Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 30 mai 2008
La science en soi n'est jamais d'un côté ou de l'autre. La réaction de l'archevêque de Westminster, Cormack Murphy O'Connor, n'a pas tardé après le vote des parlementaires britanniques en faveur de l'autorisation de la conception de bébés-médicaments et d'embryons chimériques homme-animal.
La sentence du prélat (Zenit .org, 27 mai 2008) apparaît dans toute sa clairvoyance si l'on met en perspective la décision de la Chambre des communes avec le lancement de la plate-forme de recherche sur les cellules souches adultes et de cordon ombilical baptisé Novus sanguis, dont une équipe anglaise est la cheville ouvrière.
Bénéficiant du haut patronage du président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, et fait remarquable, du parrainage du ministère de la Recherche français, le consortium international Novus sanguis a été créé par le Centre de recherche sur le sang de cordon dirigé par le professeur Colin McGuckin et la Fondation Jérôme-Lejeune présidée par Jean-Marie Le Méné (cf. Décryptage, 9 mai). Titulaire de la chaire de médecine régénérative de l'université de Newcastle, le Pr McGuckin et son collaborateur français, le docteur Nico Forraz, forment une équipe de renommée mondiale des plus créatives dans le vaste champ des thérapies cellulaires réparatrices. Les résultats encourageants qu'ils ont engrangés récompensent leur intelligence tenace.
L'efficacité réelle des cellules souche de sang de cordon
Le contexte outre-Manche n'était pourtant pas favorable, l'Angleterre naviguant dans une zone de turbulences depuis qu'elle s'est jetée à corps perdu dans le clonage et la conception d'embryons à des fins de recherche, sans aucun bilan tangible à la clé. Or en 2005, McGuckin découvre dans le sang de cordon ombilical la présence d'un groupe de cellules souches unique dont le profil et la signature biocellulaires les rapprochent des cellules embryonnaires. Dénommées pour cela Cord blood-derived Embryonic-like stem cells (CBE's), elles ont la capacité exceptionnelle de former différents tissus — osseux, cartilagineux, sanguin, hépatique, nerveux, cardiaque,... — leur conférant une pluripotence que l'on croyait attachée aux seules cellules extraites de l'embryon. Ces caractéristiques expliqueraient leur efficacité thérapeutique largement documentée depuis plusieurs années dans le domaine des greffes. Permettant de traiter plus de 80 pathologies liées au système sanguin ou immunitaire, ce type de transplantation a déjà supplanté les greffons de moelle osseuse comme au Japon. Rappelons que c'est une Française, le professeur Eliane Gluckman, qui a réalisé avec succès la première greffe de sang de cordon en 1987.
Dans la foulée de cette découverte, l'équipe anglaise parvient à reconstruire des tissus hépatiques en trois dimensions à partir du sang de cordon, avec l'aide de bioréacteurs prêtés par la Nasa. Expérience saluée unanimement par la communauté scientifique car ouvrant des perspectives inédites dans le traitement des maladies du foie bien sûr mais également dans les études de toxicité des médicaments sur la fonction hépatique. Importance capitale pour l'industrie pharmaceutique qui ne peut se contenter des seuls modèles animaux pour progresser. La publication en 2007 de l'obtention de cellules pancréatiques sécrétrices d'insuline parachève définitivement la consécration de ces entités cellulaires dont l'existence n'était pas même soupçonnée il y a trois ans. La qualité éthique et scientifique de leur démarche sera mise à l'honneur au cours d'un colloque international sur les cellules souches adultes qui se tient à Rome en septembre 2006 sous l'égide de l'Académie pontificale pour la Vie. S'y côtoient les meilleurs spécialistes du monde, dont le professeur Yamanaka qu'on ne présente plus depuis son expérience révolutionnaire sur la reprogrammation de cellules adultes en cellules souches pluripotentes dites induites. Co-organisant cette rencontre, la Fondation Lejeune entre en contact avec l'équipe de Newcastle. C'est le début d'un partenariat prometteur.
Les orientations du tout nouveau consortium que l'on découvre dans le dossier de presse sont revigorantes et montrent à l'envi qu'il est possible de conjuguer innovation technoscientifique et choix éthiques. Prenant en compte les contraintes de la biomédecine moderne, les deux co-fondateurs ont mis en réseau des laboratoires pour la plupart européens afin d'initier une dynamique internationale dans cette voie de recherche. Huit projets de très haut niveau ont d'ores et déjà été retenus.
Ce qui frappe est l'approche résolument thérapeutique engagée par ces équipes. L'essentiel de la recherche consiste en ingénierie tissulaire visant des applications directes chez les malades (diabète, accident vasculaire cérébral, infarctus du myocarde, pathologies rhumatologiques,...). Autre aspect roboratif témoignant d'une approche non étriquée : former la prochaine génération des chercheurs européens en médecine régénérative afin de maintenir l'UE à la pointe de ce secteur. Enfin, développer une stratégie de communication scientifique à l'attention des responsables politiques en particulier, mesure on ne peut plus importante à l'approche de la révision de la loi bioéthique française, mais aussi en direction de la société civile en général. On peut donc penser que la page de l'omerta à l'encontre des cellules de cordon, dénoncée il y a un an par le journaliste L. Grzybowski [1], est définitivement tournée.
Les espoirs chimériques des manipulations embryonnaires
Quelques jours après l'inauguration de Novus sanguis à Paris, les députés britanniques faisaient basculer leur pays dans l'absurde. La création de cybrides ou embryons homme-animal est apparue à beaucoup comme une régression scientifique tant les incertitudes sanitaires sont nombreuses [2]. Il n'y a de toute façon aucun début d'application thérapeutique avec les seules cellules souches embryonnaires, pourtant bien humaines. On vient d'apprendre que l'Agence américaine pour la sécurité alimentaire et médicamenteuse (FDA) a recalé ce qui devait être le premier essai clinique utilisant ces cellules. Raison invoquée : les risques encourus en termes de santé humaine sont trop importants (Genethique.org, 27 mai 2008). Depuis leur découverte en 1998, il n'y a décidément toujours rien à l'horizon des applications cliniques chez l'homme. Or, en mars 2008, un rapport émanant de l'US National Institute of Health révélait que plus de 2000 expériences de greffe humaine de cellules souches adultes ont été validées sur la planète, dont 106 à partir des cellules de cordon. Le gouffre entre les deux sources de cellules est plus que jamais irrémédiable.
Autre dispositif qui manifeste l'impéritie de la Chambre des communes. La dépénalisation des bébés médicaments dans le but de concevoir un enfant génétiquement compatible avec un aîné atteint d'une maladie grave. Suite à une AMP classique, on constitue un panel important d'embryons qui seront ensuite triés par criblage des gènes à l'aide de la technique du diagnostic préimplantatoire. Dans l'espoir de sélectionner celui qui sera le plus compatible avec sa sœur ou son frère malade. C'est l'idée folle de l'enfant instrumentalisé comme donneur potentiel. Une idée d'ailleurs entérinée par la France avec le décret du 22 décembre 2006. Adam, le premier bébé au monde conçu dans l'unique but de guérir son frère, a nécessité l'élimination de 16 embryons d'après le labo américain qui s'est chargé de la besogne. Lors du 6e Congrès espagnol de la bioéthique, le professeur Justo Aznar, plus pessimiste, a rappelé qu'il faut détruire en moyenne 100 embryons pour espérer obtenir un enfant compatible (Genethique.org, 22 novembre 2007). Le préjudice moral est d'autant plus insupportable que le tissu prélevé en vue de la greffe n'est autre que... le sang de cordon. Or, McGuckin a montré que les cellules souches de cordon bénéficiaient d'une très bonne tolérance sur le plan immunitaire et que la cryopréservation d'1% des cordons recueillis sur l'ensemble des naissances mondiales suffirait à couvrir les besoins en termes d'histocompatibilité humaine [3]. Il suffirait de stocker un nombre d'échantillons assez conséquent pour rendre caduque cette disposition.
Le présupposé éthique accélère les découvertes
Autant de faits qui jettent une lumière crue sur les propos de l'archevêque de Westminster. Le concept de biomédecine régénérative n'est ni bon ni mauvais en soi. Pour un usage résolument humain, la science doit se placer sous la dépendance de l'éthique. La réflexion morale, extrinsèque à la technique elle-même, permet de porter un jugement adéquat au vrai bien de l'homme et d'orienter de l'intérieur la science médicale. Le cardinal O'Connor plaide ainsi pour l'instauration d'une commission nationale de bioéthique dont le Royaume-Uni a été jusqu'à présent incapable de se doter. Pour tenter d'éviter que ne se réalise le diagnostic profond de Benoît XVI : Le contexte contemporain semble accorder un primat à l'intelligence artificielle qui est toujours davantage sous l'emprise de la technique expérimentale et oublie ainsi que toute science doit toujours également sauvegarder l'homme [...]. Se laisser entraîner par le goût de la découverte sans sauvegarder les critères qui viennent d'une vision plus profonde ferait facilement verser dans le drame dont parlait le mythe antique : le jeune Icare, pris par le goût du vol vers la liberté absolue et inattentif aux avertissements de son vieux père Dédale, s'approche toujours davantage du soleil, en oubliant que ses ailes sont de cire. La terrible chute et la mort sont le tribut qu'il paie à cette illusion [4]. La concordance entre le respect éthique de l'être humain dans sa phase embryonnaire et les progrès enregistrés dans le domaine des cellules souches adules et de sang de cordon appelle une autre interprétation des liens étroits qu'entretiennent entre elles science et morale. Tout se passe en effet comme si le respect de l'éthique pris comme présupposé à la recherche accélérait les découvertes scientifiques elles-mêmes. A contrario, le harnais dictatorial d'une science privée d'un éclairage moral suffisant semble conduire dans l'impasse les chercheurs et les politiques qui accordent leur bénédiction aux pratiques transgressives qu'ils revendiquent. En adossant leur projet biomédical à une pensée éthique forte, les partenaires de Novus sanguis préparent l'avenir et travaillent pour le bien des malades. C'est ce consortium que les conférences épiscopales britanniques et plusieurs associations ont désormais choisi de soutenir. À nous Français de prendre maintenant nos responsabilités.
*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon. A publié La Bioéthique et L'Embryon (Editions de l'Emmanuel, 2007).
[1] L. Grzybowski, Sang de cordon : l'étrange omerta , La Vie, 5 juillet 2007.
[2] Pour une réflexion éthique sur la question des hybrides, voir mon article à paraître dans L'Homme Nouveau du 7 juin 2008.
[3] Données qui nous donnent l'occasion de prendre la mesure du retard français. Notre pays se situe actuellement à la 16e place, derrière la République tchèque, tandis que le nombre de malades traités a augmenté de 25% entre 2006 et 2007. Chaque greffon de sang de cordon importé coûte à la collectivité plus de 17 000 euros. Le gouvernement semble avoir pris la mesure du problème en optant pour le stockage de 10 000 greffons d'ici trois ans. Or, d'après Novus sanguis, il en faudrait au minimum 50 000 pour subvenir aux besoins de la population.
[4] Benoît XVI, Discours du 21 octobre 2006 à l'Université du Latran.
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