Article rédigé par Ramu de Bellescize, le 24 septembre 2010
[Londres ] —Le Royaume-Uni change. C'est peut être l'enseignement le plus important de la première visite officielle en Angleterre et en Écosse d'un pape, depuis la réforme d'Henri VIII, en 1531. La visite de Jean Paul II en 1982 n'était que pastorale. Disciple du bienheureux Newman, Benoît XVI a touché l'âme d'une des plus vieilles nations chrétiennes du monde. Après l'hystérie médiatique anti-pape, au retentissement inversement proportionnel à son écho réel dans l'opinion, les Britanniques ont donné l'impression d'avoir retrouvé un père.
La première raison de ce changement ne vient pas de l'Église catholique mais de l'Église anglicane. Si l'on remonte à l'Angleterre victorienne, le pape était considéré comme l'Antéchrist. Il y a encore quelques décennies, l'influence de l'Église dite établie d'Angleterre aurait rendue fort improbable une telle visite. Encore plus en présence de la reine, du Premier ministre et des anciens premiers ministres. L'Église anglicane était puissante. Elle était l'Église d'Angleterre, l'Église de la Couronne.
Seulement l'influence de l'Église anglicane a beaucoup diminuée au cours des dernières décennies. La contradiction qu'elle porte en son sein depuis sa fondation a fini par éclater au grand jour. John-Henry Newman l'avait dénoncée en son temps. Il avait proposé des solutions pour y remédier. Elles furent rejetées.
La contradiction anglicane
Cette contradiction réside dans le souci de ne pas choisir entre une tendance ou une autre. L'Église anglicane devait pouvoir concilier la tendance anglo-catholique (haute Église), protestante (basse église) et évangéliste. Concrètement, cela signifie que, s'agissant de l'eucharistie, cohabitent la doctrine de la consubstantiation, de la transsubstantiation, voire de la Cène comme simple commémoration. Tous les chrétiens anglais devaient ainsi pouvoir se reconnaître dans l'Église établie. Le problème est qu'aujourd'hui, ils sont de moins en moins nombreux.
Si l'Église anglicane a pu vivre avec cette contradiction jusqu'à il y a encore peu, c'est parce qu'elle avait à sa tête un chef dans lequel se reconnaissait les différentes tendances. Il donnait à l'Église une certaine unité.
Il s'agissait du monarque ou de l'archevêque de Canterbury. Or ces deux autorités ont été dépouillées de leur pouvoir dans les années soixante-dix. Un concile, composé pour moitié de laïcs et pour l'autre de dignitaires de l'Église anglicane, décide désormais des grandes orientations de l'Église anglicane. Ce nouveau mode de gouvernance a encore accentué le côté ventre mou de l'Église anglicane. La préoccupation essentielle du concile est de coller aux évolutions de la société, voire de les devancer. En somme, de faire figure de modernité sur à peu près tous les sujets que l'on peut imaginer. Les questions théologiques sont, en revanche, le plus souvent absentes de ses réflexions.
Le retour des catholiques
L'Église catholique a suivi un chemin inverse.
Les dernières discriminations ont disparu vers la fin du XIXe siècle. Le soupçon de collusion des catholiques avec le Vatican, contre les intérêts de la Couronne est dépassé. Demeurait, en revanche, une certaine forme de mépris à leur égard.
L'élite, en Grande-Bretagne, était anglicane. Ce qui ne laissait pas de place pour les catholiques. Evelyn Waugh, le grand romancier anglais catholique du XXe siècle, dans son livre Retour à Brideshead, mettait encore l'accent sur d'autres défauts catholiques : renfermement sur eux-mêmes, timidité dûe à des siècles de discriminations, voire une certaine dégénérescence à force d'endogamie.
Cette situation n'est plus. Le nombre de pratiquants réguliers catholiques serait supérieur à celui des anglicans. Contrairement à ce que prétendent les adversaires de l'Église catholique, cette évolution n'est pas due à la seule immigration polonaise. Il s'agit bien d'un véritable mouvement de fond.
Faut-il se réjouir de ce qui s'apparente à un chassé croisé entre deux religions chrétiennes ? La visite de Benoit XVI et la béatification de John-Henry Newman apportent des éléments de réponse.
À première vue, le retour en grâce des catholiques en Grande-Bretagne est une bonne nouvelle. Mais Benoit XVI, lors de sa visite, s'est bien gardé de tous commentaires sur le recul de l'Église anglicane. Quand à John-Henry Newman, il n'a eu de cesse pendant sa vie de rappeler que s'il avait été reçu dans l'Église catholique, il gardait des racines dans l'Église de sa jeunesse. Il y a donc aussi une mauvaise nouvelle : le recul de l'Église anglicane. En d'autres temps, les catholiques auraient pu s'en réjouir. Il semble que le message adressé au Royaume-Uni par Benoît XVI soit tout autre : le christianisme est comme une marée. Si une vague descend, les autres descendent aussi.
Après Benoît XVI
Le succès de la visite du pape — certains ont même parlé de la fascination exercée par Benoit XVI sur les Britanniques (et de syndrome post-papal ) —montre cependant que l'image de la marée n'est peut être pas celle qui reflète le mieux la réalité britannique. Plusieurs scénarios peuvent en effet être envisagés s'agissant du catholicisme en Grande-Bretagne.
Le premier, le plus pessimiste, est celui d'une déchristianisation quasi complète. L'Église anglicane poursuivrait sa lente agonie. L'Église catholique, en profiterait à peine, se contentant de recueillir les déçus de l'anglicanisme. Elle opérerait ainsi une remontée en trompe-l'œil. Le retour du catholicisme ne serait rien d'autre que le symptôme de la disparition de l'anglicanisme.
Le second scénario, que pourrait accréditer le succès de la visite de Benoit XVI est plus optimiste. L'Église catholique poursuivrait une réelle progression. L'Église anglicane tiendrait enfin compte des propositions de John-Henry Newman. Elle trancherait le débat théologique sur un certain nombre de points ("valeur de l'eucharistie", "valeur du baptême") dans le sens de la catholicisation de l'anglicanisme. Ce qui pourrait redonner une vraie consistance à l'Église anglicane.
La béatification de John-Henry Newman constituera peut-être le point de départ d'un renouveau des deux Églises en Angleterre. Et l'amorce d'un retour vers l'unité. Si tel était le cas, ce serait la plus belle consécration de l'œuvre de celui dont Benoît XVI fera peut-être un docteur de l'Église.
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