Article rédigé par Roland Hureaux, le 17 mai 2002
L'élection triomphale de Jacques Chirac à la présidence de la République a été suivie de la constitution d'un gouvernement qui donne une impression de renouvellement et de diversité de bon aloi.
Cette situation semble donner le vent en poupe à la droite et promettre un bon résultat aux prochaines élections législatives.
Elle est pourtant fondée sur bien des illusions.
La victoire de Jacques Chirac d'abord. Elle résulte d'une mobilisation " antifasciste " sans précédent où la gauche a joué le premier rôle. On notera au passage que cette mobilisation a amené certains services publics comme les média ou parfois l'école, à bafouer sans que personne ose y trouver à redire, les règles élémentaires de la neutralité et du pluralisme de mise en temps d'élection : la menace sur la démocratie, c'est aussi cela. L'exceptionnelle majorité chiraquienne est composée environ de 50 % de voix de gauche et 32 % de voix de droite. La gauche humiliée par le premier tour s'est rattrapée par un formidable exercice de mobilisation de ses réserves qu'elle pourrait renouveler aux législatives.
N'oublions pas au demeurant ce que les péripéties étonnantes de ces présidentielles doivent au hasard des règles qui président à ces élections. On oublie que les législatives, qui procèdent aussi d'un scrutin uninominal à deux tours, mais avec des règles différentes, auraient donné, si la France n'avait été qu'une seule grande circonscription, sur la base des mêmes chiffres, Jospin élu au second tour à la suite d'une triangulaire avec Chirac et Le Pen.
Le gouvernement fait bon effet, par la personnalité rassurante de J.-P. Raffarin, image de la génération " terrain ", mais aussi par des concessions à la culture de gauche dominante (promotion de Roselyne Bachelot, de Luc Ferry), laquelle a plus que jamais le privilège de conférer le label de " modernité ". En revanche aucun signal n'est envoyé à la droite gaulliste ou catholique qui s'était retrouvée derrière Pasqua, Villiers, Christine Boutin, voire Chevènement, qui ont pourtant détourné une fraction de l'électorat de l'extrémisme. Les dissidents de la droite, comme Madelin et Bayrou, sont impitoyablement sommés de se soumettre.
Malgré tout, la majorité présidentielle peut remporter les élections législatives, en cas de démobilisation de la gauche et du Front national, ou si les Français refusent massivement la cohabitation.
Mais il faut dans ce cas espérer que la droite de " terrain ", apparemment promue, fera mieux au niveau national que n'ont fait ses élus municipaux, issus du cru 2001, qui se sont généralement montrés décevants. 1997 avait marqué l'échec d'une droite arrogante, technocratique, bardée de trop d'idées a priori. Mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse : pour éviter les a priori, pas d'idées du tout.
Or sur les sujets où les Français attendent le nouveau gouvernement, il y a lieu d'être inquiet : en matière de sécurité, rien ne sert de faire un grand ministère de la Sécurité et de multiplier les gesticulations : le vrai ministre de la sécurité , c'est le garde des Sceaux et on n'améliorera pas la situation sans une profonde réforme de la justice. Une manière de la commencer serait l'abrogation pure et simple de la loi Guigou.
Il faut aussi baisser les impôts mais c'est totalement incompatible avec l'" Europe des régions " qui semble hanter ce gouvernement " girondin ". Tous les vrais libéraux savent qu'on ne réduit pas le coût de la sphère publique en démultipliant ses pôles, au contraire. Et quelles économies viendront compenser les hausses promises des crédits de la police et de la justice, de la Défense, et, s'agissant des comptes sociaux, des honoraires des médecins, tant attendues ? Il y a peu de chances dans ce contexte que les milieux familiaux voient jamais le déplafonnement du quotient familial qu'on leur avait promis.
Pour faire des économies, il faut enfin réformer l'Etat. Or on cherche en vain qui a tiré les leçons du lamentable échec des tentatives précédentes pour aborder la question sous un angle innovant.
Pour surmonter ces formidables contradictions, on espère que Jean-Pierre Raffarin ne sera pas seulement un homme de terrain mais révélera aussi des ressources intellectuelles cachées, que ne lui apporteront pas en tous cas un entourage technocratique fortement " juppéisé ". Il n'est pas impossible que le nouveau Premier ministre nous réserve de bonnes surprises.