Article rédigé par Tugdual Derville*, le 14 octobre 2005
Chassé par la grande porte du Parlement français, le "préjudice d'être né" vient de revenir en force dans le débat par deux fenêtres judiciaires. Cette innovation jurisprudentielle avait défrayé la chronique pendant deux ans, entre son introduction temporaire dans notre dispositif légal par la Cour de cassation, avec la jurisprudence Perruche du 7 novembre 2000, et son annulation par la "loi anti-Perruche" du 4 mars 2002.
Le Collectif contre l'handiphobie composé de parents et de personnes handicapées avait alors obtenu gain de cause auprès d'élus de droite comme de gauche.
Le 8 octobre dernier, c'est la Cour européenne des droits de l'homme qui a condamné la France pour l'application qu'elle estime abusive de la "loi anti-Perruche" à deux familles.
Chacune avait donné naissance à un enfant handicapé après une erreur de dépistage anténatal. L'une d'entre elles avait été trompée par l'inversion de deux résultats d'amniocentèse, l'autre par une erreur de lecture d'un caryotype. Toutes deux s'estimaient privées des réparations que la jurisprudence Perruche leur avait initialement promises. Tout en reconnaissant la légitimité de la "loi anti-Perruche", la CEDH a considéré que les deux familles requérantes avaient effectivement été victimes d'une "violation du droit au respect de leurs biens", autrement dit qu'elles avaient été pénalisées sur le plan financier : selon la Cour, c'est injustement que la loi anti-Perruche prétendait éteindre toutes les actions en cours en réparation pour préjudice d'être né. La France a six mois pour s'entendre avec les deux familles plaignantes sur un montant de réparations. Le jugement de la CEDH peut être considéré comme logique sur un point de forme, même si pour ses détracteurs la jurisprudence Perruche était gravement contraire à la loi. La non-rétroactivité du droit est un principe fondamental, mais l'appliquer ici ne revient pas à imposer le "préjudice d'être né" pour l'avenir.
Toute autre est la portée du jugement d'un tribunal de grande instance qu'un avocat a révélé au lendemain de celui de la CEDH, comme pour prolonger la relance du débat. On découvre qu'en juillet, le TGI de Reims a indemnisé, non plus les parents, mais les deux frères d'une petite Catalina, née handicapée, pour le préjudice que leur aurait causé cette naissance. Un gynécologue qui avait mal interprété un test sanguin anténatal, omettant de ce fait d'alerter les parents sur le risque de trisomie, s'est vu condamné à verser 6.400 euros à chacun des deux garçons de 7 et 12 ans. Selon le tribunal, la naissance de leur petite sœur a "bouleversé les conditions de vie des deux garçons". Le juge va jusqu'à stigmatiser "le temps consacré par leur mère à Catalina au détriment de ses deux frères", déplorant qu'ils aient "été les témoins de la souffrance de leurs deux parents" et les estimant "victimes de la séparation" Pour en savoir plus, lire de Tugdual Derville, Le Bonheur blessé, CLD Editions, 2005.
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