Article rédigé par La Fondation de service politique, le 11 avril 2003
La guerre en Irak (1) contre Saddam Hussein ne déroge pas à la règle : qui tient la ville principale est généralement considéré comme tenant du pouvoir. Autrement dit, la domination exercée sur la plus grande concentration de peuplement compte plus que le territoire.
L'histoire passée livre de nombreux exemples prouvant cette loi démographique du pouvoir. La fin de l'Empire romain d'Occident est datée de septembre 476, lorsque Odoacre, après avoir pris le titre de " roi des nations ", entre à Rome, dépose et exile le dernier empereur Romulus Auguste et renvoie les insignes impériaux à l'empereur d'Orient Zénon, reconnu désormais comme le seul empereur romain. Pourtant, Rome n'est plus guère alors que Rome et quelques territoires. Depuis le début du Ve siècle, les Barbares se sont taillés des royaumes dans l'Empire.
La loi démographique du pouvoir
Un millénaire plus tard, la fin de l'Empire byzantin est datée de 1453, lorsque les Turcs s'emparent le 29 mai de la ville après l'assaut donné par les Janissaires. Il y a encore un empereur, mais il n'y a déjà plus d'Empire byzantin depuis des décennies. Le conquérant Mehmet II domine tous les anciens territoires byzantins comme l'atteste l'armée campée aux portes de Constantinople dont les cent mille combattants comprennent des Slaves, des Hongrois, des Allemands, des Italiens et même des Grecs. Constantinople n'est plus qu'une ville-Etat, mais ce n'est qu'après sa chute que l'on date la naissance de l'empire Ottoman qui change le nom de la capitale pour Istanbul.
L'histoire contemporaine ne déroge pas à la règle historique. La domination de Franco sur l'Espagne est datée du 28 mars 1939, avec la reddition de Madrid, dernière ville républicaine à se rendre. Or, à cette date, Madrid n'est plus qu'un petit réduit pour le camp républicain isolé en Nouvelle Castille.
Lorsque le gouvernement français quitte en 1940 Paris pour trouver un autre lieu d'installation, il a déjà perdu la France parce qu'il a perdu Paris, même s'il gouverne théoriquement sur la moitié de la France.
Plus récemment, la fin de la guerre du Vietnam est datée du 30 avril 1975, lorsque l'armée du Sud-Vietnam capitule et abandonne Saïgon, permettant au gouvernement procommuniste de s'installer. Et pourtant, juridiquement, la fin de l'implication américaine dans la guerre du Vietnam date du 2 mars 1973, avec le traité de Paris, lorsque les Etats-Unis confirment le retrait de leurs militaires. Aujourd'hui, dans les conflits qui traversent l'Afrique, le souci des pouvoirs est de contrôler la plus grande ville quitte à abandonner la domination de vastes territoires. Ce souci de domination conduit parfois à pousser des populations civiles vers ce principal espace contrôlé par le pouvoir " national " qu'est la grande ville : ce mécanisme s'est vu à l'œuvre en Angola, au Liberia, au Congo R.D.C, en Côte d'ivoire...
L'importance du nombre
Les exemples précédents pourraient laisser penser que seuls comptent les capitales politiques. Elles ont bien sûr leur importance, mais lorsque que la capitale politique a une dimension démographique modeste, la portée géopolitique du pouvoir est différente et la ville la plus peuplée reste un symbole important du pouvoir. Les tensions les plus fortes entre l'URSS et les alliés se sont polarisées sur Berlin dès 1945, chaque assaillant cherchant à dominer la ville capitale la plus peuplée de l'Allemagne nazie. Puis Berlin reste le point névralgique de la guerre froide, là où s'exacerbent les tensions les plus fortes entre les démocraties occidentales et le pouvoir soviétique. Tandis que l'Allemagne de l'Ouest, malgré son miracle économique, reste un nain géopolitique dans cette charmante petite ville de Bonn, au bord du Rhin. Puis le choix de Berlin comme capitale de l'Allemagne réunifiée devient le symbole d'un retour de l'Allemagne dans le jeu diplomatique. Plus récemment, lorsque que Ben Laden veut frapper l'Amérique, il touche la capitale politique Washington , mais il n'omet pas de meurtrir la capitale économique, parallèlement capitale démographique des Etats-Unis. Cela déclenche la courte guerre d'Afghanistan visant à renverser le régime des talibans. Et le pouvoir sur l'Afghanistan est aujourd'hui attribué au gouvernement de Kaboul, même s'il est loin de voir son administration s'exercer sur l'ensemble du territoire afghan.
Ainsi, la prise de contrôle de la grande ville est datée par l'histoire comme le début du nouveau pouvoir même lorsque celui-ci s'exerçait sur de vastes territoires avant de s'emparer de cette grande ville. De même, le contrôle de la grande ville est jugé par la communauté internationale comme le contrôle du pays même si l'aire de la grande ville ne représente qu'un faible pourcentage du territoire réellement gouverné et qu'une proportion minoritaire de la population nationale.
Ainsi le pouvoir est-il jugé la plus souvent à l'aune de la ville qui compte la population la plus nombreuse de l'empire ou de la nation (2).
(1) Cf. Gérard-François Dumont et Yves Montenay, " L'Irak, géopolitique et populations ", Population & Avenir, novembre-décembre 2002.
(2) Editorial à paraître dans Population et Avenir n° 663, mai-juin 2003, 9 rue du faubourg Poissonnière 75009 Paris.
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