Article rédigé par François-Xavier Ajavon, le 12 avril 2006
Le page du CPE est maintenant tournée, et elle aura bien fait rire la presse internationale, après l'avoir fait frémir. N'oublions pas que les casseurs, en marge des manifestations, ont fait dire au Sun (britannique), avec une pointe d'ironie, que Paris était déchue de son titre de capitale romantique, et qu'il était préférable et plus sûr, aujourd'hui, de passer un week-end en amoureux à Bagdad...
J'étais monté à Paris mercredi dernier, au petit matin, au lendemain de la grande manif anti-CPE, par curiosité, histoire de voir, et j'eus la surprise de constater que la Seine coulait toujours dans le même sens... Ma déception fut grande après toutes les récentes promesses de révolution sociale et culturelle.
Imaginez un peu : je m'étais levé tôt dans ma banlieue tristounette et je comptais bien voir les stigmates d'un changement de civilisation. D'un vrai clash... Mais la Seine coulait toujours dans le même sens...
Je croise d'abord un agent de la police municipale, bonhomme et souriant, qui me renseigne : "Ah, je ne sais pas Monsieur Ajavon, j'étais en congé hier, mais je crois que c'était la gay-pride, la Fête de la musique, ou les 24H du Mans, une manifestation festive dans ce genre-là avec des jeunes-gens avenants et peinturlurés, des tifosis sous tension, la presse, des cabanes à frites et tout le toutime... en tout cas les copains de la voirie ont ramassé toute la nuit des bris de verre et des préservatifs..." Il m'expliqua encore longuement les dégâts qu'il avait constaté dans les rues de Paris dont il était en charge de la surveillance.
Après deux bonnes heures d'errance dans l'aube délicate et haussmannienne, après bon nombre de rencontres avec les habitués des lieux, cafetiers, kiosquiers, riverains, poulets, boueux, et autres pique-assiettes qui sillonnent courageusement Paris sans y habiter, mon opinion fut faite. La Seine coulait toujours dans le même sens car la manifestation de la veille ne tendait pas vraiment à la Révolution mais à la construction d'une mythologie de gauche vendue en kit, une mythologie prêt-à-porter, une mythologie archéo-fantasmatique de Mai 68. Une illusion lyrique en somme, un "rêve général" comme disaient les stickers.
"Pas d'amalgame, s'il te plaît"
C'était donc en marge d'un "rêve général" que les casseurs habituels se sont distingués. J'arrivais à la place d'Italie. Une jeune militante d'un syndicat étudiant de gauche, un peu à la dérive, que j'avais ramassé en chemin me dit sévèrement : "Pas d'amalgame, s'il te plaît, la jeunesse est non-violente, elle cherche seulement à s'exprimer..." Il lui fut difficile de m'expliquer en quoi cette jeunesse fantasmée cherchait à se faire entendre et auprès de qui. En revanche, elle savait très bien qui était la jeunesse, la " vraie " jeunesse à ses yeux : c'était elle, sa sœur, ses amies du 15e arrondissement, ses potes d'amphi à la Sorbonne et les copains du syndicat, au-delà c'était l'inconnu et passé la zone 1 du métro...la barbarie... elle était très remontée contre ces jeunes de banlieue qui lui avaient volé son sac à main, son Ipod et son téléphone portable hier en fin de manif. Il me parut normal, après un verre de calva et quelques promesses, de l'abandonner au sort de ses choix politiques...
La France qui était dans la rue n'était donc pas toute la France, mais une certaine France, qui serait prête à tout pour renverser un gouvernement pourvu qu'il soit de droite. Cette France est celle de l'homo-manifestus, animal triste ; une France des nouveaux anti-modernes, ennemis du changement, qui court naïvement après des idées libertaires agonisantes qui ont été disqualifiées depuis longtemps par le réel, qui a toujours le dernier mot.
Philippe Muray avait fustigé le bobo moderne comme étant un homo festivus... ne vivant que par la manif, la subversion de vespasienne et toute une morale de la solidarité pompée dans Astrapi. Ainsi, l'homo festivus, le "mutin de Panurge" aime la vie, le sexe et le bonheur en général. Mais il se ment à lui-même sur le sens de sa vie. La plupart des jeunes mobilisés contre le CPE sont de cette race, souvent issus de classes sociales privilégiées, ils attendent que la société fasse leur bonheur... il faudrait les prévenir d'urgence : ils iront de désillusion en désillusion, jusqu'à mourir en se disant qu'ils ont été floués.
Après deux bonnes heures de flânerie dans les rues de la capitale, et fixé sur le sens de ces manifs de tifosis en manque de mythes, courant après le Mai 68 ressassé chaque semaine par leur papa autour du gigot dominical, je me décidai à quitter la capitale pour regagner mes pénates. J'aperçus alors ma petite militante, un peu paumée : elle me suivait avec de grands yeux éplorés. Elle était perdue sans son portable et fondit en larmes sur mon épaule. Homo-festivus, animal triste.
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