Après le G8, la France maintient ses positions. Jacques Chirac n'a rien à regretter
Article rédigé par Roland Hureaux, le 06 juin 2003

Il est assez insupportable d'entendre encore des officiels américains évoquer la possibilité de " sanctions " contre la France du fait de sa position dans la guerre d'Irak. S'il s'agit seulement, pour le président américain, de ne pas inviter le président français dans son ranch texan, ce n'est pas grave.

S'il s'agissait de plus, il y aurait là une atteinte inquiétante à la " démocratie internationale ".

Car qu'a fait la France ? A-t-elle envoyé des troupes aux côtés de Saddam Hussein ? Lui aurait-elle fourni des armes pendant le conflit ? La France n'a même pas interdit son espace aérien à la " coalition ". Elle a tenu à sa disposition la base de Djibouti. Bien des prétendus alliés en ont fait moins.

Non, la France s'est contentée de parler, par la voix forte du président Chirac et de son ministre des Affaires étrangères.

Elle s'est contenté d'exprimer une position que les événements ont justifiée : puisqu'on n'y a pas trouvé d'armes de destruction massive, l'expédition en Irak était bel et bien illégale, non seulement au regard de la Charte des Nations unies mais aussi du pacte Briand-Kellog de 1928 – on dirait aujourd'hui le pacte Villepin-Powell ! —, " condamnant le recours à la guerre dans le règlement des différends internationaux ".

Si les États-Unis prétendent combattre pour la liberté, la première liberté n'est-elle pas la liberté de parole des États ?

À présent que les Américains ont facilement gagné la guerre, une indiscrète pression s'exerce sur le chef de l'État, jusque dans les rangs de la majorité, pour lui faire grief de ses positions, voire pour l'inviter à résipiscence.

On dit que nous en avons trop fait. Mais ne fallait-il pas que nous expliquions le plus largement notre position ? Nous n'aurions pas dû, dit-on, menacer d'user du veto. Mais l'article 27-3 de la Charte des Nations unies ne laisse guère la place à une position plus nuancée : les résolutions du Conseil de sécurité ne sont valables que si elles " sont prises par un vote affirmatif de neuf membres (sur quinze) dans lequel sont comprises toutes les voix des membres permanents ". Entre le veto et le reniement avions nous le choix ?

Il s'agit en réalité là d'un mauvais procès.

Dire que l'opinion française s'est laissé aller à l'antiaméricanisme est tout aussi contestable. Au temps de la guerre du Vietnam, le sentiment anti-américain était bien plus vif. Les cortèges contre la guerre, vite monopolisés par la gauche de la gauche, ne reflètent nullement l'opinion générale. Encore moins celle de ses dirigeants. On n'a vu dans aucun média français important le moindre pendant des scandaleux torrents de haine et de vulgarité qui ont déferlé à notre encontre dans les médias américains. Il y a quelque indécence à nous demander, comme le font certains de nos compatriotes, de battre notre coulpe pour des sentiments qui se sont surtout exprimés contre nous.

Il n'est pas sûr non plus qu'une position plus nuancée nous eut valu plus d'indulgence de la part du gouvernement américain.

Les observateurs de la société américaine ont remarqué dès les années quatre-vingt dix la montée du sentiment anti-français (et plus largement anti-européen) aux États-Unis. Le phénomène est antérieur au 11 septembre et a fortiori à la guerre d'Irak.

Il en est de même de l'expansion de l'appareil militaire et de la montée de l'unilatéralisme américains.

Dans la guerre du Kosovo, alors même que notre alignement diplomatique fut total et notre contribution militaire de poids, les Américains s'exaspérèrent de divergences secondaires que nous avons pu exprimer, au point de nous tenir pour d'insupportables empêcheurs de tourner en rond.

On peut tenir cette évolution de l'opinion américaine pour un fait majeur, voire inquiétant, sans en avoir pour autant l'explication dernière. Le déséquilibre croissant des forces entre les deux côtés de l'Atlantique y est sans doute pour quelque chose. Il n'y a, dit Aristote, d'amitié – et de partenariat véritable –, qu'entre égaux. On comprend après tout que les Américains s'irritent de recevoir des leçons de gens qui font si peu d'efforts pour leur défense. Plus que d'autres, la France se trouve en concurrence directe avec les États-Unis sur des secteurs sensibles comme l'agriculture, l'aéronautique ou les médias.

La pénétration de la presse américaine par certains groupes anglais y a également introduit une haine grossière de la France qui avait jusque là épargné les Américains, plus "bon- enfant".

Ces considérations positives n'en excluent pas d'autres, plus philosophiques, comme la vocation multiséculaire de la France de résister aux Empires. On dit aussi qu'ayant été longtemps le plus proche des alliés non-anglo-saxons de l'Amérique, la France, première du deuxième cercle, est la " tête de Turc " désignée d'une pays de moins en moins tolérant à la différence. Comme ces immigrés désireux de s'assimiler, renvoyés malgré eux à leur origine, la France s'est retrouvée en situation conflictuelle largement malgré elle. Les milieux atlantistes traditionnellement américanophiles ne sont pas les derniers à s'inquiéter de l'évolution des dirigeants américains, qu'ils connaissent mieux que d'autres.

Tout cela nous conduit à penser que, sauf à consentir à notre propre anéantissement, une crise entre la France et les États-Unis était inévitable. Il nous faut seulement souhaiter qu'il n'y en ait pas de plus grave.

De ridicules palinodies où nous perdrions notre dignité n'y changeraient rien. Un effort de communication en direction de l'opinion américaine, trop souvent désinformée, beaucoup plus systématique que celui auquel se livrent classiquement nos ambassades, ne serait en revanche pas inutile.

Il y a sans doute peu à regretter quant aux retombées économiques de la guerre : on sait combien elles furent faibles après la première guerre du Golfe où nous fûmes pourtant des alliés irréprochables. Si les Américains payent, qui leur reprocherait de réserver les marchés à leurs entreprises ? Il serait en revanche inacceptable que l'aide de l'Union européenne soit sollicitée sans que les entreprises françaises puissent concourir. Et nos intérêts pétroliers en Irak doivent être défendus par toutes les voies de droit.

Est-il nécessaire d'insister autant que nous le faisons pour que l'ONU retrouve sa place dans l'affaire irakienne ? De toutes les façons, les Américains n'en veulent pas : ne vaut-il pas mieux qu'ils assument jusqu'au bout les conséquences de leurs actes ?

Sans souhaiter le pire qui justifierait après coup nos positions, on peut penser que le capital de sympathie que nous ont valu celles-ci à travers le monde fructifiera un jour.

Mais le rôle nouveau que ces événements nous ont permis de jouer ne serait que feu de paille si l'intendance ne suivait pas, si n'étaient pas rapidement rétablis en termes d'économie, de technologie, de culture, de démographie, de défense, les fondamentaux de la France. L'action internationale et les réformes internes sont inséparables.

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