Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 12 novembre 2004
[Jérusalem] - Après une semaine de rumeurs, d'informations contradictoires et surtout de désinformations à la limite du ridicule, Yasser Arafat a été officiellement déclaré mort à l'hôpital Percy de Clamart, ce jeudi 11 novembre.
Le leader palestinien a joui pendant trente-cinq ans d'une aura médiatique peu commune pour un chef d'État. Sa mort est à l'image de ce que fut sa vie et provoque bien évidemment des passions. Les Palestiniens, dont on peut comprendre la douleur et le deuil de perdre celui qui a incarné le combat pour la création d'un État palestinien indépendant, accusent les Israéliens d'être responsables de la mort de leur leader. La majorité des Palestiniens sont persuadés que le Raïs a été empoisonné par les Israéliens bien que le Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï ait réfuté la rumeur. Le chef du département politique de l'OLP, Farouk Kaddoumi, considère toujours comme plausible l'hypothèse d'un empoisonnement de Yasser Arafat. Il a déclaré à l'Associated Press à Tunis : " Depuis le début, nous nous doutions que la détérioration de l'état de santé du président Arafat était due à un empoisonnement. Nous n'avons pas changé d'avis."
Un nouveau mythe est donc né et restera encore longtemps dans la mémoire collective palestinienne : Yasser Arafat est un martyr, assassiné par les ennemis de toujours. Pouvait-il en être autrement ?
Avec la disparition du vieux leader palestinien, le Proche-Orient ne sera plus tout a fait pareil. Depuis 1969, date à laquelle il devient le président du Comité exécutif de l'OLP, il est le symbole de la cause palestinienne. Il a réussit ce tour de force de maintenir la question palestinienne à l'ordre du jour international.
Le mythe Arafat
De nombreux articles ont été consacrés à Yasser Arafat dans le monde entier, avec une certaine nuance. La presse française dans son ensemble a plutôt exprimé une certaine admiration pour le Raïs. Mais la dithyrambe n'est pas rare : vendredi 5 novembre, au journal de 13h00 de France 2, un Israélien, Ofer Bronstein, président du Forum international pour la Paix au Proche-Orient, a comparé Arafat à Moïse allant recevoir les Tables de la Loi ! Comparaison peu flatteuse pour l'homme de Dieu que la tradition juive et chrétienne considère avec la Bible comme "l'homme le plus humble que la terre ait jamais porté"...
C'est surtout une insulte à la vérité, et pour au moins deux raisons :
1/ L'utilisation du terrorisme, même et surtout pour une cause noble, est inacceptable et reste en contradiction avec la morale plus élémentaire. Yasser Arafat a utilisé abondamment cette méthode. Il a financé le terrorisme palestinien et orchestré bien des attentats. Ceux qui font aujourd'hui son éloge feraient bien de ne pas l'oublier.
2/ Le mépris du pauvre, de la veuve et de l'orphelin. Le journal Le Monde, suivi par d'autres médias français, a tout de même eu le courage du politiquement incorrect en disant que Yasser Arafat a détourné plusieurs centaines de millions de dollars. Au total, le FMI a découvert que quelque 900 millions de dollars de fonds publics n'ont pas intégré le budget officiel entre 1995 et 2002, et n'a pas réussi à identifier la destination d'environ 300 millions de dollars. Les estimations de la fortune personnelle d'Arafat oscillent entre au minimum 300 millions et 1, 3 milliard de dollars. Dans son palmarès 2003, la revue économique américaine Forbes situait Yasser Arafat au sixième rang des fortunes dans la catégorie " rois, reines et despotes ", après la reine d'Angleterre et le sultan de Brunei...
Quand on sait dans quelle misère vivent de nombreux Palestiniens, il est difficile d'identifier Arafat à un prophète sans se méprendre profondément et mépriser son peuple.
L'après Arafat
Contrairement au président syrien Hafez El Afaz ou au roi Hussein de Jordanie, Arafat n'a jamais voulu préparer sa succession et désigner un héritier. L'après Arafat risque d'être particulièrement difficile. Le combat pour sa succession est ouvert et nombreux sont ceux qui veulent aujourd'hui se partager son pouvoir.
Conformément à la loi fondamentale de l'Autorité palestinienne, l'actuel président du Parlement palestinien, Raouhi Fattouh, un fidèle d'Arafat, va assurer l'intérim à la présidence pour une durée limitée de soixante jours. Fattouh n'a pas vraiment d'influence politique et les deux hommes forts de la Palestine sont dorénavant Mahmoud Abbas, plus connu ici sous son nom de guerre Abou Mazen, qui est devenu le nouveau chef de l'OLP et Ahmed Qoreï (Abou Alaa) qui conserve son poste de Premier ministre. Les deux leaders sont appréciés par la communauté internationale pour leur réalisme politique et surtout pour leurs postions modérées. Désormais, personne n'aura entre ses mains tous les pouvoirs qu'Arafat rassemblait.
La grande question qui préoccupe déjà les dirigeants de l'OLP est la place que pourraient occuper des organisations comme le Hamas ou le Jihad islamique mais également l'attitude des groupes liés au Fatah comme les Brigades des Martyrs d'El Aqsa qui ont pris le nom de Brigades de Yasser Arafat. S'il y a des élections générales dans les prochains mois, qui obtiendra la majorité ? À I'évidence, un mouvement comme le Hamas, qui jouit d'une grande popularité dans les Territoires et surtout dans la Bande de Gaza, voudra poursuivre la lutte armée contre Israël et ne facilitera pas la reprise des négociations.
Pour les dirigeants israéliens, la disparition d'Arafat est perçue comme une chance pour la reprise de négociations directes et une avancée vers le processus de paix dans la mesure où Ariel Sharon le cobsidéraut comme un "non partenaire", isolé politiquement.
Israël doit lui aussi assumer l'après-Arafat, et rien n'est gagné d'avance.
Tout d'abord, Tel-Aviv doit éviter de s'immiscer dans les affaires intérieures de l'Autorité palestinienne et ne pas favoriser un candidat par rapport à un autre. Pour l'heure, c'est la stratégie adoptée par Sharon : s'opposer à toute concession aux Palestiniens et boucler les Territoires. Mais cette option politique est risquée car elle pourrait renforcer des positions comme celles du Hamas ou le Jihad islamique.
Sharon a annoncé que le plan de séparation unilatérale se poursuivrait quoiqu'il advienne. Le Premier ministre a réussi le 26 octobre dernier à faire voter à la Knesset son plan de retrait unilatéral. Pour tous les habitants de ce pays, ce vote est historique. Pour la première fois, un gouvernement israélien et le Parlement se sont prononcés pour un démantèlement d'implantations dans les Territoires palestiniens (17 dans la Bande de Gaza et 4 en Samarie). Jamais aucun Premier ministre avant Sharon n'avait eu le courage de s'attaquer à cette question. Que l'on soit pour ou contre ce plan de séparation unilatéral, on ne peut pas être indifférent à la fermeté de Sharon pour mettre en application ce qu'il a décidé et ce que la majorité des Israéliens désirent (59% des Israéliens sont favorables à ce plan selon un sondage Maariv du 27 octobre 04).
Avec la mort d'Arafat et le plan de Sharon, une nouvelle page s'ouvre au Proche-Orient. Il faut espérer que les deux camps seront saisir les opportunités qui se présentent. Mais ici, plus que partout ailleurs, l'avenir reste des plus incertains, avec ou sans Arafat...
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