceux de tel ou tel gouvernement ou de tel ou tel parti sont en eux-mêmes chrétiens [1]. Pas plus qu'il n'y a de philosophie chrétienne ou de science chrétienne au sens confessionnel du terme, pas plus il n'existe de politique chrétienne.
Le politique est une activité rationnelle. Elle relève de la vertu de prudence, inspirée par la charité. Comme le savant ou le philosophe, l'homme politique peut-être, à la manière de Thomas More ou de saint Louis, conduit dans son action par l'Esprit Saint, voire conseillé par l'Église, mais ce sera toujours sur un fondement qui n'est pas de lui-même théologique.
C'est en ce sens que l'Église elle-même a pu encourager pour des raisons diplomatiques des partis démocrates chrétiens , comme par exemple en Italie ou en Allemagne après la guerre, mais dans un contexte différent (des sociétés alors encore très largement chrétiennes et menacées par le péril communiste).
Mais parce que la politique est une activité en elle-même profane, il existe un risque réel d'instrumentaliser la religion et de commettre un grave contre-témoignage en désignant chrétien un parti (ou un choix) politique, quel qu'il soit. Comme à la philosophie et à la science, laissons à la politique sa légitime autonomie vis-à-vis de la foi. C'est encore la meilleure manière d'être dans le monde sans être du monde.

 

 

 

 

[1] Cf. Note doctrinale sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique. Le magistère défend la nécessité de la présence politique des catholiques dans la société ( le catholique ne peut déléguer à d'autres l'engagement chrétien ) (n.4), mais ne recommande pas d'organisation politique commune : il parle en revanche d' unité culturelle et de liberté d'opinion des catholiques sur les questions contingentes (n.6).

 

 

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