Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 14 mai 2002
[Bethléem, correspondance] Le siège de la basilique de la Naticité vient de se terminer ce vendredi 11 mai. Il aura duré 38 jours. En entrant ce jour-là dans Bethléem, la ville était encore sous couvre-feu, aucune âme ne semblait y vivre, la population était terrée à l'intérieur des maisons.
Seuls quelques enfants audacieux se penchaient à la fenêtre pour regarder passer quelques rares voitures civiles, les jeeps de Tsahal et des chars.
Ayant reçu comme beaucoup les dépêches des agences de presse, je m'attendais à voir d'énormes dégâts partout et des maisons bombardées. Ma première surprise, qui allait se confirmer tout au long de cette mémorable journée, c'est qu'il n'en était rien. Les destructions étaient minimes : les bords des trottoirs parfois défoncés par le passage d'un char, quelques poteaux électriques renversés, des vitres brisées, des voitures abîmées...
Dans les ruelles de la vieille ville, les dégâts sont quasi inexistants, les poubelles sont éventrées et les ordures sont répandues partout. La mosquée qui fait face à l'église de la Nativité est parfaitement intacte alors qu'on l'avait dite incendiée par un missile israélien au troisième jour de l'opération. Le bâtiment de la municipalité, situé sur la place de la Mangeoire, avait été réquisitionné par Tsahal et les journalistes autorisés à monter sur son toit. De là, on peut suivre les mouvements : la sortie des Palestiniens de l'enceinte de la Basilique, l'arrivée des responsables religieux et les préparatifs de l'armée israélienne en vue du retrait.
Un journaliste s'évertue à expliquer à ses téléspectateurs que les 13 Palestiniens qui viennent de sortir ne sont pas des activistes dangereux mais de simples militants " qu'Israël accuse de terrorisme " (sic). Cette formule sera reprise le soir même au 20h00 lors du journal télévisé en France. Cette formule, nous l'avons entendue pendant 39 jours, formule hypocrite et dangereuse qui légitime le terrorisme dans la région, parce qu'elle laisse sous-entendre qu'il existerait deux formes de terrorisme : l'un tolérable, l'autre condamnable et qui, de plus, fait d'Israël un perpétuel menteur qui ne connaît qu'une seule méthode : la propagande. Si ces 13 Palestiniens ne sont pas des terroristes, on peut s'étonner qu'il soit si difficile de leur trouver une terre d'accueil. Ces gens-là sont des membres actifs des organisations du Hamas, des Tanzim et des Brigades des martyrs d'El Aqsa, organisations pas vraiment caritatives.
Vers midi, les responsables religieux qui, suivant le Statu quo (l'accord qui régit la vie des communautés chrétiennes depuis l'époque ottomane), sont les gardiens des lieux saints arrivent sur la place de la Mangeoire : le patriarche orthodoxe, le patriarche arménien et le custode de Terre Sainte. Avec eux se pressent des dizaines de franciscains qui attendent que les agents américains terminent leur inspection de la basilique. À l'extérieur, les chefs religieux ne sont pas d'accord sur la façon de procéder pour réinvestir les lieux et pour faire le ménage.
Le différend avait commencé bien avant : les orthodoxes et les arméniens voulaient que les Israéliens soient encore présents pour la réinstallation des autorités religieuses dans la basilique alors que les latins auraient préféré que les Palestiniens aient déjà pris la relève. Cette attitude est caractéristique des approches divergentes entre les communautés chrétiennes. Alors que les latins accusent de façon systématique les Israéliens, les orthodoxes eux, n'hésitent pas à parler de violations et de sacrilèges de la part des Palestiniens. Les arméniens ont raconté que leurs livres de prières et leurs objets liturgiques avaient été saccagés. Lorsque les journalistes sont entrés dans l'enceinte, les moines orthodoxes ont ouvert leur monastère pour montrer les dégâts causés par les occupants indésirables alors que les franciscains ont préféré fermer leur porte. En revanche, l'église latine Ste-Catherine (la paroisse latine) était parfaitement propre, sans la moindre trace d'occupation, des bougies de dévotion brûlaient devant la statue de la Vierge comme si rien ne s'était jamais passé.
Les quelques Palestiniens rencontrés et qui, timidement, osaient sortir de leurs maisons, parlaient volontiers. J'ai entendu beaucoup de critiques, bien sûr contre Tsahal et contre Sharon, mais également contre Yasser Arafat, qu'ils accusent de corruption et d'avoir laissé pourrir la situation. Les plus jeunes ont parlé de leur président avec des mots que je préfère ne pas répéter....
C'est à 18h28 précises, que le dernier char israélien a quitté la place de la Mangeoire. Les enfants qui attendaient dans les ruelles avoisinantes ont crié leur joie : " Allah est tout-puissant " ont-ils hurlé pendant de longues minutes, faisant la joie également des caméras de télévision.
En entrant dans la basilique, c'est d'abord l'émotion. Dans la grotte de la Nativité, un moine orthodoxe tient une bougie, il n'y a pas d'électricité mais tout est intact et propre. Le custode de Terre Sainte expliquera quelques minutes plus tard que la messe a été célébrée tous les jours dans la Mangeoire suivant le Statu quo. En remontant, c'est une véritable porcherie que nous découvrons : les réfugiés ont dormi et mangé à l'intérieur de la basilique, un autel retourné a servi de table à manger ; d'après les odeurs, ils y ont fait aussi leurs besoins... au moins les plus courants ! Il n'y a pas de gros dégâts, seules les cellules des moines orthodoxes qui ont pris feu sont noircies, il y a des vitres brisées et des traces de balles dans les cours et les bâtiments de l'enceinte.
Un journaliste présent s'étonne de l'abondance des restes de nourriture dispersés un peu partout. Sur ce point aussi la désinformation a atteint des records (cf. les dépêches d'agences). Un religieux nous explique que, depuis quelques jours, l'armée israélienne faisait passer de la nourriture pour les réfugiés comme pour les moines. En fait, après enquête et recoupements, il s'avère que personne n'a jamais eu faim, ni soif. Les franciscains avaient dans leur réserve de quoi tenir un siège de six mois. De plus, depuis le premier jour, Tsahal faisait passer des repas aux religieux ainsi que des boissons et aux Palestiniens des cigarettes. Certes, personne n'a fait gras mais de là à parler de situation catastrophique sur le plan humanitaire, il y a une grande marge. De même pour l'eau, si les réfugiés palestiniens n'ont pu se doucher, ils n'ont jamais manqué d'eau : le couvent est doté de citernes immenses et qui sont pleines, après les pluies d'hivers, permettant de pouvoir tenir un siège de plusieurs mois.
Les Israéliens ont tout essayé pour faire craquer psychologiquement les assiégés. Ils ont utilisé des haut-parleurs très puissants pour diffuser des bruits les plus bizarres comme le cri de bêtes sauvages ou de la musique assourdissante. Il y a eu des échanges de tirs entre les Palestiniens postés sur les terrasses et les Israéliens qui encerclaient le lieu sans jamais y pénétrer, contrairement à ce qui a parfois était dit. Plusieurs ont trouvé la mort et d'autres ont été blessés, y compris un moine arménien.
Tsahal n'aurait jamais dû riposter et ouvrir le feu sur l'enceinte du Lieu saint, ni encore moins prendre en otage toute une ville et sa région pour quelque raison que ce soit. Bethléem fut un piège pour les Israéliens qui, sauf exceptions, ne comprennent pas grand chose au christianisme ni au monde chrétien. Ils ont agi bien souvent sans prudence et sans discernement et ont été surpris par la vague de protestations et de condamnations internationales qui a déferlé. Ils n'ont pas su éviter le piège et ils portent leur part de responsabilité. Mais pouvaient-ils se permettre de céder, et de risquer que d'autres institutions religieuses puissent à l'avenir connaître un sort identique ? Cet argument qui peut être, certes, discuté, est-il complètement dénué de valeur ?
Mais Bethléem est peut être d'abord et avant tout un piège dans lequel beaucoup de chrétiens sont tombés. Le piège du parti-pris facile. Condamner Israël, sans d'ailleurs le moindre essai de compréhension et sans le moindre égard pour un minimum de vérité, est chose aisée. On a parlé bien souvent de propagande israélienne, mais l'Eglise locale n'aurait-elle pas servie, consciemment ou non, la propagande palestinienne ? Les Palestiniens n'ont-ils pas cyniquement utilisé la basilique de la Nativité pour servir leurs propres intérêts politiques et n'ont-ils pas violé, autant que les Israéliens, la sainteté du lieu ? Ils ont pénétré de force dans l'enceinte de l'église et se sont conduits comme des soudards. Que l'Eglise les accueille est une chose, mais qu'elle inverse les rôles et contribue à une distorsion des faits en est une autre. La cause palestinienne est en soi une cause noble et belle, qu'il ne faut pas hésiter à défendre mais non au détriment de la vérité.
Les chrétiens de Terre Sainte resteront encore longtemps marqués par cet événement en se souvenant de l'impuissance de leurs chefs religieux à pouvoir résoudre la crise. De fait, les chrétiens n'ont jamais pris part à la moindre négociation et l'émissaire spécial du Pape, le cardinal Roger Etchegaray, s'est trouvé confronté à la division des Eglises. Les déclarations politiques tonitruantes de certains prélats ont discrédité l'Eglise auprès des Israéliens.
L'Eglise de la Terre Sainte a perdu ainsi peu à peu la place qu'elle pourrait tenir dans des crises comme celle de la basilique de la Nativité. Or par son histoire et sa structure, par sa richesse et sa diversité, elle doit plus que jamais être un signe de paix et de réconciliation. Tout en se préoccupant du bien des âmes et en appelant à la justice et la dignité humaine, elle doit laisser aux responsables civils le soin du politique. C'est à cette condition qu'elle sera à nouveau une voix prophétique