Article rédigé par Philippe Oswald, le 09 décembre 2011
Interdit par une loi de 1998, le bizutage continue de défrayer la chronique.
Quinze plaintes ont été répertoriées par le Comité national contre le bizutage (CNCB) cette année. La dernière émane d’un étudiant de Paris Dauphine agressé dans les locaux de l’université lors d’une réunion de la « Japad » (Jeune association pour la promotion des activités à Dauphine). Une fois de plus, l’alcool a coulé à flots. Le jeune homme s’est retrouvé dans un état comateux, le dos gravé avec une capsule de bouteille ! Il a porté plainte. L’avocat des accusés ne s’est pas privé de faire remarquer que le plaignant connaissait bien l’atmosphère « rugby » (sic : allusion aux « troisièmes mi-temps » toujours plus débridées qui suivent les matchs) de la Japad, et qu’en outre, après avoir apporté lui-même une bouteille de vodka, il aurait devancé les désirs de ses agresseurs en se dénudant. Il n’avait toutefois pas prévu que cette joyeuse séance lui vaudrait six jours d’interruption de travail. Quatre étudiants ont été mis en examen. Ils encourent six mois de prison, 7500€ d’amende, et des sanctions universitaires pouvant aller jusqu’à l’exclusion définitive de tout établissement supérieur public.
Lors de cette même rentrée 2011, la circulation sur Twitter de photos d’une « intégration sauvage » à Bordeaux avait fait réagir le ministre de l’enseignement supérieur, Laurent Wauquiez : afin d’éradiquer cette pratique illégale, chaque rectorat sera doté d’une cellule dédiée et d’un numéro vert destiné à rompre l’omerta. Un dispositif destiné à compléter la proposition de loi visant à encadrer les week-end d’intégration et les soirées étudiantes annoncée par Valérie Pécresse en février dernier, soumise à l’Assemblée nationale le 13 avril …mais qui n’a toujours pas été votée.
Bien sûr, ce n’est pas d’aujourd’hui que les débordements estudiantins jettent le trouble. Mieux valait ne pas croiser aux abords de la Sorbonne certains « escoliers » du temps de Villon. Mais outre qu’ils risquaient gros (cf. « La balade des pendus » !), ces étudiants n’étaient qu’une poignée parmi quelques milliers, proportion inchangée pendant des siècles, sans rapport avec la masse de jeunes gens des deux sexes que doit absorber de nos jours l’enseignement supérieur. D’où le besoin croissant de séances « d’intégration » …sauf qu’elles tournent à la désintégration. Sur fond d’hyper sexualisation, de « défonce » alcoolique encouragée par les distributeurs, et de voyeurisme démultiplié par les vidéos sur Internet, le bizutage a perdu son innocence. Il est devenu ce délit défini comme « le fait d'amener une personne à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif ».
Mais examinons cette définition : « actes humiliants ou dégradants lors de manifestations… » N’est-ce pas ce que notre société promeut et défend mordicus sous prétexte de culture et de liberté d’expression à longueur d’émissions, de films, de pièces de théâtre ? Sponsoriser « Golgotha picnic » et interdire le bizutage, c’est un symptôme de la schizophrénie collective dont meurt notre civilisation.