Article rédigé par Roland Hureaux, le 11 septembre 2009
Au moment où est rapatrié le corps d'un nouveau soldat français mort en Afghanistan, on ne sait de quoi il faut s'étonner le plus : de la passivité de l'opinion publique ou du silence de la classe politique sur cette guerre. Un silence qui contraste avec les critiques de plus en plus vives qu'elle suscite au Royaume-Uni et en Allemagne.
Et pourtant, s'il y a un pays qui devrait être critique sur cet engagement, c'est bien la France. La France marquée par sa double et tragique expérience de l'Indochine et de l'Algérie, la France dont la figure emblématique du dernier siècle, Charles de Gaulle, fonda l'essentiel de son action politique sur le pari que les solidarités nationales l'emportaient toujours en dernière instance. Un pari qu'il n'a jamais perdu : l'occupant allemand a été vaincu, les peuples colonisés se sont émancipés, l'Amérique a perdu au Vietnam, la Russie a bu le communisme comme le buvard boit l'encre .
Or, comme si ces expériences n'avaient jamais eu lieu , comme si de Gaulle n'avait jamais existé, une presse de plus en plus paresseuse évoque la nécessité de protéger les populations d'Afghanistan des talibans, dont au fond elle ne voudrait pas, l'espoir de consolider le régime du président Karzaï , le juste combat des soldats de l'OTAN pour la civilisation contre la barbarie, etc. Ne se croirait-on pas revenu au conformisme du milieu des années cinquante sur le problème algérien : nos soldats se battant pour protéger les indigènes des fellaghas , appelés aussi terroristes, l'action psychologique auprès des populations.... N'avons-nous pas entendu que l'état-major américain avait voulu s'informer des méthodes françaises de pacification utilisées à cette époque ?
Tout cela, comme s'il y avait lieu de douter un instant des sentiments de cette population quand elle voit d'un côté des maquisards issus de ses rangs, de son sang, de l'autre des étrangers dont elle ignore la langue et exècre les mœurs, venus de pays lointains avec un état d'esprit complètement différent, des moyens techniques démesurés et sans doute la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Comme si on pouvait espérer la moindre sympathie de villageois qui ont appris qu'à quelque distance de chez eux, l'aviation américaine avait fait des centaines de morts en bombardant une noce par erreur, comme si le problème du président Karzaï se réduisait à sa corruption. Corrompu, certes, il l'est ; mais quel gouvernement ne l'est pas sous ces latitudes ? La question n'est pas là ; elle est la profonde illégitimité d'un régime venu dans les fourgons de l'étranger comme la monarchie restaurée de 1815, un vice irrémédiable pour une population montagnarde, où le sentiment national — ou tribal qu'importe — est à vif.
Pas la moindre légitimité
Moins encore qu'en Algérie où une communauté d'un million de Français devait être défendue, au Vietnam, où les Américains avaient l'alibi d'endiguer le communisme, cette guerre n'a la moindre légitimité, une fois acquis que les grandes opérations terroristes ne se sont jamais préparées là et que savoir si les femmes d'Afghanistan porteront ou non la burkha ne nous regarde pas — nous qui ne sommes même pas capable de décider si elle sera autorisée ou non sur notre sol !
Parmi les conditions de la guerre juste énumérées par saint Thomas d'Aquin, outre celles qui sont bien connues — légitime défense, épuisement des autres moyens de régler le conflit, proportionnalité des moyens aux fins, etc. — il en est une moins connue : avoir des chances raisonnables de l'emporter.
En l'espèce, ces chances se réduisent à près de zéro. Ce n'est pas quelque tiers-mondiste attardé ou un vieux gaulliste du canal historique, c'est le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, faucon repenti, qui avoue publiquement son scepticisme sur les chances de jamais gagner cette guerre.
Le Premier ministre du Canada, pas de la France. Combien faudra t-il encore rapatrier de cercueils pour que notre opinion se réveille de sa léthargie et que notre classe politique ose dire l'absurdité d'un engagement militaire français dans les lointaines montagnes de l'Hindou Koush ?
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