Article rédigé par Gérard Leclerc*, le 10 février 2006
L'actuel émoi suscité dans le monde musulman par quelques dessins, au demeurant dérisoires, publiés par plusieurs journaux européens, invite à réfléchir sur la nécessaire sagesse politique que les croyants devraient pratiquer lorsque leurs convictions se trouvent malmenées ou blessées.
Mais cette sagesse, qu'impose la raison comme juste appréciation du bien commun et des conditions de la paix entre les peuples, concerne tous les hommes de bonne volonté. Précisément, n'est-elle pas la grande absente lorsque, non contents de provoquer les musulmans, on s'acharne à attiser les ressentiments à travers une surenchère mimétique propre à déchaîner les pires débordements ?
Nos esprits forts, qui se réclament des Lumières rationnelles et écrasent de leur mépris ceux qu'ils considèrent comme aliénés dans la superstition, ne font pas preuve d'une particulière intelligence dans leur appréhension du phénomène et leurs méthodes de pousse-au-crime. Avant même de faire la leçon à ceux qui ne participent pas de notre univers culturel et sont attachés à des principes inhérents à une civilisation sacrale, il conviendrait peut-être d'utiliser les ressources que nous donne la science de ce type de réalités enracinées dans les millénaires, plutôt que de manifester une ignorance infantile, en contradiction avec la supériorité rationnelle dont on se prévaut contre les "fanatiques". Les réactions indignées qui concernent les populations du Proche Orient et de l'Asie s'expliquent par le désarroi profond d'un univers religieux en proie aux coups de boutoir de ce que Marcel Gauchet appelle le désenchantement du monde.
On devrait comprendre à quel point il est douloureux pour ces populations d'être provoquées dans leurs convictions alors que celles-ci structurent leur mode de vie social depuis toujours, et alors que les phénomènes de globalisation sont précisément en train de détruire en profondeur les fondements de leur sacralité. L'islamisme n'est si virulent que parce qu'il émerge de sociétés en pleines révolutions internes dans une logique de sécularisation et d'autonomisation de la vie sociale.
Ce que le christianisme a admis, souvent difficilement, mais dont il reconnaît la légitimité à cause de la distinction du spirituel et du temporel est beaucoup moins acceptable pour un islam fondé sur la surbordination rigoureuse de la société à la loi religieuse.
C'est toujours au moment du basculement inéluctable dans une mutation historique décisive que les adaptations apparaissent comme les plus douloureuses. Raison de plus pour ne pas provoquer inutilement les sensibilités à vif. Dans le langage de la philosophie et de la théologie chrétienne, on appelle prudence ce qui ressortit des nécessités de la raison politique et de la sagesse pratique. Nos "laïques", en veine d'ironie, sont-ils à même de la pratiquer ?
*Editorial à paraître dans le prochain n° de France catholique
http://leclerc.gerard.free.fr/
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Déclaration du Bureau de presse du Vatican au sujet des caricatures de Mahomet
Pour répondre à diverses demandes de précision sur la position du Saint-Siège face aux récentes représentations offensives des sentiments religieux de personnes et d'entières communautés, le Bureau de presse déclare :
1- Le droit à la liberté de pensée et d'expression, ancré dans la Déclaration des droits de l'homme, ne peut impliquer le droit d'offenser le sentiment religieux des croyants. Ce principe vaut pour toutes les religions.
2- La cohabitation entre les hommes exige un climat de respect mutuel, pour favoriser la paix entre les hommes et les nations. En outre, certaines formes de critique exaspérée ou de dérision dénotent un manque de sensibilité humaine et peuvent constituer dans certains cas une inadmissible provocation.
3- Il faut cependant préciser que les offenses formulées par une personne ou par un organe de presse ne peuvent être imputées aux institutions publiques du pays relatif, dont les autorités pourront et devront éventuellement intervenir selon les principes de la législation nationale. Des actions violentes sont par conséquent aussi déplorables. Il ne faut pas perdre l'esprit de chaque religion, sous prétexte de réagir à une offense. L'intolérance réelle ou verbale, d'où qu'elle vienne, comme action ou comme réaction, représente toujours une grave menace de la paix.
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