Article rédigé par Le Point, le 06 décembre 2002
[Extraits] L'archevêque de Lyon parcourt son diocèse comme un homme politique à la rencontre de ses électeurs. Il séduit et déroute. Un primat des Gaules hors norme. L'aube n'est pas encore levée sur la colline de Fourvière, et Mgr Philippe Barbarin, emmitouflé dans un manteau gris, casquette vissée sur la tête, tenant sa serviette d'une main et une pomme de l'autre, sort d'un pas alerte de son archevêché et grimpe dans sa Renault Clio de fonction.
Au volant, le père Vincent Feroldi lui fait le point sur l'actualité de la nuit. La marée noire après le naufrage du " Prestige ", un attentat dans un bus à Jérusalem (" Combien de morts ? " s'enquiert l'archevêque), les reliques de sainte Thérèse exposées à Bagdad (" Ah bon ? s'amuse Philippe Barbarin en mordant dans sa pomme. Je pensais que ce serait plutôt une délégation de l'Onu... ").
[...] Philippe Barbarin a l'art du contre-pied. Impression confirmée quand, sur les ondes lyonnaises, à propos de la santé du pape, il lâche : " Je l'ai vu il y a quelques semaines à Cracovie, nous étions 200 évêques à table, je me lève, je vais le voir, il me reconnaît à la seconde et me dit (il imite alors Karol Wojtyla, en roulant des " r ") : "Ah !, le successeurrr de Mgr Billé... surrrtout ne pas mourrrir du cancerrr." "
Mais qui est donc le nouvel archevêque de Lyon ? Nommé par Jean-Paul II (après enquête approfondie), Philippe Barbarin suit la ligne wojtylienne. Sur le dialogue interreligieux, les droits de l'homme, le tiers-monde et la justice sociale. Mais aussi sur le plan de la morale privée. L'avortement, la contraception ? " Des progrès de la médecine, pas des gloires de la société ", considère-t-il. Le préservatif ? " Je sais que, pour être un prêtre moderne, il faudrait que je dise que je suis pour. Mais je ne peux pas... puisque je suis opposé à ce que l'on donne son corps à n'importe qui. " Voilà donc un homme d'Église, haut responsable de la hiérarchie catholique, maître en philosophie, ancien professeur de théologie, qui a une apparence on ne peut plus austère, qui assume haut et fort des positions en décalage par rapport à la société actuelle, bref, qui, à première vue, n'a rien pour devenir une coqueluche médiatique...
Un besoin de sang neuf
Et pourtant, cet homme-là, depuis le 14 septembre, date de sa prise de fonctions, est en train de se mettre Lyon dans la poche. Gérard Collomb, maire (socialiste) de la ville : " C'est quelqu'un d'assez spontané, qui a une vraie vision très complexe de la société. Il connaît la banlieue parisienne, il a été en poste à Madagascar. Ce n'est pas un homme d'appareil. Il a construit sa vision du monde dans sa foi à partir de la réalité de terrain. " L'avocat Alain Jakubowicz, président du CRIF Rhône-Alpes : " Il est déroutant. Je l'ai rencontré une fois, puis, quelques jours plus tard, je reçois un coup de fil de sa secrétaire : "Mgr Barbarin souhaiterait venir vous voir chez vous, le 11 novembre, à 19 h 30." Il est resté dîner, sans faire de manières. Mon dernier fils, Alexis, était avec nous à table, il faut voir comment il s'est adressé à lui, il a vraiment le feeling avec les jeunes. Il regardait attentivement mes tableaux, il les commentait, il est impressionnant de culture. Nous avons passé une soirée exquise. "
C'est pour sa jeunesse et son dynamisme que Philippe Barbarin, 52 ans, a été propulsé - le mot n'est pas trop fort : il était évêque du " petit " diocèse de Moulins - par Jean-Paul II à Lyon. L'Église a un besoin vital de sang neuf, traumatisée par le décès brutal en 1994 du cardinal Decourtray, haute figure de la ville très appréciée de la population. Ses deux successeurs ont été emportés vite (moins de 1000 jours d'exercice pour le cardinal Balland, seulement trois ans pour le cardinal Billé) et brusquement, tous deux d'un cancer.
Il est sur tous les fronts
Il faut sauver Fourvière ! Le diocèse est l'un des plus - sinon le plus - importants de France. Il englobe à la fois une mégalopole, la banlieue et la campagne, non seulement le département du Rhône, mais aussi une partie de la Loire (autour de Roanne). Son histoire est intimement liée à celle de la chrétienté : on trouve ici trace d'un évêque, Potin, dès 178 après J.-C., 93 communautés religieuses y sont encore représentées de nos jours (23 y ont même leur maison mère). Bastion catholique, la colline de Fourvière surplombe la ville. Et son archevêque, primat des Gaules, tient rang majeur dans la société locale. Aujourd'hui encore. [...]
Parachuté, le nouvel archevêque ne connaît pas la région ? Il s'y jette, avec une certaine gourmandise. Écoles, prisons, hôpitaux, de Vénissieux à Roanne, monseigneur descend de sa colline pour labourer son diocèse. Il est partout, sur tous les fronts, multipliant gestes et attentions. Un sans-faute. Sa première messe, il la célèbre à Caluire, parce qu'il veut " voir la maison où a été arrêté Jean Moulin ". Il récite le Notre Père la main posée sur la potence marquant le martyre des chrétiens de Lyon et... en arabe (il est né à Rabat, au Maroc) au micro d'une radio musulmane. Il s'agenouille devant le Veilleur de Pierre pour baiser le sol à l'endroit où furent exposés les corps de cinq résistants exécutés. Il inaugure en soutane noire et ceinture violette une exposition à la gare de la Part-Dieu consacrée aux enfants juifs déportés de France, organisée par Serge Klarsfeld. Il se rend, au côté de Me Jakubowicz, à l'invitation d'une association d'étudiants de Lyon-III, foyer des révisionnistes, pour une conférence sur " le négationnisme, l'éthique et la loi ".
Des sans-papiers occupent l'église Saint-Nizier et la cathédrale ? Il vient les rencontrer et appelle devant eux, de son téléphone portable, le cabinet du ministre de l'Intérieur pour plaider que le cas de chacun soit étudié.
Cet homme d'Église a aussi un grand sens politique. Il a même - inédit ! - institué une permanence chaque vendredi à 18 heures : il marche de long en large dans la nef de la cathédrale, et chacun peut le solliciter comme il le souhaite. [...] " Un soir, il m'a invité à dîner, se souvient le père Christian Delorme, l'ancien "curé des Minguettes". L'information avait dû mal circuler à l'archevêché, j'arrive, il n'y avait rien à se mettre sous la dent. Eh bien, c'est lui-même qui a fait cuire les pâtes... On cherche l'archevêque, il arrive sur son vélo ! "
Il fait du vélo, il court le marathon, utilise portables et l'Internet... On s'en étonne ? " Clichés, rétorque Philippe Barbarin. Les évêques sont de leur génération comme les médecins et les enseignants. "
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