Article rédigé par La Fondation de service politique, le 03 octobre 2003
La Congrégation pour la doctrine de la foi a publié cet été un document sur la légitimité des unions homosexuelles (Décryptage, texte intégral, 28 juillet 2003) " Rien de nouveau sur le plan doctrinal ", comme l'indique l'introduction du document, mais en s'adressant directement au monde politique, elle ne pouvait pas ne pas provoquer quelques grincements.
Dès le 4 septembre, le Parlement européen s'" élev[ait] vivement contre le récent rejet, par la Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican, des propositions visant à reconnaître légalement les unions entre homosexuel(le)s (§ 136 du Rapport d'initiative sur la situation des droits fondamentaux dans l'UE). Rien de nouveau, mais la déclaration confirme cependant une évolution de la doctrine sociale de l'Église, due surtout à la situation présente des démocraties occidentales.
La déclaration n'a pas pour objet immédiat une appréciation morale des relations homosexuelles, ni l'affirmation du nécessaire respect des personnes homosexuelles et du soutien qui doit leur être apporté : tout cela a été abordé dans des documents antérieurs (1). De même, le magistère a eu récemment l'occasion de redire que le mariage, entendu comme le lien indissoluble noué " entre deux personnes de sexe différent qui, par le moyen de la donation personnelle réciproque, propre et exclusive, tendent à la communion de leurs personnes " (n° 2), est un état de vie auquel l'homme est naturellement appelé (2). Le mariage n'est pas une création chrétienne réservée aux chrétiens. Du point de vue social non plus, la déclaration n'innove pas : la famille est le premier lieu d'apprentissage de la vie commune et, de ce fait, elle est, avec le mariage, un des piliers de nos sociétés (cf. Concile Vatican II, Gaudium et Spes, n° 48-52). Enfin, ce qui est dit de l'attitude que doivent adopter les hommes politiques s'inscrit dans le droit fil de la précédente instruction de la même congrégation (3).
La Congrégation conduit son raisonnement en quatre points :
1. Le mariage est un état de vie naturel liant l'homme et la femme dans une donation réciproque et féconde. Cette réalité naturelle a été confirmée par la Révélation, et élevée par le Christ à la dignité de sacrement, signifiant son union avec l'Église. En tout cela, on ne voit " aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille " (n° 4).
2. Tout homme est donc appelé, pour obéir à sa conscience, qu'il soit ou non chrétien, à être " en chaque occasion, témoin de la vérité morale intégrale à laquelle sont contraires aussi bien l'approbation des relations homosexuelles que la discrimination injuste vis-à-vis des personnes homosexuelles " (n° 5). Et lorsque des législations instituant des régimes d'unions homosexuelles ont été adoptées, c'est-à-dire lorsque des droits propres aux relations maritales ont été accordés à des relations homosexuelles, la conscience morale oblige à ne pas coopérer, d'une manière ou d'une autre, à cette injustice, et même à faire connaître son désaccord. Ceci vaut particulièrement pour les juristes habilités à recevoir des contrats institués par de telles législations. " En la matière, chacun peut revendiquer le droit à l'objection de conscience. " (n° 5)
3. L'entrée des unions homosexuelles dans le champ du droit positif se heurte à quatre types d'objections. Primo, " l'État ne peut légaliser ces unions sans manquer au devoir de promouvoir et de protéger le mariage, institution essentielle au bien commun " (n° 6). Une telle loi, contraire à la justice, ne peut donc obliger en conscience. Secundo, aucune similitude biologique ou anthropologique ne peut justifier de rapprocher union homosexuelle et mariage, l'admission de l'adoption ajoutant à l'artifice d'un tel rapprochement le mépris du bien de l'enfant (n° 7). Tertio, " la conséquence inévitable de la reconnaissance juridique des unions homosexuelles est la redéfinition du mariage tel qu'il est reconnu légalement dans son essence " (n° 8) et, par conséquent, la fragilisation d'une source primordiale de la vie sociale. Il n'y a, de surcroît, aucune discrimination à ne pas permettre les unions homosexuelles, car ces dernières ne sont pas du même ordre que le mariage : la discrimination présuppose que deux situations comparables de quelque manière reçoivent un traitement différent sans juste raison. Quarto, parce que le mariage est une institution d'intérêt public, il est nécessaire que cet intérêt soit régi par le droit. Ce n'est pas le cas des relations homosexuelles, qui doivent donc demeurer soumises au régime de droit commun des relations entre les personnes (n° 9).
4. Les hommes politiques doivent en conscience s'opposer, et faire connaître leur opposition, à l'adoption d'une loi instituant un régime d'unions homosexuelles. Et lorsque la loi existe, ils peuvent, sans pour autant adopter de position ambiguë qui reviendrait à de la complicité, apporter leur soutien à toute révision qui diminuerait les effets négatifs des dispositions existantes (n°10).
L'originalité de la déclaration ne vient pas tant de son appréciation de la légalisation des unions homosexuelles que du raisonnement qu'elle mène pour y parvenir. Il est en effet évident que les " unions homosexuelles " ne sont qu'un artifice juridique destiné à satisfaire des revendications idéologiques ou communautaristes. On aurait donc pu se contenter de dénoncer dans l'entreprise de légalisation l'institution d'une fiction. La Congrégation a cependant opté pour une autre voie, qui ne fut certainement pas choisie à la seule fin de donner plus de poids à son argumentaire. Cette voie consiste à lier la question des unions homosexuelles au devoir des États de " protéger et promouvoir la dignité du mariage, fondement de la famille, ainsi que la solidité de la société dont cette institution est une partie constitutive " (introduction). La conséquence de cette démarche est double :
- d'une part elle conduit à appliquer à la question ponctuelle des unions homosexuelles des principes moraux dégagés à propos d'autres questions. Ainsi, la possibilité de l'objection de conscience, que l'encyclique Evangelium Vitae avait expressément affirmée à propos de l'euthanasie et de l'avortement (n° 73-74), est étendue par la déclaration aux lois qui portent atteinte au droit du mariage et de la famille. De même, les principes de discernement des hommes politiques ayant charge législative sont-il calqués sur ceux énoncés dans cette même encyclique (n° 73).
- D'autre part, en répondant à des questions diverses de manière identique, le Magistère affirme implicitement l'existence d'un bloc unifié de doctrine comprenant la bioéthique, la famille, le mariage, l'enfant, la naissance et la mort, ainsi que le fonctionnement institutionnel des sociétés démocratiques.
Or c'est l'existence de ce bloc de doctrine qui représente une certaine nouveauté : depuis l'encyclique Evangelium Vitae qui en a posé les fondements, les diverses interventions du Magistère dans les domaines qui viennent d'être énumérées en ont étendu les contours, au point qu'il est possible aujourd'hui de parler de l'émergence d'une doctrine homogène de l'Église autour d'un centre qui est le respect de la vie de la personne humaine. Ce corps homogène vient compléter la partie économique de la doctrine sociale de l'Église, dont les fondements furent posés par une autre encyclique, vieille de plus d'un siècle, Rerum Novarum de Léon XIII (1891). Osons la synthèse suivante : au terme du pontificat de Jean-Paul II, l'Église a constitué en un siècle une doctrine touchant à la vie des sociétés humaines, composée de deux pôles que l'on pourrait appeler, l'un, l'Évangile de la vie humaine, et l'autre, l'Évangile de l'activité humaine. N'est-ce pas ce dont le Pape avait déjà l'intuition lorsqu'il affirmait dans son premier grand texte, qu'il considérait alors comme le programme de son pontificat : l'homme " est la première route et la route fondamentale de l'Église, route tracée par le Christ lui-même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l'Incarnation et de la Rédemption " (Redemptor Hominis, 1979, n°14) ?
Deux remarques pour conclure :
Premièrement, la doctrine sociale de l'Église n'est autre – et cela est d'autant plus clair après les développements récents – que la doctrine de la justice évangélique, c'est-à-dire la morale des relations des hommes entre eux et des hommes avec Dieu. Deuxièmement, la doctrine sociale est la manière dont l'Église, à l'âge des sociétés démocratiques, exerce l'autorité qu'elle a reçu du Christ sur les sociétés humaines : " Il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent sont constituées par Dieu " (Rm 13,1). Elle prend la suite de ce que l'on a appelé la théorie du pouvoir indirect, suite nécessaire puisque les chrétiens sont désormais plus étroitement associés aux décisions des autorités politiques et, par voie de conséquence, plus responsables de l'évangélisation de la société dans laquelle ils vivent.
Le fr. Emmanuel Perrier op, est dominicain de la Province de Toulouse.
Notes :
(1) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Lettre sur la pastorale à l'égard des personnes homosexuelles, 1er octobre 1986 ; Quelques considérations sur la réponse à des propositions de loi sur la non-discrimination des personnes homosexuelles, 24 juillet 1992 ; Conseil pontifical pour la famille, Lettre aux Présidents des Conférences épiscopales d'Europe sur la résolution du Parlement européen sur les couples homosexuels, 25 mars 1994.
(2) Jean-Paul II, Discours du 28 janvier 2002 au Tribunal de la Rote ; cf. nos commentaires, ainsi que ceux de Grégoire Delamarche dans Décryptage, 8 et 15 février 2002.
(3) Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Note doctrinale sur certaines questions à propos de l'engagement et du comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002 ; cf. son commentaire dans les derniers numéros de Liberté politique.
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