Article rédigé par Philippe Oswald, le 15 novembre 2011
Le christianisme a-t-il encore sa place en Europe ? La question peut faire sursauter. Mais elle n'a rien d'une provocation gratuite, a expliqué en ouverture du passionnant colloque organisé le 9 novembre sur ce thème par l'AED, son directeur, Marc Fromager : jour après jour, l'actualité (dernièrement encore une pièce de théâtre) nous avertit que l'identité chrétienne de l'Europe, quoique forgée par deux mille ans d'histoire, n'est nullement un capital garanti à perpétuité.
L'influence d'une certaine attitude antichrétienne se diffuse systématiquement dans les moyens de communication sociale, dans les manuels scolaires ou dans l'opinion publique déplorait le 30 septembre le cardinal Erdö, archevêque de Budapest, devant les conférences épiscopales européennes dont il est le président. Les exemples abondent d'attaques délibérées relevées par l'Observatoire sur l'intolérance et la discrimination à l'encontre des chrétiens en Europe dont le directeur, Martin Kugler, au nombre des intervenants, a donné des exemples saisissants. Il appartenait à la dizaine de conférenciers réunis par l'AED de cerner les mobiles de ces rejets et de ces injustices, mais aussi de montrer les moyens d'y répondre chrétiennement.
Intellectuellement, cela implique une claire perception des enjeux anthropologiques , a souligné le journaliste et philosophe Gérard Leclerc. Qu'advient-il de la civilisation judéo-chrétienne lorsqu'elle perd sa référence biblique à l'homme créé à la ressemblance de Dieu ? Rompre avec la vision chrétienne de l'homme, ce n'est pas rien ! Refuser d'inscrire les racines chrétiennes de l'Europe dans un texte constitutionnel, c'est même une sorte de coup d'Etat intellectuel . Cette position n'a pas surgi du néant mais de la philosophie des Lumières qui contient en germe les totalitarismes modernes, comme l'ont montré l'historien Pierre Chaunu et le sociologue Marcel Gauchet. Qu'il s'agisse de la conception de la liberté ou de la nature humaine, le divorce semble consommé. Par exemple, le concept biblique de chair qu'habitent l'âme et l'esprit est ravalé à une matière biologique dont on pourra exploiter à volonté les virtualités. Ainsi grandit le mythe contemporain du Cyborg (contraction de cybernetic organism , organisme cybernétique) autrement dit du robot androïde, créature de nouveaux apprentis sorciers dont Tugdual Derville, délégué général de l'Alliance Vita, a décrit les glaçantes transgressions. Quand on en vient, par exemple, à faire naître un bébé médicament au prix d'un double DPI (diagnostic préimplantatoire) ou quand 280 000 embryons sont utilisés -et donc en majorité sacrifiés- pour qu'adviennent 14 000 naissances in vitro, comme c'est le cas aujourd'hui en France, il faut parler de rupture ontologique. Ce sont donc non seulement notre identité sexuelle (mise en cause par la théorie du gender ), mais notre identité humaine et notre destinée qui se jouent dans l'affrontement entre la vision chrétienne de l'homme et la pensée post-moderne .
De même qu'il a existé un œcuménisme du goulag , le rapprochement des points de vue catholique et orthodoxe face à ces grands défis idéologiques et pratiques est clairement apparu dans l'intervention du Père Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe de Paris. Notamment à propos du concept de liberté dont le jeune prélat a rappelé qu'elle n'était pas pour un chrétien la possibilité d'agir selon son bon plaisir mais la liberté de bien agir. Les cas de plus en plus fréquents d'objection de conscience conduisent les théologiens orthodoxes à reconnaître pour la première fois la légitimité de la désobéissance civile. L'Eglise, a-t-il souligné, doit montrer à l'Etat le caractère inadmissible des atteintes à la liberté intellectuelle, religieuse et à la vie. Mais aujourd'hui, tout un chacun peut se trouver confronté à l'objection de conscience, a relevé pour sa part François de Lacoste Lareymondie, vice-président de la Fondation de service politique : un médecin face à une demande d'avortement, un maire face au mariage homosexuel, où une jeune fille enceinte que sa famille ou son compagnon pousse à faire passer l'enfant. Encore faut-il que cet ultime défense contre la barbarie ne soit pas brandie inconsidérément, n'aggrave pas le mal qu'il s'agit d'éviter mais vise à réaliser le bien possible ici et maintenant, dans le respect de la conscience d'autrui.
D'emblée, Mgr Alain Castet, évêque de Luçon, avait confirmé que la question posée par l'AED est bel et bien cruciale . Quotidiennement, le chrétien se heurte à une laïcité postulant la nocivité de la religion et le rejet de toute référence à l'Eglise. Dans ce contexte, soutenir que l'Europe a des racines chrétiennes apparait comme une prétention intolérable alors qu'il s'agit de la simple description d'une évidence historique. Mais n'allons pas nous enfermer dans la désolation : la nostalgie n'est pas une nourriture a fait remarquer la philosophe Chantal Delsol qui a invité les chrétiens à déployer une énergie inépuisable tout en retrouvant une humilité et une solidarité que leur avait fait perdre l'illusion d'être confortablement majoritaires. La ligne à tenir n'est certainement pas celle du repliement frileux mais celle du combat intellectuel, moral et législatif - dont Gregor Puppinck, directeur de l'European Center for Law and Justice, a montré par des exemples récents qu'il pouvait être couronné de succès : une intense mobilisation à l'intention de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a notamment permis de sauver le droit à l'objection de conscience à l'avortement. Autant d'encouragements à agir sans nous borner à réagir et, en tout état de cause, à le faire chrétiennement, en alliant la prudence du serpent à la candeur de la colombe. Ou encore, a conclu Marc Fromager, en adoptant la stratégie de la limonade : du citron, oui, mais avec du sucre ! . Autrement dit, que la charité nous donne de servir la vérité sans acidité et sans jamais perdre de vue l'objectif conjoint de notre propre sanctification.
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