Article rédigé par Gérard Leclerc*, le 10 octobre 2006
L'actualité aurait de quoi, parfois, nous plonger dans la dépression. La mode romanesque attise le succès des plus désaxés. La mode philosophique nous vaut la promotion d'un athéisme recyclé à la haine du christianisme.
Le dernier chic journalistique consiste à fustiger l'intolérance des religions... Il est vrai que l'affaire Robert Redecker — ce philosophe, auteur d'un article très sévère à l'égard de l'islam dans Le Figaro — a de quoi provoquer l'indignation. Il n'est pas admissible qu'un citoyen de notre pays soit contraint de se cacher pour échapper aux conséquences d'une fatwa.
Dans un État de droit où l'expression des opinions est libre, il est toujours possible de répliquer aux attaques les plus blessantes et parfois les plus injustes. Faut-il pour autant incriminer l'intolérance qui serait consubstantielle à ceux qui professent une foi religieuse ? C'est pour le coup que la chasse à cette intolérance produit une sorte de rigidification sectaire qui a souvent caractérisé les anticléricaux dans notre pays.
L'argumentaire de l'antichristianisme ne se renouvelle guère. On en revient toujours aux crimes de la période médiévale en faisant d'ailleurs curieusement l'impasse sur les massacres de l'ère moderne et les idéologies qui les ont inspirés. Il semble impossible dans le climat présent de pratiquer le simple discernement historique qui montrerait que le christianisme, qui a d'ailleurs largement inspiré l'éclosion de la liberté des Modernes, n'a plus à s'identifier à une civilisation qui ne représente qu'un moment de son insertion dans le temps.
La liberté du croyant
Quitte à bousculer la bien-pensance la mieux partagée, on ne dira jamais assez que ce sont les penseurs chrétiens qui ont découvert et défendu la notion de libre-arbitre et, qu'à leur suite, il n'est plus possible d'imaginer un monde où la liberté des personnes ne serait pas le plus sacré des principes. Les chrétiens, comme les autres, ont à en assumer les conséquences, qui ne sont pas toutes agréables. La décadence guette souvent une civilisation qui laisse libre cours aux instincts et à la frénésie consommatrice. Mais je serais assez d'accord avec Pascal Bruckner lorsque, dans son dernier essai, il remarque qu'il est toujours possible de s'amender au spectacle de ses vices, en apercevant combien nous sommes pitoyables[1].
J'ajouterai que, pour les chrétiens, le spectacle des provocations dont on voudrait les accabler est souvent plus dérisoire que blessant. Les soi-disant blasphèmes sont plus révélateurs des obsessions de leurs inventeurs qu'attentatoires à la dignité des croyants. Bernanos disait que même dans le mal il faut un certain génie pour pouvoir vraiment offenser. Toutes les bassesses ne nous touchent pas également, surtout lorsqu'elles rendent hommage à la bêtise plus qu'à leur tour.
Est-ce se laisser aller au démon de la polémique que d'objecter ainsi ? C'est plutôt avouer à nos détracteurs qu'il nous est difficile de leur en vouloir, pas seulement parce que le premier commandement nous intime de les aimer. Comprendront-ils seulement que nous sommes trop jaloux de notre liberté intérieure pour récuser celle des autres ?
* Éditorial à paraître dans le prochain n° de France catholique
[1] La Tyrannie de la pénitence : essai sur le masochisme occidental, Grasset, octobre 2006, 258 p., 16,06 €.
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