Assassinat d’Agnès : on a marché sur la tête !
Article rédigé par Philippe Oswald, le 24 novembre 2011

« Deux haruspices ne peuvent se regarder sans rire » relevait Caton l’Ancien. Pourtant, le Sénat et le peuple de Rome persistèrent longtemps à avoir recours à leurs services. Notre Justice est-elle moins crédule envers ses « experts » psychiatres (dont on s’aperçoit parfois à l’occasion de contrôles inopinés, comme récemment encore au sein des Cours d’Appel de Bordeaux et de Versailles, qu’ils n’ont nullement les diplômes requis… sans que leurs avis aient paru autrement extravagants).

« La science psychiatrique n'est pas une science exacte », a commenté le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant,  à propos de l’enquête sur l’effroyable assassinat d’Agnès, 13 ans, la lycéenne du collège-lycée Cévenol de Chambon-sur-Lignon par un autre élève, âgé de 17 ans. Assurément, la nature humaine, ses vertus, ses faiblesses, ses perversions, ne se mesurent pas, Dieu merci. Mais cela n’interdit pas de s’interroger sur la vision de l’homme enseignée en psychiatrie et sur les critères de la délivrance des diplômes.

Qu’un psychiatre déclare en effet « pas dangereux » un toxicomane convaincu de viol avec violence sur une mineure de 15 ans, et en attente de jugement, laisse sans voix. Qu’un juge se fie à cette expertise -alors qu’il est supposé avoir étudié le dossier et connaître les circonstances déjà atroces du premier viol dont le modus operandi a été reproduit jusqu’à l’issue fatale, hélas, dans le second- on reste interdit. Qu’un directeur d’école accepte dans un internat mixte un garçon dont les parents lui avaient confié qu’il sortait de quatre mois de prison (comme si l’on mettait à l’ombre plusieurs mois un mineur pour un vol de pommes !), et qu’il n’ait de surcroît pas alerté les autorités judiciaires après plusieurs comportements « inadéquats » du jeune homme à l’égard de jeunes filles au sein de son établissement, cela défie le bon sens. Tout se passe dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres comme si chacun se réfugiait dans le « légal » pour ne plus jamais parler du moral, et dans le respect des procédures réglementaires pour s’exonérer de ses responsabilités.

A ce formalisme contemporain devenu un quasi réflexe s’ajoute vraisemblablement dans le cas du collège-lycée Cévenol, une certaine tradition protestante du libre-examen favorisant une « tolérance » proche de la non-directivité. Contestable en soi, celle-ci devient dangereusement utopique dans une société en perte de repères. La charité héroïque qui a présidé à l’accueil de jeunes Juifs pendant la guerre dans ce même établissement n’aurait pu s’affranchir d’une extrême prudence sans mettre tout le monde en danger de mort. Cette vertu paraît avoir été quelque peu oubliée soixante-dix ans plus tard dans la prise en charge de garçons et de filles issus en majorité de familles aisées mais venus d’horizons très divers et en difficultés scolaires et/ou éducatives. Autres temps, autres mœurs, autres périls. Poursuivre un dessein éducatif réellement humaniste dans la France de 2011 n’expose pas (pas encore ?) les éducateurs à risquer leur vie à chaque instant, mais les oblige à un réalisme prenant en compte toute la personne, ses passions, ses blessures, voire ses addictions, tout en veillant à ne pas y sacrifier le bien commun…et une Agnès. Vaste, magnifique quoiqu’écrasant programme ! Encore faut-il que la législation en vigueur soit une aide plutôt qu’un handicap.

Au Chambon-sur-Lignon, « le drame aurait pu être évité » a déclaré le Premier ministre à l’Assemblée nationale. Les « dysfonctionnements » reconnus tant par le ministre de l’Education nationale que par le ministre de l’Intérieur, le constat que la Justice et le directeur du collège-lycée n’ont « pas bien travaillé », comme le disent avec beaucoup de retenue et de dignité les parents et grands-parents de la jeune Agnès, justifient certes la mise en chantier d’une « réforme profonde » de la législation sur les mineurs préconisée par Claude Guéant après les élections de 2012, et d’ores et déjà les trois mesures d’urgence prises par le Garde des Sceaux en marge de la loi de programmation relative à l’exécution des peines présentée le 23 novembre au Conseil des ministres :  placement en centre éducatif fermé (CEF) de tout mineur ayant commis un crime sexuel « particulièrement grave » (l’expression laisse un peu songeur : existerait-il un crime « pas grave » ?) ; nouveaux critères d’évaluation du risque de récidive par une commission pluridisciplinaire au lieu d’un simple entretien de deux heures avec un psychologue ; enfin, décret instaurant le « secret partagé entre la Justice, l’école, la santé » afin que les chefs d’établissements disposent d’une information complète sur le passé judiciaire d’un candidat (information que la loi interdisait jusque-là au nom de la présomption d’innocence : nous verrons concrètement ce qu’il adviendra de ce décret pas facile à mettre en œuvre). Cependant les lois les plus parfaites et les meilleures procédures du monde ne sauraient dispenser tout un chacun, citoyen, parent, éducateur, communicateur, policier, juge, législateur, de se remettre à marcher sur ses jambes en assumant ses responsabilités. Est-il bien cohérent, par exemple, de déplorer l’explosion des crimes sexuels, en s’accommodant de l’invasion de la pornographie sur tous les écrans ?

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