Article rédigé par Roland Hureaux, le 27 septembre 2007
En ces temps de réformania généralisée, la Constitution ne pouvait échapper au tourbillon. Le Premier ministre est sur la sellette : il est devenu courant de s'interroger sur son rôle voire son utilité.
Soulignons à cet égard un premier paradoxe : le Premier ministre est sans doute, depuis le commencement de la Ve République, l'homme le plus occupé de France : par quel vice de l'esprit, veut-on supprimer cet emploi là ? Alors que subsistent dans la République tant de prébendes plus coûteuses et bien moins accaparantes.
Malgré les efforts méritoires de François Fillon pour se tailler un espace dans l'appareil d'État, le nouveau président de la République et son entourage ne font rien pour rehausser sa fonction : le cabinet du Président multiplie les interférences dans la communication gouvernementale , le chef de l'État empiète allégrement dans les attributions qui étaient jusqu'ici celles du chef du gouvernement. N'hésitant pas à participer à des meetings électoraux, il regrette publiquement de ne pas disposer encore de certaines prérogatives de ce dernier comme celle de s'exprimer devant le Parlement.
Président par défaut ?
Tout se passe comme si le secret désir de Nicolas Sarkozy avait été de devenir Premier ministre. Frustré par la rancune de Jacques Chirac de cet emploi, qui, n'en doutons pas, lui eut convenu parfaitement, il a contourné l'obstacle en se faisant élire à la tête de l'État.
L'inclinaison du nouveau Président se nourrit aussi des exemples étrangers : dans les pays anglo-saxons qui sont sa référence habituelle, la bicéphalie n'a pas cours : l'exécutif est concentré entre les mains du seul président aux États-Unis, du seul Premier ministre au Royaume Uni (où, on, le sait, le rôle du monarque est depuis longtemps symbolique). Il en va de même dans la plupart des pays du continent à commencer par l'Allemagne.
Il se dit que la Ve République est un régime présidentiel inachevé : pour aller jusqu'au bout de sa logique, il faut, dit-on, se rapprocher davantage de la Constitution américaine et pour cela abolir la fonction de Premier ministre. Sans que l'on se demande d'ailleurs si les institutions américaines, elles, fonctionnent bien, ce qui n'est pas l'avis général outre-Atlantique.
L'utilité du bicéphalisme
Le bicéphalisme instauré par la Ve République a pourtant une grande utilité.
Pas seulement en temps de cohabitation où, pour le meilleur et pour le pire, il évite que l'appartenance du Président et de la majorité parlementaire à des camps opposés ne dégénère en crise. Le quinquennat a, en principe au moins, mis fin à ce risque.
En temps normal aussi, le Premier ministre a un rôle à jouer.
Il permet d'abord au président de la République de réfléchir aux grands enjeux, de garder l'œil sur le long terme, d'être le chef visionnaire dont un grand pays à besoin. Chargé du quotidien, le Premier ministre, lui, ahane le nez sur le guidon, comme Raffarin savait si bien le faire.
Le Premier ministre permet surtout au Président de résister à l'usure.
L'état de grâce passé, vient un moment où la rogne et la grogne bien de chez nous prennent à nouveau le dessus. L'opinion revenant à son état habituel de mécontentement, les réformes deviennent de plus en plus difficiles.
C'est là que le chef de gouvernement peut, selon l'expression habituelle, servir de fusible .
Pour le plus grand bien de la France et le sien propre, le Président se préserve lui-même en laissant l'impopularité s'accumuler sur le Premier ministre. On dit qu'il s'économise , un art dans lequel Mitterrand était passé maître. En changeant le chef de gouvernement de son plein gré, comme le firent le général de Gaulle en 1962 et en 1968, Georges Pompidou en 1972, François Mitterrand en 1984, Jacques Chirac en 2005, le chef de l'État tente un nouveau départ. Bien menée, cette manoeuvre peut produire un nouvel état de grâce favorable à la relance de l'action gouvernementale. Nul doute que c'était là en 2005 une des cartes de Villepin qu'il ne tenait qu'à lui de savoir jouer.
Pour durer
Cette fonction s'enracine dans une vieille histoire : la Roche tarpéienne est près du Capitole, disaient les Latins. René Girard a montré, après Frazer, comment la fonction royale (ou souveraine) peut se muer en celle du bouc émissaire offert en sacrifice. Une antique tradition avait prévu que le roi puisse se préserver en sacrifiant quelqu'un d'autre à sa place. La personne du roi étant intouchable, la révocation épisodique de ministres tenus pour responsables de ce qui n'allait pas, de la disgrâce de Fouquet à celle de Turgot, constitue un des secrets de la longévité de l'Ancien régime.
Les autres pays n'ont plus recours à ce système, dira-t-on. Il est commun de pointer le Français comme volage, impatient, prompt à s'enflammer mais aussi à se détacher de ses gouvernants. On peut ne voir là qu'un poncif. Il se peut qu'il s'agisse d'une constante culturelle. C'est un fait que chaque fois que le pouvoir s'est trouvé chez nous concentré en une seule main, collective sous la Ie République, individuelle sous la IIIe et la IVe République où, du fait de l'affaiblissement de la fonction présidentielle, le président du Conseil des ministres était, de fait, à la tête de l'État, l'instabilité la plus grande était de règle. L'impatience française, dont les combinaisons des partis n'étaient que l'écho, a alors prévalu, obligeant à des changements fréquents de gouvernement. Cette instabilité n'était pas sans avantage : elle permettait d'entretenir, surtout sous la IVe, une politique de réforme active, chaque nouveau chef du gouvernement apportant lors de son investiture son lot d'initiatives nouvelles, mais elle s'est révélée impuissante face aux grands problèmes comme l'Algérie.
L'expérience récente a aussi montré la vulnérabilité d'un pouvoir qui ne sait pas renouveler son visage. Hormis le général de Gaulle — qui dut pourtant affronter, après dix ans de stabilité la crise de mai 68 —, Giscard ne fit qu'un seul septennat.
La prépondérance du chef de gouvernement se retrouve en temps de cohabitation, qui voit, comme sous la IVe République le rôle du chef de l'État régresser : ni Chirac en 1988, ni Jospin en 2001 ne purent résister à l'usure d'un gouvernement en première ligne. Si le quinquennat avait alors existé, nul doute que Mitterrand n'aurait pu être réélu en 1986. Les deux derniers présidents de la République n'ont réussi à se faire réélire qu'en passant la main un temps sous la forme de la cohabitation.
En définitive, le chef de l'État est comme le cavalier d'autrefois qui devait changer de monture pour aller loin. Si le cavalier descend de son cheval et veut courir lui-même, il y a de fortes chances qu'il n'aille pas loin.
Comment imaginer que l'état de grâce dont bénéficie aujourd'hui Nicolas Sarkozy va durer ? Si l'actuel président demeure en première ligne tout au long de son mandat, qui pariera un kopeck sur sa réélection ?
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