Article rédigé par François Martin*, le 16 juin 2011
Un journal titrait récemment : Condamné en première instance à 6 ans de prison ferme, aucune poursuite ne pèse plus sur l'homme d'affaire Pierre Falcone. Après avoir purgé près de la moitié de sa peine, il sort en homme libre le 29 Avril. Ainsi en a décidé la Cour d'Appel de Paris . Epilogue d'une affaire qui aura empoisonné pendant presque 10 ans, les relations entre la France et l'Angola.
Dans un article récent [1], nous avons montré la genèse et le déroulement de la guerre civile qui a ravagé l'Angola pendant presque 30 ans, et comment ce conflit s'est éternisé, tant à cause de la personnalité des deux belligérants que des intérêts bien compris de la communauté internationale.
Mais l'Angola, ce n'est pas que ce conflit, même si l'intérêt qu'il a suscité auprès des puissances grandes et moyennes, qui s'y sont impliquées à des titres divers, montre à quel point ce pays a de l'importance à leurs yeux, tant du point de vue stratégique qu'économique.
En effet, l'Angola, c'est d'abord un grand pays (1.246.000 Km2), bordant l'immense Congo-Zaïre par le sud, avec une population qui aujourd'hui voisine les 20 Millions d'habitants, et surtout d'énormes richesses [2], parmi lesquelles, en premier lieu, les diamants et surtout le pétrole. En 2011, on prévoit une production de 2,5 Millions de barils/jour, soit 125 Millions de tonnes, bien plus que le Nigeria [3], alors que la population y est presque 10 fois inférieure [4].
Depuis 2002, dès la mort de Savimbi, le pays fait un bond gigantesque, avec une croissance moyenne, entre 2002 et 2008, de 9% par an. On parle de 24% pour la seule année 2008. Entre 2001 et 2009, le PIB passe de 27 Milliards de USD à 110 Milliards de USD, et le PIB/habitant de 2000 USD à 8800 USD, autant dire une extraordinaire croissance, qui place aujourd'hui incontestablement l'Angola parmi les futurs grands d'Afrique.
Il reste cependant beaucoup à faire : vestiges de la guerre, les infrastructures restent encore totalement déficientes [5]. De même, le développement d'une agriculture plus moderne est énormément ralenti par le problème des mines anti-personnel [6]. Pour cette même raison, la répartition de la richesse reste très faible, et la population paysanne, majoritaire à 85%, reste prisonnière de la trappe à pauvreté [7].
Sur le plan de la politique étrangère, il faut reconnaître que le pays a toujours eu une politique prudente et défensive. En fait, Dos Santos a, on l'a vu, assez rapidement abandonné ses ambitions sur un possible contrôle de la Namibie, sur l'autel du rapprochement avec l'Afrique du Sud et les USA. Pour ce qui est des incursions extérieures, elles se sont limitées à la participation de l'armée à la guerre civile du Congo-Brazza, en 97 [8], et à la 2ème guerre civile du Congo-Kinshasa, entre 98 et 99 [9]. A chaque fois, les interventions furent brèves et décisives, dictées essentiellement par l'appel de l'un des belligérant aux forces rebelles de Savimbi, et non pas par une quelconque prétention expansionniste. De plus, alors que l'armée de Dos Santos est de loin la plus importante et la plus professionnelle de la sous-région, lorsqu'il a sauvé l'un de ses alliés, il n'a jamais cherché à profiter de son avantage, comme l'a fait le Rwanda par exemple, alors que c'est si tentant. A chaque fois, ses troupes sont rentrées sagement et rapidement à la maison. Nombre de pays pourraient prendre des leçons sur ce plan...
Aujourd'hui, le pays est en pleine force. Débarrassé de son ennemi et de la tutelle de ses protecteurs, ayant continuellement augmenté sa production pétrolière, il profite à plein de la nouvelle concurrence internationale qui se manifeste, avec l'arrivée des chinois, mais aussi des brésiliens, des africains du sud et demain, n'en doutons pas, des indiens, sans compter les américains, et les portugais qui sont toujours extrêmement présents, pour faire monter les enchères au maximum. Tout cela lui sera donc très bénéfique. Le régime est très fortement armé, politiquement très solide, décidé aux transformations. Tout est à faire, et tout le monde est là en effet, aux pieds des dirigeants, pour investir, vendre ou acheter. Luanda s'est transformé en quelques années d'une façon extraordinaire, et on ne voit pas ce qui devrait empêcher le reste du pays d'en faire autant. Bien sûr, la réalité sociale reste très difficile, même si une classe moyenne émerge progressivement. Y aura-t-il développement, ou seulement croissance ? C'est une question qui reste pour l'instant sans réponse.
Et la France, dans tout cela ? Elle avait une énorme carte à jouer. C'est sans doute encore le cas, car dans sa situation, l'Angola dit benvindo à tout nouveau concurrent... Mais jusqu'à récemment, cela nous était impossible : alors que Falcone a été le sauveur du régime, l'affaire Falcone nous collait à la peau comme la tunique de Nessus sur le corps d'Héraclès. Vivement qu'on passe maintenant à autre chose...
[1] Cf Sortie de l'enfer pour l'Angola
[2] Or, fer, phosphates, bauxite, uranium, forêts, pêche, coton, café, sisal,...
[3] Qui ne produit plus aujourd'hui "que" 1,5 Millions de barils/jour, alors qu'il produisait 2,5 Millions en 2005. L'Angola s'est bien gardé de jouer le jeu de qui perd gagne du Nigeria (Cf Le Nigeria, entre pétrole, racket et insécurité ). Loin de risquer de tuer la poule aux œufs d'or, il s'est au contraire solidement arrimé à son protecteur américain, en lui livrant la presque totalité de cette richesse. Aujourd'hui, où la menace Savimbi n'existe plus et où, après 10 ans sans guerre, le pays s'est solidement enrichi, il renverse progressivement ses alliances, en se rapprochant de la Chine, à qui il vient de donner la presque totalité des contrats de ses immenses besoins d'infrastructures. L'Europe regarde passer les trains, et surtout la France, empêtrée dans le dossier de l'Angolagate, alors que c'est elle, ô paradoxe, à qui ce régime doit le plus...
[4] Et alors que la richesse y est encore moins bien répartie qu'au Nigeria. On imagine les fortunes incommensurables de la nomenklatura angolaise.
[5] Jusqu'à la mort de Savimbi et même longtemps après, jusqu'à ce que la politique de réconciliation et d'intégration des rebelles à l'armée régulière ait commencé à porter ses fruits, les routes étant fort peu sûres, l'accès aux villes de province, pour les personnes et pour les biens, se faisait exclusivement par avion. On imagine sans peine l'enjeu stratégique des infrastructures (contrats donnés aux chinois), et le bond de consommation que cela représente, dès qu'une liaison par route est accomplie.
[6] Avec plus de 10 Millions de mines anti-personnel, le pays est le plus touché au monde après le Cambodge. Il faudra, semble-t-il, plus de 50 ans de travail pour déminer ce pays.
[7] Ce qui ne gêne pas forcément tout le monde, compte tenu de la structure de la production, essentiellement pétrolière, et du peu de gens qui en profitent...