Article rédigé par Roland Hureaux, le 02 juin 2006
À l'heure où résonne le tintamarre du Da Vinci Code, version filmée, Roland Hureaux a voulu tenter le pari audacieux d'aborder Marie-Madeleine comme figure historique. Tentative unique en son genre, il se distingue des nombreuses biographies romancées (telle celle, très respectable, du R.
P. Brückberger) ou des sommes érudites qui font l'histoire de la représentation et du culte de la sainte mais mettent entre parenthèses la question de son existence réelle. Explication.
P:first-letter {font-size: 300%;font-weight: bold;color :#CC3300; float: left }PEUT-ON VRAIMENT TRAITER Marie-Madeleine comme une figure historique ? Quelles sources avons-nous pour cela ? La question ne se pose pas en termes différents que pour le Christ. Si sources il y a, les plus sérieuses et de loin, au rebours des idées reçues, sont les quatre évangiles canoniques.
Peut-on tenir les Évangiles pour une source historique ? Si la réponse à cette question est négative, alors l'affaire est classée : on ne peut rien écrire d'historique sur Marie-Madeleine, pas plus que sur Jésus. Mais une telle position est-elle tenable ? Pas si l'on considère la proximité des écrits aux événements. Quelque datation que l'on attribue aux évangiles, la plupart des exégètes situent leur rédaction entre 40 et 100 de notre ère, soit dans la génération du Christ ou celle qui suit immédiatement. En comparaison de la plupart des sources antiques, ce n'est pas si mal.
Songeons que le plus illustre des contemporains du Christ, l'empereur Tibère (14-37) n'est connu que par que par Tacite et Suétone qui écrivent vers 110-120. À cela s'ajoute la qualité du récit, sa précision et sa véracité psychologique. Les petites divergences entre les quatre textes plaident paradoxalement en leur faveur puisque ils semblent exclure tout arrangement. Reste un problème de taille : celui de la vraisemblance, mise à mal pour ceux qui ne croient pas par les rapports de miracles et surtout celui de la résurrection qui font appel à la foi. Mais des pans entiers du Nouveau Testament n'ont pas de caractère miraculeux.
Les apocryphes qui font beaucoup fantasmer nos contemporains sont plus tardifs (IIe-IIIe siècle), soit entre la troisième et la cinquième génération suivant celle du Christ ; ils sont presque tous inspirés par les doctrines gnostiques et offrent des récits de piètre qualité, au fantastique souvent grossier. Surprise : il y est peu question de Marie-Madeleine : à peine quelques lignes sur les deux volumes de la Pléiade qui leur sont consacrés. Même l'Évangile de Marie, trouvé sous forme de papyrus à Nag Hammadi (Égypte), est plus un enseignement gnostique qu'un récit de la vie de Marie-Madeleine.
Les sources médiévales, Raban Maur (IXe ou plus probablement XIIe siècle) ou Voragine (XIIIe siècle) n'ont pas vraiment de valeur historique.
Si l'on se cantonne aux Évangiles canoniques, une question préalable est à résoudre : les trois figures de femmes généralement identifiées à Madeleine, la pécheresse anonyme de saint Luc, Marie de Béthanie, sœur de Marthe et de Lazare, Marie de Magdala qui se trouve au pied de la croix sont-elles une seule et même personne ? Les Églises d'Orient pensent que non. L'Église latine pense généralement que oui. À vrai dire nul ne le sait. Une lecture littérale des textes inclinerait à la thèse de l'unité. C'est celle que firent saint Augustin et la plupart des auteurs du Moyen Âge occidental. Les exégètes contemporains, volontiers hypercritiques et par là presque tous partisans de trois Madeleine, en savent-ils vraiment plus qu'eux ? Dans le doute, j'ai opté pour l'unité, suivant une brillante démonstration d'André Feuillet, sachant qu'il ne s'agit là que d'une hypothèse.
Sans péché de la chair ?
Partant de là, qui était donc Marie-Madeleine ? Si on accorde tant soit peu de crédibilité au récit évangélique, on ne peut ignorer la présence de cette femme, dans une position privilégiée auprès du Maître à la tête d'un groupe de femmes qui l'accompagne. Il est significatif que dans deux récits évangéliques sur quatre (sans que les deux autres le démentent), elle est présentée comme le premier témoin de la Résurrection, la première à qui le Seigneur apparaît au matin de Pâques, signe, que l'on y croie ou non, d'une position exceptionnelle.
Son identité reste cependant obscure. Juive certainement. Galiléenne probablement. Avec un passé chargé : les textes parlent d'une "pécheresse de la ville" ou bien d'une femme "dont avaient été chassé sept démons", mais jamais de péchés de la chair, ni encore de prostitution (sainte Marie l'Égyptienne, prostituée alexandrine du IIIe siècle, a ultérieurement déteint sur l'image de Marie-Madeleine).
Après Saint Jérôme, tous les auteurs médiévaux pensent qu'elle était une femme riche : elle fait partie des femmes qui, dit l'Évangile, suivaient Jésus et les Douze et "les assistaient de leurs biens" ; elle utilise à une ou deux reprises un parfum valant trois cent deniers (soit une année de salaire ouvrier de l'époque). C'est en beaux habits que les primitifs flamands représentent toujours la Madeleine. Issue sans doute de la société hellénisée et très libre de la cour d'Hérode, où évoluaient Hérodiade et Salomé, elle fut convertie par le Christ, changea de vie et décida de le suivre. Mettant sa fortune à la disposition du groupe, elle en fut en quelque sorte, comme Jeanne, femme de Chouza, ministre des finances d'Hérode, autre suivante, le "sponsor".
Machisme gnostique
Rien ne justifie qu'on aille plus loin. Aucun texte ancien connu n'évoque de relations charnelles. Un écrit tardif, l'Évangile de Philippe (qui ne figure pas dans les deux volumes de la Pléiade, mais qui, renseignement pris, doit être publié ultérieurement dans un volume d'"Écrits gnostiques") dit bien qu'ils s'embrassaient (les savants interpolent un texte abîmé en ajoutant "sur la bouche", selon la coutume qui était celle tant des sénateurs romains que des sectes gnostiques). Seul un écrit hérétique du IVe siècle, perdu mais cité par un de ses contradicteurs, Épiphane de Salamine (publié curieusement par le revue Tel Quel n° 88) les Questions de Marie, aurait évoqué une acte charnel rituel. Dans aucun de ces textes, il n'est question de descendance du Christ. Tout cela — est-il nécessaire de le dire ? — est un peu court pour accréditer l'idée d'un grand secret scabreux qui aurait été caché par l'Église de génération en génération.
Disons le tout net : le seul fondement des thèses que l'on sait est le placage a posteriori d'une anthropologie moderne, pour laquelle la sexualité est au centre de la vie. C'est pourquoi il n'a pas paru inutile à l'auteur de discuter les thèses anthropologiques en question. Lui a paru également nécessaire un développement sur la gnose, qui, du IIe siècle à nos jours, sous différents avatars, trouble le jeu au travers d'une conception ambiguë de la sexualité, laquelle se trouve chez les gnostiques tantôt interdite, tantôt déréglée mais toujours dévalorisée.
On se plaît à dire aussi que le rôle essentiel que Marie-Madeleine, comme femme, joua auprès du Christ, fut ensuite occulté par une Église dominée par les hommes. À vrai dire, si tel était le cas, ce fut au profit d'une autre femme, Marie, mère de Jésus (dont toute une tradition, à partir de certains apocryphes, fait, contrairement aux récits canoniques, en lieu et place de la Madeleine, le premier témoin de la Résurrection). La dimension féminine, bien réelle et en fait point si occultée que cela, qui apparaît aux origines du le christianisme, tranche au contraire avec le refoulement du féminin dans les sociétés patriarcales dont il est issu, tant la juive que la romaine. Rappelons aussi que dans un texte gnostique, l'Évangile de Thomas, Marie-Madeleine ne se sauve qu'en devenant homme !
Il reste que la Madeleine, si elle ne fut pas la grande initiée qu'ont imaginée les gnostiques, manifeste par ses gestes finesse et complicité avec le Seigneur : perdre son temps à écouter Jésus au lieu de travailler, verser sur ses pieds et sa tête un parfum de grand luxe, un sens de la gratuité, une audace aristocratique dans la relation de personne à personne que non seulement les apôtres (Judas, le trésorier du groupe en tête) mais toute une tradition humanitaire utilitariste, celle qui voudrait vendre les trésors des cathédrales pour assister les pauvres, eut du mal à accepter. À cet égard, la Madeleine comprit sans doute mieux que personne le raffinement de la doctrine du Maître.
Que Marie-Madeleine soit absente des lettres de saint Paul et des Actes des Apôtres qui relatent ce qui se passa entre 30 et 60 environ, reste une énigme. Moins que par un retour de machisme (il semble que gravitent autour de saint Paul des disciples-femmes du même genre qu'elle), on peut l'interpréter par le fait qu'elle n'est plus en Palestine ni en Asie Mineure où, pour l'essentiel, se situent ces écrits. Cette absence peut conférer quelque vraisemblance aux récits médiévaux selon lesquels elle serait partie pour Marseille et y aurait fini ses jours. Même si le port provençal avait alors des relations commerciales suivies avec le Proche-Orient, cela ne suffit pourtant pas à garantir la véracité de ces traditions tardives.
Pour en savoir plus :
■ Roland Hureaux, Jésus et Marie-Madeleine, Perrin, coll.Tempus, 170 pages, 6,65 €.
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